Le mouvement contre le CPE a mis en avant les questions de la précarité et du chômage des jeunes. Sur un plan plus « médiatique », ces problèmes ont également été remué dernièrement par un collectif dont les militants arborent tous un masque : Génération Précaire. Créé fin 2005 en réaction à la situation spécifique des stagiaires, malgré ce que semble indiquer son nom, ce collectif est l’auteur de Sois stage et tais-toi !, en quelque sorte un livre-manifeste. Celui-ci est à la fois utile et limité.
Emaillé de témoignages, qui lui donnent une grande part de son intérêt, le texte est très informatif, voire parfois édifiant. « En juillet dernier, je trouve sur un site spécialisé une offre d’emploi correspondant exactement à mon profil[science de l’environnement]. L’entreprise me téléphone le jour même, l’affaire semble entendue. Passent trois semaines, les CV s’accumulent(plus d’une centaine…), le contrat proposé s’ajuste en conséquence. Et tout naturellement(c’est terrible à dire), le CDD se transforme en un stage rémunéré à 30% du Smic. Quinze jours plus tard, nous sommes trois à être convoqués à l’entretien d’embauche et là…coup de théâtre : le stage n’est plus rémunéré ! ».
L’utilisation et l’exploitation des stagiaires apparaît plus systématique et accentuée qu’on ne l’imagine peut-être. Estimés à 800 000 par an, les stages s’éloignent continuellement de leur fonction censément formatrice au monde du travail et pédagogique. Deux types de stages sont distingués, le « photocopie », bien connu, où l’on ne fait rien d’intéressant, et l’« emploi déguisé », où le stage économise l’emploi d’un vrai salarié. Celui-ci se généralise désormais. Ce qui valait surtout pour les secteurs des médias, de la publicité, de la communication, de la mode, de la culture, du milieu associatif et humanitaire ou de la fonction publique d’Etat s’étend désormais à d’autres secteurs. Le chômage et la concurrence pour trouver un travail constituent en effet un contexte favorable au détournement des stages par les employeurs. Ils trouvent à disposition une main d’œuvre qualifiée, docile car désireuse d’une expérience professionnelle pour garnir son CV, et très rentable, puisque rémunérée au maximum au tiers du Smic et souvent gratuite. Une telle situation contribue à perpétuer un chômage masqué, avec la complaisance d’organismes de formation peu sourcilleux, tandis que la situation semble s’éterniser pour le stagiaire, convaincu qu’il doit accumuler ce genre de poste s’il veut rester dans le « circuit ». Le livre fournit à ce sujet un florilège d’offres de stages « indécentes » qui mérite le détour. Il évoque les difficultés économiques des concernés, la piètre reconnaissance sociale de leur travail et s’interroge aussi sur leur « asservissement volontaire ».
Le texte présente par ailleurs les revendications du collectif, comme un statut du stagiaire inclus dans le Code du travail, des rémunérations systématiques et progressives en fonction de la durée des stages, rémunérations donnant lieu à des cotisations sociales. En termes de modes d’action, le collectif prône un mode d’organisation horizontal, indépendant des organisations politiques, se méfie de la personnalisation des luttes, et en appelle, si l’on veut, à l’action directe, mais sur un mode très et trop symbolique (les « flash mob », courtes interventions, par exemple dans une entreprise « stagophage »). Par ailleurs, Génération Précaire insiste beaucoup, au nom de l’ « efficacité », sur son activité de lobbying en direction des élus et des médias. La solidarité plus concrète entre tous les secteurs de la précarité, sur le terrain de la lutte sociale, semble devoir attendre. Le collectif attire beaucoup de diplômés type bac +5 dont les motivations sont assez hétéroclites, ce qui peut infléchir à tel ou tel endroit le ton du discours. Parfois, l’expression d’une simple frustration de cadre à la carrière contrariée semble prendre le dessus(comme à travers ce témoignage d’un expatrié, enthousiaste envers le modèle des Etats-Unis qui « ont tout compris à l’économie : ils investissent dans les futurs cadres que nous serons d’ici vingt ans »). Globalement, le livre n’est de toute manière pas, même si certains passages vont dans ce sens, une indignation envers la forme capitaliste d’exploitation ni une mise en relation suivie avec les autres secteurs de la précarité et l’organisation globale du monde du travail. En bref, le texte laisse un sentiment mitigé, car les perspectives critiques sont plutôt décevantes mais il garde un intérêt, pour la prise de conscience qu’il impose.
Fabien D.
Revue Les Temps maudits n°24, mai-septembre 2006.