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La machine de guerre du gouvernement Macron, un danger de régression sociale et politique inédit depuis les années 1940

mercredi 9 mai 2018, par Contribution, Jean-Marc Royer

Analyse de la situation actuelle, rédigée par Jean-Marc Royer, syndicaliste et chercheur dissident. Elle décrit le contexte international et les enjeux des luttes actuelles pour la défense des services publics et des droits souvent durement acquis.
À partager le plus largement possible…

La machine de guerre du gouvernement Macron, un danger de régression sociale et politique inédit depuis les années 1940

Depuis l’élection présidentielle de 2017 une mutation dans l’exercice du pouvoir d’État et dans la structure sociale est en cours. Si le système dominant a massivement promotionné son candidat sans la médiation des partis politiques traditionnels, c’est qu’à la lumière des expériences occidentales depuis le début des années 1980, il est apparu qu’en France, ces partis n’avaient pas entièrement réussi à démembrer ce qui reste de services publics et de protection sociale. Certes, il y eut une évolution importante lorsqu’en 2016 la loi El Khomri a remis en cause le code du travail. Mais ce ne fut pas sans remous, ce dont les divers mouvements de grève du printemps et le phénomène Nuits Debout ont témoigné sans pouvoir s’y opposer totalement. Mais ce n’est pas tout.
Cette sorte d’accession au pouvoir qui relève dorénavant du marketing, c’est aussi le symptôme de sociétés occidentales profondément effondrées qui autorisent l’arrivée de clowns au sommet de l’État (Reagan, Berlusconi, G. W. Bush, Beppe Grillo, Trump…) pour peu qu’ils ne contredisent pas les intérêts du capital.

Que cherche le gouvernement Macron ?
Cela n’est un secret pour personne : via la déstructuration de la SNCF, regardée comme un des lieux de résistance des « services publics », le gouvernement Macron a minutieusement préparé une épreuve de force. Il a dit sur tous les tons qu’il n’y aurait pas de nouvelle reculade du gouvernement comme devant la grève de 1995 et souhaite ainsi faire comprendre qu’aucun syndicat, aucun mouvement de grève, aucune contestation sociale ne seraient en mesure de mettre en échec ses « réformes structurelles ». Plus précisément, il vise une défaite de toute protestation afin d’imposer la suite du cortège de remises en cause sociales et politiques prévues dans les semaines, les mois et les années qui viennent. Autrement dit, le gouvernement Macron veut, à sa manière, réitérer les coups de forces majeurs réalisés par Reagan contre les 11 000 contrôleurs du ciel licenciés en août 1981 ou par Thatcher contre les mineurs grévistes en 1984, afin de démontrer qu’il est capable d’imposer un pouvoir fort.
Cela redouble la nécessité d’analyser et de comprendre ce qui est très probablement en passe de devenir un évènement politique de première importance, si ce n’est historique – ce que nous sauront avant la fin de l’été – en examinant les modèles européens dont les libéraux ne cessent de faire la réclame ici.

Pour contourner les résistances, « une gouvernance à l’étage supérieur » a été promue
C’est ce qui a été fait en englobant la RATP dans le Syndicat des Transports d’Île de France. Sur une plus large étendue, les acquis sociaux qui proviennent du compromis politique d’après-guerre ne pouvaient être remis en cause qu’à travers un projet supranational. C’est pourquoi, dès la fondation de la Communauté Économique du Charbon et de l’Acier en 1952, il s’est agi de construire un Marché Commun, ce qui, à travers l’organisation progressive du dumping social généralisé, s’est à présent traduit par l’installation de la guerre économique de tous contre tous, une régression sociale et politique qui est devenue le terreau sur lequel croît durablement l’extrême droite dans tous les pays, une croissance qui s’est avérée à plusieurs reprises être un repoussoir bien pratique dans la conquête du pouvoir ici et là : rappelons que Macron n’a été élu que par 43,6% des inscrits dont plus de la moitié s’est déplacée essentiellement pour faire barrage à Marine Le Pen.
Mais revenons à la dite « gouvernance européenne ». Outre le carcan politique des traités, lorsqu’un gouvernement s’avise de s’écarter des diktats de Bruxelles ou de la BCE, les marchés financiers le rappellent à l’ordre par une hausse des taux d’intérêts qui augmente la charge de la dette et diminue ses marges de manœuvre, parfois de manière drastique, comme en Grèce. C’est ainsi que la politique des gouvernements quels qu’ils soient, dépend infiniment plus des créanciers internationaux que des intérêts de leurs électeurs. Cela nécessite d’ailleurs de se poser la question de la légitimité et de la légalité de cette dette comme cela avait été fait en Equateur ou en Grèce en 2015.

Quid des modèles Britannique, Italien et Allemand dont on nous rebat les oreilles ?

 En Grande Bretagne, les « contrats zéro heure » instaurés au milieu des années 1990 touchent à présent tous les types d’emplois, y compris les plus qualifiés : les hôpitaux ont créé des « banques d’employés » (anesthésistes, radiologues, etc.) qui travaillent en rotation dans différents établissements, ce qu’on peut assimiler à une gestion des stocks humains à flux tendus. Le nombre de contrats de quelques heures par mois a quadruplé en quelques années, et dorénavant, sur quarante emplois créés, un seul est à plein temps et deux cinquième de ces derniers relèvent des bas salaires au sens officiel du terme. D’autre part, selon une étude du Trade Union Congress, le « compte épargne temps » qui permet de stocker les heures supplémentaires effectuées, représente 37,6 milliards d’euros non payés par les employeurs en 2016, soit le budget de la défense ici.
 L’Italie a mis en place en 2008 le système des « chèques emplois universels » d’une valeur de 10, 20 et 50 € bruts que l’employeur peut commander ou acheter chez le buraliste pour rétribuer un employé. Ainsi, au lieu de proposer des contrats de travail ordinaires, les entreprises utilisent ces bons en faisant tourner les employés tous les 700 heures pour ne pas avoir à créer de poste. Des ouvriers et même des employés municipaux sont appelés du jour au lendemain, ils sont payés quelques heures et puis renvoyés. En 2015, 1,38 million de personnes étaient concernées contre 25 000 en 2008. En outre, le patronat italien dispose désormais d’un choix entre 46 types de CDI différents au moment de l’embauche : un véritable supermarché de l’exploitation.
 En Allemagne, 40% des salariés avaient un salaire mensuel net inférieur à 1 000 € en 2011 alors que le SMIG était ici de 1100 € net et il y avait outre-Rhin 2,5 fois plus de bas salaires qu’en France, en 2014. Les « job-center » peuvent y obliger les chômeurs de longue durée à effectuer des « mini-jobs » à 450 €, des « midi-jobs » à 850 € euros mensuels ou des « Jobs à 1 € de l’heure » qui échappent au code du travail. Le nombre de chômeurs recensés a effectivement diminué, mais au profit d’un nombre d’emplois précaires qui explose : seuls 15% des embauches s’effectuent en CDI. Les inégalités et le taux de pauvreté n’ont cessé d’augmenter, et 25% des salariés ne bénéficient pas d’assurance sociale.

Que s’est-il passé à Dortmund, fin novembre 2017 ?
Alors qu’il mendiait dans la rue, Michael Hansen, chômeur de longue durée, a été reconnu par une employée de son « job center » qui lui a signifié quelques jours plus tard que son allocation de 760 € allait être réduite de moitié « puisqu’il se tient régulièrement dans la rue pour procéder à une collecte de dons privés ». Tout en lui demandant de tenir « un carnet à souches pour donner des quittances aux bienfaiteurs et de déclarer cette activité », l’employée du « job center » a exigé du mendiant un décompte exact de ses « revenus » ainsi qu’une « projection pour les douze prochains mois ». Enfin, le « job center » lui a également demandé de se rendre au bureau du commerce afin de déterminer si son activité relevait du « travail indépendant », car dans ce cas il n’aurait plus droit à l’allocation (urlz.fr/6k80). Ainsi, il se développe à présent le fantasme du pauvre asocial et improductif qu’il faut combattre comme un fléau, ce qui n’est pas sans rappeler de sombres années.

Allons-nous vers une ségrégation sociale ?
La remise en cause de toutes les formes de salaire différé (chômage, santé, retraites…), la privatisation des services publics et l’organisation d’un marché du travail à prix cassés, créent une nouvelle classe de salariés corvéables à merci qui ont un emploi mais vivent en dessous du seuil de pauvreté ou relèvent de l’assistance et n’ont plus aucuns droits.
L’élimination des mesures de protection en cas de licenciement, la possibilité de modifier tout contrat de travail de façon unilatérale, la possibilité de surveiller à distance les travailleurs à travers les PC, les tablettes et les Smartphones fournis par l’entreprise, nous dirige vers une déstructuration profonde de tous les liens sociaux, ce qui pourrait avoir des conséquences pérennes sur les capacités de riposte et de résistance.
Il faut compléter cet état des lieux par une donnée largement occultée dans tous les pays : un grand nombre de personnes ignorent ou renoncent à leurs droits, ce qui entraîne une sorte d’invisibilité politique et médiatique de tout un monde de la relégation où se croisent les usagers de la soupe populaire, des banques alimentaires, des organisations caritatives, des revenus minimums ; dans une situation d’inquiétude générale, cela favorise évidemment leur stigmatisation comme victime expiatoire.

Les attaques du gouvernement Macron visent tous les secteurs de la société
En voici une brève énumération. La loi sur la sécurité intérieure d’octobre 2017 ; les décrets d’application des ordonnances sur le code du travail parus en janvier 2018 ; la transformation de l’ISF et la mise en place du Prélèvement Forfaitaire Unique sur les revenus du capital entraîneront une économie de 5 à 7 milliards pour les plus fortunés alors que les plus modestes verront, quant à eux, leurs revenus décroître via la hausse de la CSG et la baisse des APL ; la loi modifiant les règles applicables à l’évaluation environnementale des projets afin d’éviter de nouvelles ZAD ; celle relative à l’orientation des étudiants (ORE), qui approfondit la sélection et la privatisation rampante des universités ; la publication en décembre 2017 d’une circulaire ministérielle destinée au fichage des réfugiés accueillis dans les centres d’hébergement d’urgence, ce qu’aucun gouvernement depuis la Seconde Guerre mondiale n’avait osé proposer, sans parler du projet de loi en cours à ce sujet.
En outre, le gouvernement Macron compte rapidement ouvrir de nouveaux fronts : la transformation de l’assurance chômage en assistance progressivement gérée par des agences privées chargées de renforcer le contrôle et de durcir les sanctions ; la privatisation pure et simple de la formation et de l’apprentissage ; la réforme profonde de tout l’appareil judiciaire, de la constitution, des institutions et des circonscriptions électorales ; la diminution drastique du nombre de fonctionnaires ; la réforme du Baccalauréat, du logement et la remise en cause radicale des retraites par répartition et de leurs niveaux, comme en Grèce où le gouvernement Tsipras a récemment procédé à leur quatorzième diminution.

C’est une remise en cause inédite non seulement des droits conquis, mais de l’ensemble des relations sociales.
La durée hebdomadaire et annuelle du travail, le décompte des heures supplémentaires, des heures de travail de nuit, des jours de congés payés, des jours fériés, les procédures d’accords collectifs, de licenciement, la hiérarchie des normes sont remis en cause ; il en est de même du contrat de travail, de la médecine du travail, de l’inspection du travail, des institutions représentatives du personnel, des tribunaux des prud’hommes.
La révision du code du travail va supprimer les règles qui protègent les salariés du dumping social généralisé entre les entreprises ; il ne restera plus alors qu’à se rendre employable à n’importe quel prix et dans n’importe quelles conditions ou bien à s’inventer son propre emploi. C’est d’ailleurs pourquoi le gouvernement Macron veut multiplier les statuts de travailleurs indépendants, de microsociétés, d’auto-entrepreneurs dans le but de faire de ce pays le paradis des startups et de leurs prolétaires ubérisés.
Les services publics sont une autre forme du salaire différé. Leurs privatisations sèches ou par appartements comme à France Télécom, La Poste, Aéroports de Paris, la transformation d’une partie de la fonction publique en agences autonomes, le contrôle total des médias publics (AFP, Radio France, LCP, France Média Monde), l’usage généralisé d’indicateurs de performance et de contrats par objectifs dans les politiques publiques sont autant de méthodes et de normes issues du management totalitaire qui sévit dans le secteur privé et permet de tout concentrer dans les mains de patrons secondés de managers et d’employés qu’il veulent dociles. Mais plus fondamentalement, engager ces privatisations, c’est attaquer le niveau de vie des populations, affaiblir les liens sociaux et offrir au capital fictif de juteux marchés. C’est ainsi que dans de nombreux pays les étudiants qui doivent payer des frais d’inscription de dix mille euros par année d’étude commencent leur vie d’adulte en s’endettant à vie.

La Blitzkrieg du gouvernement Macron s’accompagne de mesures d’anesthésie sociale préméditées
Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement Macron a annoncé qu’il voulait mettre en place ces réformes structurelles rapidement, de manière à prendre de vitesse tous les adversaires, à ne pas leur laisser le temps de réagir et de s’organiser, tout en promouvant une « politique du cliquet » afin de rendre tout retour en arrière impossible. Une guerre éclair en quelque sorte, qui vise à écraser promptement toute capacité de riposte et à défaire de manière durable et profonde les vaincus ; une offensive générale s’accompagnant d’une campagne de propagande nourrie qui sature les médias d’informations diverses, d’interviews, d’évènements, de Twitts, de notes et d’éléments de langage prédigérés ; une gesticulation et une communication qui détournent l’attention des dossiers politiquement les plus délicats ; et même tout un programme de débats, de mesures ou de lois qui iront jusqu’à l’instrumentalisation du terrorisme afin d’anesthésier les foules. C’est entre autres choses à cet effet qu’il fut très tôt envisagé de pourvoir les médias des hochets suivants : une loi sur la « moralisation de la vie publique », un « Grenelle de l’alimentation », des assises de l’Outre-mer, une dépénalisation de la consommation privée de cannabis, la lutte contre les discriminations, l’extension des horaires des bibliothèques, l’écriture d’une « charte des droits et des devoirs de l’égalité », des « conventions citoyennes pour redonner un sens au projet européen » etc.

Mais il est d’autres manières, plus profondes et plus durables d’anesthésier les consciences
Le compte personnel d’activité numérisé ou cpa qui va devenir « universellement obligatoire » en fait partie. C’est un fichage de l’ensemble de la population comme les anciens pays totalitaires en avaient rêvé : le gouvernement Macron va le réaliser. Les conditions générales d’utilisation obligatoires stipulent que les données à caractère personnel sont destinées à « la direction générale de l’emploi ainsi qu’aux employeurs ou aux différents professionnels de la formation… ». De la page « Mon profil », on peut accéder à « Mon parcours », puis à « Mes compétences » et, après un test de 2 à 3 mn, à une page « Mes traits de personnalité ». Ce profilage, qui s’affinera tout au long de la vie, a débuté et contribuera à isoler chacun dans la bulle dépressive du numérique avec pour horizon la fin de vie assistée par ordinateur, quelque soit la manière qu’on l’entende.
Outre la mise en œuvre d’un « État plateforme » hyper centralisé et déshumanisé qui vise à diminuer le nombre de fonctionnaires, chaque clic supplémentaire du citoyen-client l’enfermera un peu plus dans son clone virtuel depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Une surveillance universelle et continue en quelque sorte.
Derrière les objectifs affichés, le cpa transforme chaque individu en petit gestionnaire de son propre profil dans une logique d’accumulation capitaliste qui est à rebours des principes mutualistes ou redistributeurs. De plus, cela donne l’occasion de transformer tout ce qui relevait auparavant des droits conquis en virtualités abstraites qui se comptabiliseront en points dont la valeur sera entièrement dans les mains de l’État.
Ce qui nous fait dire que si le totalitarisme est le moyen de contrôler l’existence quotidienne des individus « du berceau à la tombe », nous y allons.

L’avenir que nous prépare « la version Startup du capitalisme » est singulièrement prometteur
Il s’agit en effet d’un monde dans lequel l’homme connecté – bardé de puces électroniques, écrans et autres capteurs – pourrait se voir signifier à chaque instant de sa vie ce qu’il conviendrait de faire, qu’il s’agisse de la gestion de sa santé, de sa carrière, de sa vie affective ou de celle de son réfrigérateur. À travers l’usage de toutes ces prothèses, cette modernité engendre maintenant en continu et de manière mondialisée, des multitudes auxquelles on propose d’abandonner leur mémoire, leur intelligence, leur faculté de jugement ou l’usage de leurs cinq sens au profit d’une utilisation de ces objets connectés par et pour les GAFAM.
Simultanément, nous assistons en ce moment à l’effacement progressif de la frontière entre vie privée et vie publique : grâce à Internet, il est en effet devenu possible de ne jamais cesser de travailler ou plus exactement d’être employé. Lorsque ce n’est pas gentiment susurré par le management, c’est la rationalité calculatrice intériorisée par tout un chacun qui vient rappeler que l’efficience exige une excellence et une disponibilité permanente. C’est aussi pourquoi se répand cette autre forme du « job non-stop » qui consiste à faire fructifier le moindre capital (auto, appartement, chambre…) à toute heure du jour, ou bien encore à louer ses services grâce à des plateformes d’échanges situées aux États-Unis – ce qu’on pourrait appeler une Ubérisation générale de la vie en temps réel.
Or, une des caractéristiques fondamentales du totalitarisme consiste dans le fait que plus rien ne ressort de la privauté – vous ne vous appartenez plus – il n’y a plus de sujet, toute vie se doit à une entité supérieure qui la dépasse.
Enfin, et ce n’est pas le moins important, les mots sont à présent utilisés pour leur contraire sans état d’âme : il est question de « charges » en lieu et place de cotisations sociales, de « sécurité » pour un état d’urgence permanent qui attente aux libertés de chacun, de secret commercial des entreprises lorsqu’il s’agit d’entraver le travail des lanceurs d’alerte, ou d’asile lorsqu’il s’agit d’enfermer les enfants immigrés dans des centres de rétention. Mais plus un langage se voit systématiquement appauvri, moins il permet de se construire un jugement libre et critique sur la vie qui nous est faite. La route de la compréhension, de l’analyse est obstruée, la pensée est anesthésiée et c’est en conséquence la possibilité d’agir pour modifier les conditions d’existence qui est ainsi neutralisée. À ce stade, il convient de parler non plus de domination, ni d’hégémonie, mais de « totalitarisme démocratique ».

L’immense dangerosité des projets du gouvernement Macron
On le voit, le projet politique du gouvernement Macron est bien plus vaste qu’il n’en a l’air : il ne s’agit pas seulement d’une mise en cause de l’ensemble des acquis sociaux, car, tapies derrière des « mesures faciales positives » comme la suppression de la taxe d’habitation ou la suppression des cotisations sociales, toutes les propositions de ce programme politique ont été conçues comme des armes de destruction massive du tissu social de manière à remodeler entièrement la société selon des critères néolibéraux. Ces bouleversements sociétaux ont également pour fonction de consolider de manière durable une base sociale dont le gouvernement Macron a conscience qu’elle est trop neuve et trop fragile pour imposer son pouvoir et sa politique. Autrement dit, il a compris que la création d’un nouveau bloc social dominant suppose d’abord des changements économiques, politiques et institutionnels profonds pour le stabiliser et le consolider. C’est l’autre raison fondamentale pour laquelle le gouvernement Macron est cramponné à son programme de réformes structurelles. Il est inutile de préciser que si ce programme de destructions massives parvenait à être mis en place, il aurait évidemment pour conséquence une déstructuration sociale jamais vue dans ce pays depuis les années 1940. Ce sont les possibilités mêmes de remettre en cause le système capitaliste qui seraient obérées. D’où l’urgente nécessité de s’y opposer avec la dernière énergie en ayant pleinement conscience des enjeux colossaux dont il s’agit.

Où en sommes-nous des modalités de résistance ?
Les cheminots, les salariés du monde hospitalier, d’EDF-GDF, d’Air France et de bien d’autres catégories sont entrés en lutte et il est perceptible qu’un vent de révolte est en train de se lever, en particulier dans la jeunesse étudiante, mais pas seulement ; lorsque les juges, les avocats, des greffiers, les salariés des Ephad, les personnels qui gèrent les centres de rétention sont dans la rue, c’est le signe que les tréfonds de la société sont en train de prendre conscience de l’ampleur des attaques en marche. Dans ces conditions, il y a des initiatives qui pourraient aider à construire le rapport de forces sur le long terme :
 Constituer des caisses de grève partout en utilisant Internet afin qu’elles puissent durer le plus longtemps possible.
 Inviter la population citadine et les salariés à préparer la résistance par la mise sur pied de Comités d’Action permanents sur tout le territoire car il n’y aura pas de victoire possible sans la construction d’un rapport de forces au quotidien et une bataille des idées sur le long terme ! Bien sûr, les actions communes entre plusieurs secteurs en lutte sont importantes, on peut penser par exemple aux actions en Gares telles qu’elles furent imaginées lors du CPE. Mais la construction du rapport des forces en passe aussi par l’analyse et la réflexion, ce qui est également le plus sûr moyen d’éviter toute manipulation politique ou informatique. Dans tout mouvement, c’est aussi le moyen d’élever le niveau de la démocratie qui ne consiste pas à élaborer des formalismes abstraits ou à réduire le temps de parole à deux minutes. Au contraire, prendre le temps de se parler, de réfléchir et de rêver à une autre vie sont les plus sûrs moyens de préparer les échéances à venir jusqu’au moment où l’esprit de résistance deviendra majoritaire.
D’innombrables associations luttent contre un capitalisme radicalisé qui en vient à mettre en cause la vie sur Terre. De nombreuses communautés s’essayent à vivre autrement que dans les grandes mégapoles polluées et portent en elles l’espoir d’une autre vie, d’autres rapports humains que ceux que veulent nous imposer Macron et son monde : c’est cette richesse là qui est défendue à Notre Dame des Landes. Alors que tous ces politiciens ne cessent de fustiger les dictateurs qui déciment leurs populations en répétant à loisir que la solution ne peut pas être militaire mais doit être politique, qu’ont-ils fait dans le bocage nantais, si ce n’est d’envoyer eux aussi leurs propres militaires pour tuer… l’espoir ?

Épilogue provisoire
Maintenant qu’ont été adoptées les ordonnances du gouvernement Macron après la loi El Khomri « relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels » qui vise exactement le contraire de son intitulé, ce qui est une manière de nous enjoindre, par la force de la loi, à prendre les vessies pour des lanternes ;
Maintenant que des zombies se sont mis « en marche » sans qu’il soit jamais question ni du chemin emprunté, ni de la manière de marcher, ni du but de cette course ;
Maintenant que nous en sommes à l’étape de la forfaitisation de tout lien social puisque tout est devenu monnayable comme La Poste nous le propose avec son service « Le facteur veille sur mes parents à partir de 19,90 € par mois » ;
Maintenant que les parlementaires promulguent à la demande des lois de plusieurs centaines d’articles dont la rédaction millimétrée vise à défaire ce que presque deux siècles de luttes ont réussi à installer de protections sociales dans des dizaines de textes ;
Tout cela ne peut être interprété que comme la préparation d’un désastre social et politique de grande ampleur que la farce électorale du printemps 2017 est venue accélérer et qu’il s’agit d’arrêter coûte que coûte en généralisant la riposte.

Non seulement nous pouvons arrêter cette destruction catastrophique à tous égards, mais en outre il n’y a pas d’autre moyen de rester humain que de s’y opposer de manière déterminée, au jour le jour.


Le gouvernement Macron s’est engagé sur plusieurs fronts afin de consolider sa position politique et de construire sa base sociale. Mais de la zad aux cheminots, des facs aux personnels de santé sans parler des lois liberticides, ce n’est pas seulement d’orientations gouvernementales dont il s’agit. C’est également un modèle de vie libérale, individualiste, atomisée, triste, qui nous enferme dans la solitude du coureur de fric guidé par la compétition. Une vie qui emprisonne dans les bulles du narcissisme et de la virtualité numérique plus sûrement que la cage d’acier du rationalisme dont Weber parlait déjà au début du 20e siècle. Un projet de société qu’il faut absolument combattre sous peine de le voir envahir tous les recoins de nos existences. Une vie très loin de l’idée que nous nous faisons du bonheur et de la liberté.

Jean-Marc RoyerMai 2018 [1]


Texte à partager le plus largement possible avec mention de son auteur : Jean-Marc Royer