50 ans après, de très nombreux ouvrages et monographies sont toujours consacrés à l’Anarchisme et à l’anarcho-syndicalisme.
On pourra s’en réjouir en lisant "La révolution défaite. Les groupements révolutionnaires parisiens face à la révolution espagnole" de Daniel AÏACHE, paru aux éditions Noir et rouge [1]. Son travail rigoureux revient sans complaisance sur la défaite des révolutionnaires espagnols de 1936, sur les relations avec les groupements révolutionnaires et les polémiques entre anarchistes, communistes de gauche, conseillistes, bordiguistes, trotskistes… sur une CNT préoccupée par une place dans un gouvernement et une autre occupée à faire avancer la révolution, alors que pendant ce temps, staliniens et Guépéou préparent la contre-révolution pour "mettre au pas" le mouvement ouvrier…
Storytelling vs réflexion
Mais, pour un document de ce type, force est de constater qu’une majorité d’autres ne sont là que pour faire briller les Images, souvent béates, d’un mouvement et d’une histoire qu’ils contribuent à muséifier. Les lister serait inélégant et fastidieux. Nous en avons peut-être même quelques uns dans nos bibliothèques…
– Que peuvent raconter des biographies storytellées et policées de "grands libertaires", rédigées comme pour n’importe quel biopic hollywoodien ?
– Quel est le but de ces analyses "historico-politiques" sur l’autogestion depuis les "grandes heures" de l’Espagne libertaire jusqu’aux "coopératives de lutte", qui "omettent", sciemment ou non, d’exposer des échecs pourtant riches d’enseignements ou de proposer à l’étude les points de clivages ?
– Comment les motivations libertaires d’un écrivain comme jack London, dont les manuscrits sont tombés dans le domaine public, peuvent-elles être enseignées à des lecteurs ignorants, quand les éditeurs se gardent bien de les mettre en exergue ?
– Que valent des rééditions de textes "majeurs" sur des anarcho-syndicalistes qui, expurgées, ne présentent que les "bonnes feuilles", comme le faisait en son temps le "Reader’s-digest" [2] pour les romans.
Bref, quelle est "l’efficacité" de ces "efforts livresques", en quoi leurs contenus peuvent-ils faire avancer la culture libertaire et proposer de réelles réflexions utiles au quotidien ? À quel plan de communication obéissent-ils ?"
L’ignorance du passé
Dans "Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre", une étude parue en 1921 sur la façon dont naissent et se propagent les rumeurs et les fausses nouvelles en temps de guerre, et comment elles sont sciemment fabriquées et exploitées, Marc Bloch [3] soulignait déjà que "l’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent : elle compromet, dans le présent, l’action même".
Nous en sommes donc toujours là et les hagiographies [4] du mouvement libertaire de compromettre, dans le présent, l’action même, que certains appellent pieusement de leurs vœux…
On pourra me rétorquer que je n’ai "qu’à m’y mettre", que le simple coût du papier grève les budgets, que ne suis qu’un "intello"… ou m’opposer un tas d’autres pseudo-arguments qui masqueraient en définitive une absence de réflexion et de cohérence sur les enjeux d’une réelle politique éditoriale à l’heure où, alors que gonflent les catalogues "libertaires", sur le terrain, les rangs de la lutte (elle aussi) libertaire se clairsèment et que certains groupes (eux aussi) libertaires se délitent.
Je n’oppose pas le papier à la rue, la lutte à l’édition. Je ne suis pas assez idéaliste ou naïf pour penser que la révolution ne puisse se faire qu’à coup de réflexions, de théories, de débats, de textes bien tournés (ou détournés, voire falsifiés) ou lors de controverses depuis quelques tribunes. Nos actions quotidiennes s’enrichissent d’expériences théoriques, en complément des vécues, et il est nécessaire de pouvoir se référer à un passé, étudié tous azimuts et sans complaisance, quitte à ce que certains éclairages remettent en cause quelques-unes de nos certitudes ou de nos postulats. En ce sens, une réflexion sur le passé est indispensable à l’heure où la désinformation est une arme pointée sur notre quotidien. Et Daniel AÏACHE, dans l’introduction de son livre de rappeler que "La mémoire et l’oubli forment un couple inséparable et un seul et même sujet qui semble inépuisable des lors qu’il s’agit de la guerre civile espagnole. La bibliographie dépasse les 40 000 titres, et pourtant, a intervalles réguliers, l’enjeu de la mémoire de la guerre d’Espagne refait surface et la question de l’oubli se manifeste a nouveau ". Ce qui est une autre bonne raison pour s’y plonger…
Pour « mémoire », on pourra alors lire ou relire :
(liste non exhaustive…)
– Celles d’Antoine Gimenez, annotées et analysées sans idolâtrie par les Gimenologues dans "Les Fils de la Nuit" [5], qui ne cachent ni les insuffisances ni les masques sanglants de la révolution espagnole, s’inscrivent parfaitement dans cette démarche réflexive.
Épuisée, la version pdf est intégralement téléchargeable sur le site de l’Insomniaque [6].
– Carlos Semprun Maura pour "révolution et contre-révolution en Catalogne".
– Vernon Richards pour "enseignements de la révolution espagnole",
– Les articles de la revue À contretemps [7] (José Fergo, Freddy Gomez, etc.) où l’on retrouve, comme chez les Giménologues, les analyses les plus fines sur cette période,
– "Ouvriers contre le travail", de Michael Seidman [8]
– "Ni l’arbre, ni la pierre : des combats pour la liberté aux déchirements de l’exil" de Daniel Pinos. (ouvrage épuisé)
Et puis :
– "l’anticapitalisme des anarchistes et anarcho-syndicalistes espagnols des années trente" [9] de Myrtille Gonzalbo, sans concession pour "l’histoire officielle", donne à lire et réfléchir "autrement".
Ou encore :
– "Une résurgence anarchiste Les jeunesses libertaires dans la lutte contre le franquisme" de Gurucharri et Ibanez est un autre outil « efficace », dont les prétentions sont d’écrire sur un pan de l’histoire anarcho-syndicaliste et de l’éclairer par une critique argumentée et des éléments de réflexions. [10]
Mais, les hagiographies ont encore leur fan-club…et pour ce dernier livre, qui ne se borne pas aux années 60, en décrivant, avec force documents et références les heures sombres de la CNT espagnole en exil (y compris les groupes et leaders de Bordeaux, Marseille, Toulouse et celui, très influent de Paris), mais permet d’éclairer les années noires qui vont suivre, mais cette fois du côté de sa petite sœur, la CNT française, aussitôt sorti en Espagne aux Éditions Virus de Barcelone en 2010, à rencontré la réaction d’idolâtres du funeste couple : Germinal Esgleas et Federica Montseny, qui œuvrèrent pour une normalisation totale de la CNT. [11]…
Et puis, promis, je vais ranger ma bibliothèque et en extraire les livres de peu d’intérêt qui pourraient s’y trouver…