Sur le web 2.0, t’es plus fort que "Super Mario"

Par Lucie Heymé
Publié le : Mis à jour : 19/12/15

Désormais, nous pouvons voyager dans le cyberespace et sur les autoroutes du "web2.0", pour y être actifs, contribuer, échanger et collaborer sous différentes formes.

La promesse d’une vie en 2.0, entre blogs, forums ou réseaux sociaux ouvrirait le chemin vers le jardin d’Éden enfin accessible à tous. C’est séduisant sur le papier, mais la réalité n’est pas toujours un jeu de plateforme…

5% vs 95%

À regarder de plus près cette "liberté offerte", on constate que sur les actuels 2 484 915 152 internautes (35% de la population mondiale) [1], seul 1% produit du contenu sous des formes divers, 4% participent et postent un commentaire sur un article… Quant aux 95% restants (soit quand même environ 2 360 670 0000 internautes), et bien, ils "consomment". Il y a de quoi décourager plus d’un blogeur ou un animateur de forum francophone, qui, en moyenne consacrent 2h par jour au blogging, voire jusqu’à 10h par jour pour certains stakhanovistes… [2]


La journée d’un blogueur

Mais que feraient-ils, s’ils savaient qu’une grande majorité de ceux qui accèdent aux articles ne lisent jamais les commentaires, pire, que certains commentateurs ne liraient même pas les interventions des autres. Les commentaires du "2.0" ne touchent en définitive qu’un pouième des internautes et n’ont donc aucune chance d’avoir un impact sur l’opinion. Alors, à quoi cela peut-il servir, si le seul intérêt des commentaires n’est autre que de donner l’opportunité à un très petit nombre de lecteurs, finissant par se connaître et se reconnaitre, de débattre entre eux, comme dans un circuit fermé ou un club privé ?

Places publiques et espaces virtuels.

Dans la Rome antique, le forum, décoré de statues de personnalités remarquables, connaissait une vive affluence. Les habitants venaient y célébrer des cérémonies, assistaient aux sacrifices, flânaient, achetaient diverses choses dans les boutiques ou s’y retrouvaient pour discuter.
C’est sans doute pour en marquer l’analogie, qu’en informatique, le nom a été repris pour désigner "un espace virtuel permettant de discuter librement sur plusieurs sujets divers". Les "hommes de la cité du XXIe siècle" peuvent à leur tour y débattre. Mais à l’inverse de Rome, les discussions ne se font pas en directe, face à face, d’humain à humain. Le pseudo et l’avatar [3] comme autant de "doubles", agissent ou parlent pour celui "qui veut partager".
Les jeux vidéo en ligne et les forums, comme les réseaux sociaux, se relient alors dans une pratique schizophrénique [4] dans laquelle, la distanciation de l’échange s’apparente à un modèle d’immersion “fictionnelle” où l’utilisateur oscille entre le monde réel (ce qu’il veut réellement dire) et l’univers virtuel (ce qui va être produit via l’univers électronique). Le joueur et le membre du forum se trouvent en quelque sorte dans une double posture où "moi" peut aussi "être un autre", où "j’écris" ce que ma signature et mon avatar souhaitent "dire" où le simulé prend des allures de réel pour "faire plus vrai que nature".

Choisir son pseudo, son avatar et sa map
Au moment d’intégrer un jeu en ligne, il faut choisir son personnage et sa représentation. Bien entendu, on peut réviser son nom ou prendre son surnom et mettre une photo de soi, en bébé, en ado ou sur la plage. On peut aussi, fonction du "personnage" que l’on veut incarner, se refaire une identité. Ce début de schizophrénie est déjà un acte ludique qui n’est pas sans rappeler les "alors on dirait que…" qui ponctuaient nos histoires enfantines. En lisant des "identités" comme "Bakou", "Ranch Poukan", "Altermondium", "béri-béri" ou "révolt36", on peut imaginer la gymnastique intellectuelle ayant conduit à la création de ces ombres chinoises, quoi que… Idem pour les images issues de toutes sortes de panthéons.

Pour ceux dont la créativité serait "en panne", le Net propose des générateurs de noms de "héros" [5] ou d’anagrammes. Si vous y tapez : "Libertaire", vous seront proposés : "Libererait" ou "Reliberait". Pour "Pain & confiture", "Puritain Fonce" est disponible.
D’autres sites proposent des générateurs d’avatars.

Générateur d’avatar


Une fois collé à son "personnage" et à son "imagette" le jouer peut entrer dans la map [6], partir à l’assaut des sujets et affronter d’autres membres.
Dans le jeu vidéo, il y a 7 grandes familles : Action /Aventure /Action-aventure /Jeu de rôle /Réflexion /Simulation /Stratégie. Dans une majorité de forums publics, il n’y en a que 3, et les règles peuvent se combiner :

1- "Psycho" "
 Règle du Je(u) : Incrustez vous dans un univers. Laissez-vous aller et invectivez, injuriez, affabulez et affrontez "les autres" dans des duels interminables. Si vos interventions sont hors sujet, soutenez-les avec obstination par de longs posts. Qu’importe si vos commentaires reposent sur des sophismes, qu’ils soient dépourvus d’analyse ou que personne ne les lise. Vous êtes là pour vous et pour vous prouver que vous existez. Vous pouvez même (vous) prouver que la terre est plate.
Tant que vous êtes sur le forum, vous êtes à l’abri de la vraie vie.


2- "Clubbing "
 Règle du Je(u) : Montez un forum ou un réseau. Plus que l’animation des échanges qui pourront s’y dérouler pour faire avancer une réflexion (ou une cause), vous devez en garder le contrôle absolu. Vous gérez doctement les contradictions pour éviter qu’elles nuisent à votre œuvre. Vous recadrez les électrons libres pour ne pas risquer de fragiliser votre édifice numérique.
Face aux récalcitrants ou aux posts trop "critiques", n’hésitez pas à faire le ménage, à mettre au rebut ce qui ne rentre pas dans la ligne et à éconduire les opportuns. Les justifications pour le faire ne manquent pas : dénoncer des accointances (même supposées) avec des groupes "déviants", invoquer des "ouï-dire", pinailler sur un post maladroit ou monter des "preuves" à charge…
Si vous sentez que vous perdez le contrôle, lancez des diversions.


3- "Attaque"
 Règle du Je(u) : Plutôt que de monter un forum ou un réseau, squattez-en un ! Faites-vous y des "amis" et défendez la ligne que vous aurez choisi de soutenir. Si le propriétaire fait valoir son titre, lancez une opération commando, au nom de la liberté sur Internet, bombardez l’espaces de posts, si possible longs et à la limite du lisible, pour légitimer votre présence. Une fois installé, donc auto-reconnu, échangez sur ce que bon vous semble. La pollution est partout, vous ne risquez pas grand chose à vous faire plaisir.
Et si les contributions ronronnent trop, changez d’espaces.



Bref, sur le web 2.0, dans son costume de "Super Mario", on peut battre des ennemis, sauver des princesses, lancer des boules de neige ou des invectives. Ça va vite, il faut réagir constamment à chaud et il y a des champignons sur pattes, avec des sourcils touffus et parfois des crocs qui blessent… comme dans une vie rêvée dont on est le héros.





Notes

[1Nombre d’internautes en 2014 :
 81% en Amérique du Nord (86% au Canada, 80% aux USA)
 78% en Europe de l’Ouest (83% en France)
 18% en Afrique
 12% en Asie du Sud

[2Enquête sur les Blogueurs francophones en 2007 : http://www.nowhereelse.fr/enqute-sur-les-blogueurs-francophones-les-rsultats-3083/

[3Dans la religion indienne l’avatar fait référence à la descente d’un Dieu sur la terre, aux incarnations de Vishnou en diverses formes. Depuis la fin du XIXe siècle, avatar s’emploie aussi au sens figuré de métamorphose, transformation d’un objet ou d’un individu. – Source : Littré.

[4schizophrénie : maladie mentale se développant généralement au début de la vie adulte. Elle est caractérisée par des difficultés à partager une interprétation du réel avec les autres, ce qui entraîne des comportements et des discours bizarres, parfois délirants.

[5Voir entre autres : GUNoF, un générateur de noms destiné aux écrivains en herbe, aux joueurs de MMORPG et de jeux de rôles et à tous les passionnés d’univers imaginaires ou de littérature fantastique... http://www.gunof.net/

[6Aire, carte topographique, univers d’un jeu vidéo

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