En 2015, sur les 3,025 milliards d’internautes à travers le monde, 2,060 milliards étaient actifs sur les réseaux sociaux et y passaient entre 1h30 et 2 heures par jour.
Au-delà de la "facilitation" des échanges, les systèmes techniques mis à disposition pour communiquer sur les réseaux s’apprêtent de plus en plus à caractériser et à prendre en compte nos personnalités, comme celles de nos interlocuteurs, via notamment les fameux Big Five ou cinq traits centraux de la personnalité empiriquement mis en évidence par le psychologue Goldberg dès 1990. [1]. En ligne, les interactions sont bien moins riches qu’en face à face. Nos différences expressives et personnelles se réduisent du fait que les expressions faciales ou le langage du corps n’y passent pas.
La communication à l’ère de l’homme électrique
Sur Twitter, notre pouvoir d’expression est réduit à 140 caractères et tend à nous uniformiser à force de nous imposer un cadre limitant en mots notre espace créatif. Nous modifions ainsi nos personnalités en ligne pour nous comporter selon les attentes de chaque média utilisé. Sur Twitter la tendance est au sarcastique et à l’argumentatif. Sur Facebook elle est à l’optimisme et au réflexif (et ce d’autant que l’algorithme de Facebook favorise cela). Pour le psychiatre Richard Graham [2], chaque plateforme encourage un type de personnalité.
Chaque site a sa propre culture. Par exemple, un site sur lequel vous pouvez seulement cliquer “Like” vous pousse (nudge) à exprimer un certain type de sentiment”.
Ces comportements sont encouragés par le fait que ce que nous y écrivons est lu par d’autres, ce qui nous pousse à faire attention à la façon dont on s’y comporte, à nous autocensurer. Nos personnalités en ligne sont alors très composées, comme l’explique John Suler, psychologue clinicien, Professeur de psychologie à la Rider University, New Jersey :
On ne souhaite pas, même accidentellement, se présenter d’une manière qui peut être interprétée négativement. On cherche souvent à se présenter aux autres de manière positive.
Pour Suler, les différences qui existent dans les expressions tiennent plus d’une volonté de se différencier que de refléter sa personnalité.
L’illusion de la majorité dans les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux ont également la particularité de pouvoir créer l’illusion que quelque chose est commun, même quand il est rare [3].
Certains messages semblent se répandre comme des traînées de poudre, alors que d’autres, tout aussi accrocheurs, semblent à la peine. Ce ne serait pas tant le contenu qui serait à la source de cette différence, que les propriétés intrinsèques des réseaux et de l’illusion de la majorité : le phénomène qui veut que dans les réseaux sociaux, on peut observer un attribut ou un comportement chez la plupart de ses amis, alors qu’il demeure rare sur le réseau dans son ensemble. En fonction de la distribution, plus que de la structure du réseau, on peut avoir l’impression qu’un attribut spécifique est fréquent alors que ce n’est pas le cas : il suffit que les nœuds du réseau (nos amis qui ont le plus d’amis par exemple) partagent plus ce message. L’illusion de majorité est donc complètement liée au paradoxe de l’amitié. C’est ainsi qu’on peut avoir l’illusion que des contenus sont très partagés ou propagés sans que ce soit réellement le cas. Diverses études ont montré que les adolescents surestiment systématiquement la quantité de drogue et d’alcool que consomment leurs amis, notamment quand ces derniers sont "populaires".
Commun, social et abus de sens
Et puis, à force de parler de "réseaux sociaux" sans se référer au sens et à l’étymologie, on en oublierait presque que ce n’est qu’une "adaptation rapide", voire algorithmique et de type "Google Traduction" [4] de l’anglo-saxon : "social network".
En effet, contrairement à nos voisins d’outre Atlantique, le "Social" hexagonal se réfère à un commun qui ne trouve pas forcément sa place sur les réseaux du net, même s’il est coutume d’entendre que "tout le monde" y a accès ou que des épigones d’Antonio Negri, comme Yann Moulier-Boutang ou Aris Papatheodorou, convertis à Internet, voient dans les réseaux un nouveau terrain de lutte et proclament que pour la grève, “la prochaine sera sur Internet” [5]. Comme d’autres "intellectuels assis à leur bureau", (occupés à la rédaction d’articles ou de conférence, chaussons au pied, depuis qu’ils ne battent plus le pavé qu’ils l’ont déserté depuis longtemps déjà), ils digressent sur "les réseaux sociaux comme nerfs de la guerre lors du Printemps arabe "ou "la révolution 2.0 est pour demain ".
Mais, en attendant que leur "monde meilleur 2.0" ne résolve les conflits, les grévistes n’aurons encore que leurs actions collectives pour obtenir des avancements sociaux et les agoras populaires raisonneront encore des prises de paroles.
PS : Loin d’être "réseauphobe", force est pourtant de constater que l’histoire a maintes fois démontré que l’illusion d’un progrès technique ne permettait pas de rénover la société, matériellement et politiquement.