Gamification du monde du travail…
"La gamification" (ou ludification ) est définie comme le transfert des mécanismes du jeu dans d’autres domaines, en particulier des sites web, des situations d’apprentissage, des situations de travail ou des réseaux sociaux. Son objet est d’augmenter l’acceptabilité et l’usage de ces applications en s’appuyant sur la prédisposition humaine au jeu.
Dans le milieu de l’entreprise aussi bien en interne qu’en externe, la gamification apporte un certain nombre d’avantages :
- Fidéliser les clients,
- Motiver la force de vente
- Former des employés
- Récompenser les meilleurs éléments
- Impliquer des salariés autour d’une problématique de l’entreprise
- Challenger les salariés
- Augmenter le sentiment d’appartenance à une marque, une entreprise…
- …
Elle permet de retrouver des leviers de motivation pour les populations peu sensibles aux systèmes d’animation traditionnels et de permettre ainsi la fidélisation des clients.
Le jeu devient alors une invitation informelle à "participer" et un outil marketing de premier ordre. (!).
Six mécaniques (game mechanics) correspondent à six dynamiques (game dynamics) :
La pub, la médecine, l’enseignement et toutes les industries qui souhaitent toucher un public familiarisé avec les univers virtuels se lancent dans le Serious Game. En 2010, la moitié des entreprises du CAC 40 avaient développé les leurs et selon le Wall Street Journal, 50% des entreprises américaines utiliseront la gamification d’ici 2015. En plus de réduire les coûts de formation grâce à la « dématérialisation » des supports et des lieux de réunion, le jeu sérieux a "l’avantage certain" de modeler les consciences et de susciter l’adhésion spontanée. "On essaie de forcer les salariés à vouloir apprendre beaucoup plus sans vouloir forcément les forcer" avoue un formateur qui travaille sur les plate-formes pétrolières de Total.
Quant à EDF, il a développé un « module comportemental » spécifique pour les arrêts de tranche ainsi qu’une simulation d’incendie pour intégrer les procédures à suivre : "Comme le parc nucléaire date des années 70-80, on fait face à de nombreux départs à la retraite qu’on remplace par énormément de jeunes. Et comme ça n’a pas été bien anticipé, le compagnonnage est très bref. On essaie de qualitativer le plus possible les connaissances des experts de manière alternative dans des serious games.".
Mais au delà des bonnes ou des mauvaises applications supposées, le serious game, qui participe de l’avènement de l’homme-machine dans un monde-machine, change également notre rapport au réel et construit une "distance" avec celui-ci…
Devant sa console, le militaire fait une guerre "dématérialisée"…
En janvier 2012, un chef du mouvement des Taliban au Pakistan était tué par un militaire opérant… depuis le Nevada. Dvant sa console vidéo, le soldat repère sa cible, affine son tire et tue son ennemi. Son service fini, il prend alors sa voiture, rentre chez lui pour déjeuner après avoir embrassé sa femme et ses enfants… De retour au "bureau", dans son uniforme, il reprendra son "télétravail" jusqu’au vacances.
Dans "Théorie du drone", le philosophe Grégoire Chamayou se penche sur les questionnements juridiques et moraux soulevés par une arme qui confère une immunité physique unilatérale [2].
Interrogé par un journaliste de Libération, sur l’engouement pour cette arme qui fait penser aux jeux vidéo [3], il souligne que si "il y a en effet tout un discours qui critique la « mentalité Playstation » des opérateurs de drones mais, pour moi, c’est un cliché".
"Souvent, quand on fait cette critique, on ajoute : « Ils ne savent pas qu’ils tuent ». Il est évident qu’ils savent qu’ils tuent ! La question, c’est plutôt : à partir de quel savoir le savent-ils ? En quoi cette technique produit-elle une forme d’expérience spécifique de l’homicide ? Il y a des effets d’amortisseur moral : on voit juste assez pour tuer, mais pas tout : ni le visage, ni les yeux. Surtout, on ne se voit jamais dans le regard de l’autre. C’est une expérience disloquée, hémiplégique. Les opérateurs cloisonnent, ils tuent la journée et rentrent à la maison le soir. La guerre devient un télétravail, accompli par des employés de bureau, très loin des images à la Top Gun. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que les premières contestations du drone aient été le fait de pilotes de l’Air Force. Ils refusaient la déqualification de leur travail, mais ils luttaient aussi pour le maintien de leur prestige viril…"
"Dans la guerre, tout est simple, mais le plus simple est difficile."
Cette "gamification" de la guerre n’est pas récente. Vers la fin du XVIIIe et le début du XIXe, l’amirauté britannique et l’armée prussienne s’intéressent sérieusement à l’emploi de simulation ludique pour développer de nouvelles tactiques et former leurs futurs cadres. En 1820 la Prusse va adopter le Kriegspiel, le jeu de guerre en français, comme outil de formation de ses officiers. Jusqu’au développement de l’informatique le jeu de guerre sera le principal jeu sérieux employé par la quasi totalité des armées du monde.
Pour trouver le concept moderne du jeu sérieux, il faut attendre les années 1970, avec l’œuvre du chercheur américain Clark Abt intitulé Serious Games4. Dans ses écrits, il voit dans le jeu de société, le jeu de plein air, le jeu de rôle et le jeu sur ordinateur (très peu développé à cette époque), des supports pour diffuser des messages éducatifs, politiques, marketing, etc. L’intérêt de ce chercheur pour tous les types de jeux sérieux découle certainement à sa participation au développement de TEMPER, l’un des premiers jeux de guerre informatisés destiné à prendre en compte le contexte de la guerre froide.
Ma vie 2.0
La réalité augmentée [4] s’immisce dans notre vie quotidienne avec des jeux comme Invizimals sur PSP, sur nos téléphones avec Nearest Tube Augmented Reality App pour l’iPhone et les Google Glasses pour se déplacer au quotidien [5] Associée aux réseaux "sociaux", elle nous permettra de nous entre connecter encore plus fortement. Mais à quel prix ?
– Réalité augmentée, "gamification" et réseaux "sociaux"
– Google Glass : One day...
Une journée type dans un monde gamifié.
– 8:15 – Lever
M. Martin se lève au son du réveil qu’il a échangé la veille contre 275 points Fnac. Il entre dans la salle de bain, se douche en moins de 5 minutes et gagne pour cela 50 points « Economie d’eau » auprès de sa commune. Ces 50 points lui font économiser 1 euro d’impôts et sont récupérés par sa commune, qui échange les points de ses habitants contre des subventions du Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable.
– 8:31 – Repas
M. Martin prend son petit déjeuner, mange un yaourt Danone. Danone le récompense par 10 points et notifie le Ministère de la Santé que M. Martin a mangé 1 produit laitier sur 3 ce jour, ce qui rapporte 15 points santé à M. Martin. Comme il va travailler en vélo et dépense 400 calories aller-retour, il gagne 50 points santé supplémentaires, ce qui lui permettra sûrement de réduire sa cotisation Sécurité Sociale à la fin du mois. Ses performances à vélo (battements de cœurs par minute, kilomètres parcourus, calories consommées) sont actualisées en direct sur le site « Adidas Perform » et comparées à ceux de ses amis sur un tableau de classement. Son amie Marie le défie pour le lendemain à brûler 600 calories. S’il relève le défi, il participera à un tirage au sort pour rencontrer son cycliste préféré.
– 9:19 – Au travail
Arrivé au travail – M. Martin est commercial dans une agence immobilière en ligne – il constate que grâce aux deux contrats signés la veille grâce à lui, il a atteint le niveau « Marchand Phénicien » dans l’application qui évalue les commerciaux de l’entreprise. En atteignant ce niveau, il gagne le droit de recruter un stagiaire et n’a plus que deux niveaux de retard sur son collègue qui a dernièrement atteint le niveau « Roi du Bagout » et a le droit de gérer une équipe de deux CDD et un stagiaire. M. Martin se connecte sur internet et tombe sur des publicités. L’écran de son ordinateur détecte le mouvement de ses yeux et lui fait gagner 15 points pour chaque pub qu’il fixe durant 5 secondes.
A midi, il va au restaurant de l’entreprise, consomme des fruits et légumes de saison (la commune lui offre + 20 points « Environnement »), un produit laitier, et ne mange pas de viande (+ 1 point SPA et +3 points WWF). En sortant, il signe la pétition du syndicat d’entreprise (+10 points UNSA) et retourne à son poste de travail.
– 18:02 – Sortie du travail
Ayant terminé ses 7 heures quotidiennes (+10 points 35h), il quitte le travail et visite le Musée du Quai Branly. Il se prend en photo devant une œuvre de chaque continent et obtient grâce à cela le badge du musée. Il ne lui manque plus que le badge du Musée Grévin pour obtenir le diplôme « Musées historiques de Paris » du Ministère de la Culture, qui certifie l’ouverture culturelle de M. Martin et lui donne accès gratuitement aux expositions d’un musée de son choix. Il rentre dans son immeuble, dit bonjour à sa voisine de pallier ( ce qui lui vaut + 1 point pour la compétence « gentillesse » sur MaPersonnalité.com).
– 21:13 – Soirée
Après son dîner et son troisième produit laitier (+15 points Danone, 3/3 produis laitiers quotidiens, le Ministère de la Santé est informé donc 15 points santé et un bonus de 30 points pour avoir accompli sa “mission produit laitiers” quotidienne), M. Martin rejoint ses amis au cinéma, pour voir le dernier film de Martin Scorsese. Il choisit le personnage qu’il veut incarner et s’installe dans la salle. Durant le film, il repère les 5 publicités cachées et gagne 50 points UGC. A la sortie, il invite ses amis au restaurant, grâce à un coupon d’achat gagné le mois dernier en se connectant pour la 500ème fois au site Groupon.com
Avant de se coucher, M. Martin allume son ordinateur, s’inscrit sur le jeu de réalité alternative « Une épidémie à Paris » qui simule une épidémie d’une maladie inconnue à Paris : à partir de demain, il portera un masque au travail, désinfectera son clavier et sa souris et se lavera davantage les mains. (source : elgamificator.com)
Dans un monde où les sollicitations sont de plus en plus nombreuses, la gamification est décrite comme la voie royale vers l’engagement du client et/ou du collaborateur. Mais la complexité de ce qui fait la vie, émotions et intelligibilité sensible du monde, s’y réduit à un scoring, n’offrant plus qu’une alternative binaire entre 0 et 1…
– Life 2.0 ?