Empire du don et Multitude du rien

Par Fulano
Publié le : Mis à jour : 19/12/15

Dans des milieux qui ne sympathisent pas ouvertement avec l’État, circule un discours dont le livre Empire de Michael Hardt et Antonio Negri, et des revues comme Multitudes sont des sortes de "porte-voix".

Dans des milieux qui ne sympathisent pas ouvertement avec l’État, circule un discours dont le livre Empire de Michael Hardt et Antonio Negri, et des revues comme Multitudes sont des sortes de "porte-voix".
Dans Empire, on ne trouve pas de véritable critique du travail. “Le rôle central précédemment occupé par la force de travail des ouvriers d’usines dans la production de plus-value est aujourd’hui assumé de façon croissante par une force de travail intellectuelle, immatérielle et fondée sur la communication".

Ce que les auteurs appellent ainsi n’est que l’éloge de la résistance aux conditions de travail capitalistes. La transformation du travail en valeur n’y est pas objet de critique ; au contraire, elle est considérée comme un fait ontologique, neutre et même positif. Negri et Hardt confondent le concept de travail abstrait avec celui de “travail immatériel “ : “Par le biais de l’informatisation de la production, le travail tend donc vers la position d’un travail abstrait. “ Le travail immatériel pourrait donc se valoriser lui même et n’aurait plus besoin du capital variable : “Cerveaux et corps ont toujours besoin des autres pour produire de la valeur, mais ces "autres" dont ils ont besoin ne sont pas fournis nécessairement par le capital et par ses capacités d’orchestrer la production [...] le travail immatériel semble ainsi fournir le potentiel pour une sorte de communisme spontané et élémentaire"

L’ordinateur serait l’instrument qui réalise le rêve d’un travail qui crée de la valeur sans intervention du capital. Negri parle en effet du “PC [non le Parti communiste, mais le Personal computer] comme capacité autonome de travail, comme outil intégré au cerveau, sans besoin d’un patron qui le prête en échange du travail... L’analyse de la dimension sociale et immédiatement communicative des formes nouvelles du travail vivant conduit les auteurs à chercher les nouvelles figures de la subjectivité, en ce qui concerne l’exploitation : “Après une nouvelle théorie de la plus-value, donc, une nouvelle théorie de la subjectivité doit être formulée, qui passe et fonctionne fondamentalement par la connaissance, la communication et le langage".
Quant à cette "sorte de communisme spontané et élémentaire", où la force de travail trouve dans la mise en commun, et non plus simplement le capital, la source de son "auto valorisation ", c’est très précisément cela que révèle le "postfordisme" : nouvelles conditions du travail en entreprise. Si l’avant-garde en la matière est japonaise, les firmes états-uniennes telles que Hewlett Packard ou Digital Equipment s’y sont attelées. Simplification des hiérarchies, transformation du lieu de travail, des liens entre ouvriers et direction permettent d’augmenter sensiblement la productivité et de réduire fortement les erreurs. Mais parallèlement, l’univers du travail devient progressivement virtuel et le "reengineering " réduit drastiquement les effectifs humains.

D’autre part, Antonio Negri comme Yann Moulier Boutang et les adeptes de ces nouvelles éthiques ne semblent pas voir dans l’existence simultanée du don et de la marchandise une contradiction.

Il est vrai que le don - en tant qu’échange basé sur la "réciprocité personnelle et différée" est l’expression d’une logique complètement différente de la logique marchande. Dans le marché, le lien social est instrumental par rapport à ce qui circule ; le lien social est un moyen pour faire circuler les choses en les échangeant ou en les redistribuant. Au contraire, dans le don, on tend à observer la relation inverse : ce qui circule est au service du lien, ou à tout le moins est conditionné par le lien. Ces auteurs ne voient donc pas dans l’existence simultanée du don et de la marchandise une contradiction qui doit nécessairement mener à une crise à cause du caractère omnivore de la valeur. Celle-ci doit chercher à tout transformer en marchandise, mais s’écroule à mesure qu’elle y parvient.
Désormais le concept de don est également utilisé par les économistes néoclassiques - qui ont découvert, par exemple, l’importance du volontariat - et par les "théories du management" qui commencent à apprécier la”valeur des liens”. Mais les théoriciens du don restent désarmés face à cette récupération, parce qu’ils ont déjà décidé qu’entre le don et la marchandise, il n’y a pas de polarité et que concevoir le don comme alternative totale à la marchandise serait un "romantisme" déplorable.

Fulano de Tal

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