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Zehra Doğan, libre prisonnière



samedi 21 octobre 2017,


Pierre Bance


Culture Solidarité

L’indomptable est en prison pour 2 ans, 9 mois et 22 jours. Parce qu’elle a peint un tableau à partir d’une photo de militaires qui signaient leur forfait par de grands drapeaux turcs étalés sur les immeubles en ruine de Nusaybin, ville kurde entrée en résistance au printemps 2016. Parce qu’elle a diffusé la lettre d’une enfant dénonçant la guerre.

Zehra Doğan n’avait fait que son métier d’artiste et de journaliste.

Celle qui fut l’une des fondatrices de Jinha (l’Agence d’information des femmes) aujourd’hui interdite, n’est pas seule en prison. Elles et ils sont des milliers à subir la répression d’Erdogan, dictateur islamiste. Zehra est une de leurs porte-voix puisque sa profession et son art les lui permettent. Elle ne s’en prive pas dans le livre Les Yeux grands ouverts. Journal d’une condamnation, chronique d’une exposition [1].
Le journal relate sa cavale entre sa condamnation le 10 mars 2017 et son arrestation le 12 juin 2017. Il est accompagné de divers textes dont l’aventure d’Özgür Gündem-Geôle, hommage au quotidien d’Istanbul Özgür Gündem séquestré et dont les journalistes sont arrêtés. Dans la prison de Mardin, Zehra, en détention préventive, et ses codétenues écrivent et illustrent entièrement à la main ce journal, sur du papier kraft, en septembre 2016. Outre l’information carcérale qu’il diffuse, il restera comme une œuvre d’art dont des extraits des deux premiers numéros sont reproduits dans le livre.


Nusaybin : photo des militaires Nusaybin : photo des militaires


Nusaybin : tableau de Zehra Dogan Nusaybin : tableau de Zehra Dogan


On y trouve aussi toutes les peintures réalisées par Zehra dans la clandestinité et remises, en mai 2017, aux journalistes de Kedistan, qui les sortiront de Turquie. S’il s’appelle Les Yeux grands ouverts, c’est parce que les personnages de Zehra ont des yeux plus grands que la normale. Dans les scènes souvent tragiques de ses acryliques, ils regardent pour témoigner que la violence étatique ne viendra pas à bout de l’idéal émancipateur. Cette atmosphère contradictoire donnée par une image de la dictature portant l’idée de libération est renforcée par le jeu des couleurs pastel. Des couleurs douces pour illustrer la violence, la douleur. Zehra écrit : « Il est impossible de ne pas ressentir le jaune de la moutarde, le rouge des céramiques, les tons magiques du marron des terres de Mésopotamie, le bleu des tatouages des femmes, le vert de l’espoir, le noir et le rouge du destin » [2]. Le noir et le rouge d’un autre futur.


Le Cri


Cède-t-on à l’émotion quand on lit Zehra Doğan ou qu’on regarde ses tableaux ? Certainement, mais cette émotion ne vient pas de la compassion, elle naît du cri des peuples d’Anatolie et de Mésopotamie. Cet espoir, les amis de Zehra le feront partager dans une exposition qui parcourra l’Europe en commençant par Paris au début de l’année prochaine « pour faire passer le message qui est le sien comme femme, journaliste, kurde et artiste » [3].

Ses juges, ses geôliers disent que Zehra est un suppôt du PKK, qu’ils aillent se prosterner devant le sultan d’Ankara. Ils lui ont retiré ses crayons, mais qu’est-ce qu’ils croient ? Lui couperaient-ils les doigts comme les bourreaux chiliens le firent à Víctor Jara que cela ne changerait rien.
Pierre Bance


Lire aussi :
- Sur Autrefutur : Tout "Le Monde" déteste le PKK / Un Autre Futur pour le Kurdistan ?
- Sur kedistan.net : "Zehra Doğan - Reportage depuis sa prison, avec Sara Aktaş"



[1Zehra Doğan, Les Yeux grands ouverts. Journal d’une condamnation, chronique d’une exposition, préface Naz Öke, Lyon, Éditions Fage, 96 pages, nombreuses reproductions en couleur, 21 euros frais de port compris, à commander sur le site Kedistan (http://www.kedistan.net/2017/09/09/livre-zehra-dogan-disponible-kedistan/).

[2Les Yeux grands ouverts : page 42

[3Kedistan, 1er octobre 2017. On se reportera à ce site ami pour suivre la suite de la campagne pour la libération de Zehra Doğan et la date des expositions (http://www.kedistan.net/2017/10/19/zehra-dogan-aragon-aurait-ecrit/).
Profitons de l’occasion pour dire qu’on trouvera sur Kedistan une information politique et culturelle venue d’un Kurdistan en marche vers la liberté et l’égalité.