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Bernard André Chroniques de la désobéissance (et autres textes)



lundi 22 octobre 2012,


Frank


Culture

Bernard André Chroniques de la désobéissance (et autres textes) , Lyon, ACL, 2012, 279 p. 18 euros.

Des milliers de personnes ont eu entre les mains des œuvres d’André Bernard, car c’est en très grande partie le concepteur de la maquette actuelle du Monde libertaire et qu’il a mis en page de nombreux livres, brochures et revues (éditions CNT RP, revue Les Temps maudits). L’anonymat et la belle ouvrage sont ses exigences.

Et comme objecteur durant la guerre d’Algérie, il a publié sur cette expérience et il défend sereinement la non violence. « Un anarchiste qui n’est pas violent n’est pas pour autant partisan de la non violence. Par ailleurs, un pacifiste peut ne pas être partisan de la non-violence. [...] la plupart des « non-violents » ne remettent pas en question le capitalisme, ni l’État, ni la démocratie représentative. Certains sont prêts, même, à collaborer avec l’armée dans le cadre d’une défense nationale. [...] La pratique violente ou non-violente est risque de coups, de mort même. On peut penser que rester chez soi est plus sûr, mais ce n’est pas certain. [...] »

Il s’agit des points 12, 14 et 19 de la contribution d’André à l’atelier « Violence-non-violence » pour la rencontre de Saint-Imier en août 2012. J’espère que les participants en auront tenu compte. Dans la même veine, on lit en introduction un engagement libertaire certain et une méfiance non moins évidente des lignes tranchées. « Pour moi, le rationnel et l’irrationnel peuvent cohabiter. Je suis toujours effaré par le rationalisme étroit, sec, de certains amis. [...] la culture c’est important, mais il y a des valeurs humaines, morales, dirai-je, plus importantes encore. La générosité, par exemple. »

On pourrait craindre que, entre la fin et le commencement du livre, on n’ait que des propos sur la non-violence. Ce n’est pas le cas puisqu’André a réuni des chroniques hebdomadaires de livres (récents) et d’articles de la presse libertaires, lues sur une radio libre du Bordelais entre 2009 et 2011, donc faites pour être compréhensibles et agréables à l’oreille, donc également à l’écrit.

Il me semble que le total dépasse quarante livres, dont André énonce les qualités qui l’ont frappé et dénonce parfois le jargon ou la mise en page négligée. C’est déjà un labeur remarquable. Parfois j’ai lu les mêmes ouvrages, mais André relève des aspects différents et j’aurai considéré comme essentiel « Le bref été de l’anarchie » d’Enzensberger ou les Mémoires de Makhno.

Quand André aborde la violence, il est très sobre, par exemple, pour le livre de Michael « Bommi » Baumann « Passage à l’acte. Violence politique dans les Berlin des années soixante-dix » ou le problème des Palestiniens. Des textes d’André et de son ami Pierre Sommermeyer complètent les recensions de livres et c’est évidemment les questions actuelles de la violence qui sont présentes.

Je rappelle la fine et brève citation d’André d’une interview des auteurs de « Cuba la révolution dans la révolution » « Si nous tentions de prendre les armes aujourd’hui, nous serions impitoyablement réprimés et condamnés à mort. Ce n’est que par le débat d’idées, avec des méthodes non-violentes et beaucoup d’imagination que nous y parviendrons. »

Il me semble utile de rappeler que cette attitude n’est possible (même chose pour l’Intifada et les attaques contre les Palestiniens) que parce qu’il y a la possibilité d’une couverture médiatique. C’était la même situation des dissidents soviétiques dans les années 1970-1980 à Moscou et Leningrad (où il y avait des correspondants de la presse étrangère capitaliste). Dans les autres villes (grandes ou petites), trop bouger entraînait des accidents mortels. Et ailleurs, par exemple en Bulgarie, pour la grève d’une demi douzaine de boulangers dans un secteur du quartier de Nadejda dans la capitale Sofia, dans les années 1970, les grévistes furent disparus. Et aucune institution n’en a eu connaissance (et les personnes ayant l’information ne pouvaient le faire sans exposer les quelques informateurs au même sort que les grévistes).

Aujourd’hui on se heurte parfois au fait que les critiques de certains pays ne sont pas « agréées » par les agences de presse (suivant les contrats financiers en cours, Argentine, Équateur, Laos, Mauritanie, etc.). Les réseaux militants sont alors fondamentaux pour « casser » l’image internationale de tel ou tel pays, ce qui donne un peu de répits sur place.

Mon interrogation concerne ce qu’André a lu sans confier au papier ses réflexions. Nestor Makhno est intervenu à plusieurs reprises dans des mouvement populaires pour s’opposer à des décisions sur le point d’être adoptées majoritairement sur l’exécutions de prétendus contre-révolutionnaires, voire de violences contre des Juifs. Makhno ne réussit pas toujours à convaincre.

Les anarchosyndicalistes espagnols de la zone républicaine firent face à un problème semblable en juillet-août 1936 avec les assassinats de curés (peu ou pas de nonnes). Buenaventura Durruti en sauva un en le prenant comme secrétaire parce ses ouailles voulaient le fusiller même s’ils reconnaissaient qu’il s’était bien conduit, et ils ne le voulaient plus dans leur village.

La haine accumulée en silence chez les opprimés durant des siècles de viols, d’assassinats par les « gens de biens et de culture (officiels) » (Russie tsariste et orthodoxe et Espagne royaliste et catholique) n’est pas aisée à surmonter. C’est plus facile durant les conflits ethniques attisés par des politiciens parce qu’à la base les relations entre familles des différentes ethnies dans les quartiers, les régions n’ont jamais été de guerre systématique et implacable.

C’est un aspect un peu différent des pratiques non-violentes, mais il existe sans doute des zones troubles de contacts.

Un livre à lire, d’autant plus que l’auteur donne son mail à la fin de l’ouvrage.

Frank