Communiqué de presse du Printemps de la Psychiatrie
Une grande cause nationale préalable à celle de la santé mentale : la démocratie. Le 22 septembre 2024, Michel Barnier a appelé à faire de la santé mentale « une grande cause
nationale ». Depuis plusieurs années, cette volonté politique revient tel un marronnier de communication politique. Là comme précédemment, il n’y a rien à attendre d’un tel gouvernement qui évolue dans un imaginaire politique étriqué alliant réaction, austérité, sécuritaire le tout sur fond de déni de démocratie. Et puis de quelle « santé mentale » parle-t-on ? Pour qui ? Pourquoi ? Et comment ?
La santé mentale est devenue un fourre-tout dans lequel se retrouvent pêle-mêle le marché du bien- être, les grandes souffrances psychiatriques, les difficultés d’adaptation des individus au monde contemporain, les dispositifs et institution de soins et d’accompagnement, le marché de la e-santé mentale.
Depuis l’ère Macron, l’intérêt pour la santé mentale se concentre essentiellement sur le numérique et les dispositifs d’évaluation, d’orientation (vers des professionnels et des institutions qui n’existent pas ou plus) et la construction d’un marché d’acteurs privés du numérique. Les applications sont appréhendées comme une révolution qui se développe sur le terreau fertile de l’abandon des services publics. Il suffit de se rappeler les interventions des Assises de la santé mentale en 2021 organisées par le pouvoir et clôturées par France BioTech et le président de la République.
En 2018-2019, à l’instar des EHPAD et des Urgences, les personnels, parfois avec les patients, des hôpitaux psychiatriques se sont soulevés à différents endroits de l’Hexagone. Malgré leurs luttes, malgré la crise Covid, la psychiatrie a continué à être prise en tenailles entre les contrôles gestionnaires et les dérives sécuritaires, charriant leur cortège de maltraitances institutionnelles.
Cette santé mentale là – la psychiatrie - qualifiée par les pouvoirs publics de « mauvaise santé mentale » ne suscite l’intérêt que lors de passages à l’acte violents [1], de « ratage psychiatrique » ou d’annonces ponctuelles de charité concernant le financement : fonds d’innovation organisationnel en psychiatrie, arrivée de l’équivalent de la tarification de l’activité (tarification par compartiment en 2022).
Souvent, les droits fondamentaux des personnes psychiatrisées sont bafoués. La crise est systémique, ce que rappelle sans cesse le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL). Parfois, les luttes dans le champ du Droit permettent de contraindre le gouvernement et les parlementaires à légiférer sur l’encadrement de l’isolement et de la contention mécanique. Sont plus vendeurs les gadgets brevetés de la e-santé mentale, leur rentabilité et leur expansion dans les plis toujours plus défaillants des services publics (par exemple : applications privées pour trouver du personnel, recours aux cabinets d’audits pour « transformer » l’offre de soins, applis encore pour trouver des lits d’hospitalisation, pour vendre des dispositifs connectés permettant d’éviter le recours à des « ressources humaines » de type soignant.e.s).
La santé mentale psychiatrique est la plupart du temps un champ de ruines pour les adultes et les enfants qui s’y soignent, pour les personnes qui y travaillent, pour les familles et les proches.
L’enthousiasme santé-mentaliste ne suffit pas pour masquer un désintérêt politique croissant pour les personnes les plus malades, pour les institutions et les professionnels qui les accueillent. Le virage ambulatoire s’est mué en vidage des lieux de soins.
Et dans le même temps, l’extension de la notion de santé mentale à l’ensemble de la société a eu pour effet de l’extraire du champ du soin pour aller vers celui de l’économie. Adapter les citoyens aux politiques publiques - qui font de la compétitivité, de la concurrence, de la réduction des services publiques et des dépenses leur pierre angulaire - tel est l’enjeu.
Pour brouiller les cartes, en 2007, s’est créée une hybridation entre une certaine psychiatrie optant pour une conception réductrice des troubles mentaux - les troubles seraient liés à des dysfonctionnements cérébraux toujours suspectés, jamais prouvés - et le monde l’entreprise, notamment du numérique. L’émergence du lobby FondaMental a été financé par les pouvoirs publics sous la présidence Sarkozy et appuyé par l’Institut Montaigne avec une volonté explicite de réformer les politiques publiques dans le sens de l’orthodoxie néolibérale. Sans discontinuer depuis, cet acteur se veut incontournable, sa prétention est d’unifier le champ psychiatrique afin de poursuivre son emprise sur « la santé mentale ». FondaMental se rêve en équivalent de France Alzheimer ou d’Institut National pour le Cancer et plaide sa cause.
Les pratiques cliniques attenantes à ce modèle de psychiatrie se revendiquent de l’évaluation, de l’expertise, de la recherche, du diagnostic, avec des plateformes de coordinations et d’orientation.
Mais quid du soin ? Les centres experts par troubles essaiment dans tout le pays comme solution miracle. Pour qui ? Pour les finances publiques, pour les créateurs de marché et / ou pour les usagers ? Les personnes qui y ont recours sont d’emblée intégrées dans des projets de recherche où leurs données personnelles (biologique, cérébrale, environnementales, sociales) sont captées par ces acteurs tandis qu’en fin de course ces mêmes personnes sont réorientées vers des acteurs privés qui n’existent pas ou sont trop chers.
Ici, la privatisation des soins aboutit à une triple privation : de soins, de droits, de libertés.
Privation de soins par la constitution de déserts médicaux suite à la fermeture d’établissements publics. Privation de droits : l’accès aux soins et la continuité des soins. Privation de libertés fondamentales : via la restriction des libertés de circulation (promotion des services fermés à clés au détriment des services libres), celle de la liberté de mouvements avec le retour en force de la contention mécanique (10 000 personnes par an sont attachées en psychiatrie), et via l’accroissement continu des mesures de contraintes légales (plus de 90 000 personnes par an) pour les enfants et adultes ayant des troubles psychiatriques.
Ainsi, dans le même temps, les discours de déstigmatisation s’accompagnent de ségrégations renforcées pour les personnes qui ne sont pas de bons clients pour l’idéal de « la santé mentale positive ». Remporter la mise en encourageant les start-up du numérique et abandonner toujours plus les personnes les plus précaires tant psychiquement que socialement, est-ce une cause honorable ?Pour la psychiatrie, l’enjeu d’une grande cause nationale qui aurait de l’intérêt serait de créer les conditions de possibilité de pratiques de soins psychiques accueillants et attentionnés envers les
personnes, et non se contenter des dérives de ses versions actuelles les plus hégémoniques : une cérébrologie et une médecine asilaire.
Une cérébrologie car l’intérêt pour le cerveau suffirait à appréhender la personne cachée derrière ce cerveau. La cérébrologie, en se centrant sur le corps de l’individu, limite son intérêt pour le contexte social, politique et environnemental dans lequel émerge les troubles voire, dans certains cas, les produisent (par exemple la souffrance au travail et les conditions managériales actuelles).
Une médecine asilaire car derrière « les progrès » de la cérébrologie les dispositifs de contraintes physiques, chimiques et légales et les institutions de contrôle se sont développés de façon exponentielle : unités de soins intensifs en psychiatrie (USIP) qui peuvent enfermer sans que les patient.e.s aient les mêmes garantie, en termes de droits, que dans les unités pour malades difficiles (UMD) ; élévation du pourcentage de personnes délirantes et suicidaires en prison ... A mesure que la cérébrologie se mure dans le déni de la folie, l’institution judiciaire, elle, se retrouve à développer toujours plus de « soins » en prison. Derrière cette médecine asilaire s’expérimentent des drames humains quotidiens. Des personnes attachées pendant des heures et des jours sur des brancards, des personnes qui se suicident, des personnes qui sont délaissées dans un désert relationnel, des enfants qui perdent espoir dans les dispositifs de soins et d’accompagnement. Le désarroi des parents, des enseignants, des éducateurs, de tout l’environnement autour d’enfants dans un contexte de listes d’attente interminables.
Le Printemps de la psychiatrie est né des révoltes de professionnels et de personnes en souffrance maltraitées par le système de santé psychiatrique. Jusqu’à ce jour, aucune réponse politique réelle n’est survenue, malgré les interpellations [2], les propositions, les actions.
Reste une question sous-jacente : dans quelle société voulons-nous vivre et avec quels liens inter- humains ? Penser la grande cause nationale sans interroger le modèle de services publics, de démocratie, de contre pouvoirs, de rapport à l’altérité, de solidarité, ne peut qu’accoucher d’une impasse.
Le Printemps de la Psychiatrie
23 septembre 2024