Texte de Pierre Bance, syndicaliste, journaliste indépendant.
Trop long pour une lecture à l’écran (18 pages), il est proposé au téléchargement. Il est libre de droits avec mention de l’auteur : Pierre Bance, et de la source : "autrefutur.net"
Récemment, Le Monde libertaire a publié une intervention publique d’un certain John Holloway. Des lecteurs se sont probablement demandé qui était cet Holloway expliquant que la crise n’est pas une crise du système financier mais une crise de la domination « parce que les dominés ne sont pas assez dociles, parce qu’ils ne se prosternent pas suffisamment ». La crise, dit-il, est provoquée par l’insoumission à la logique du capital, par tous ces « chemins hasardeux de l’invention de mondes différents, ici et maintenant, à travers les fissures que nous créons dans la domination capitaliste » [1]. Ce discours aux résonnances libertaires est pourtant celui d’un théoricien marxiste, un marxiste critique de l‘open maxism [2]
Depuis la parution, en 2002, de Cambiar el mundo sin tomar el poder, en espagnol puis en anglais [3], ouvrage qui a fait l’objet de traductions en quatorze autres langues et de plus d’une centaine d’études universitaires [4], Holloway jouit d’une notoriété certaine dans les milieux altermondialistes d’Europe du Nord, d’Amérique du Nord et du Sud. Il faudra attendre 2007 pour que paraisse une édition française sans que, pour autant, la pensée de cet auteur ne rayonne au-delà des cercles radicaux de l’altermondialisme et de l’autonomie [5]. Ce qui, ici comme en Italie ou en Espagne, peut s’expliquer pour deux raisons : une présence marxiste orthodoxe encore forte qui fait contrefeux ; surtout, une tradition anarchiste et une culture syndicaliste anciennes qui, porteuses d’une meilleure connaissance des idées anti-autoritaires, hypothèquent, en partie, la prétendue nouveauté des idées d’Holloway [6]. Observations qui rendent sa lecture d’autant plus nécessaire pour situer Holloway dans le débat radical et comprendre un mouvement altermondialiste déboussolé dans lequel les courants qui se reconnaissent dans son discours sont marginalisés [7]. Utile aussi pour corriger nos propres difficultés de convergence militantes et idéologiques pour réorganiser un mouvement anticapitaliste divisé, exsangue, et qui, hélas, fait souvent naufrage dans l’électoralisme.
Les pieds scellés dans le béton de la doctrine léniniste, le trotskiste Daniel Bensaïd a dénoncé « l’illusion sociale » répandue par John Holloway, son « anti-étatisme libertaire », sa « rhétorique qui désarme (théoriquement et pratiquement) les opprimés, sans briser le moins du monde le cercle de fer du fétichisme et de la domination », sa pensée révolutionnaire qui s’apparente « à une conversion religieuse » [8]. Ce règlement de compte entre marxistes mérite d’être nuancé d’autant que c’est la critique anarchiste qui se révèle la plus pertinente pour dévoiler un point de vue qui, par certains aspects, pourrait n’être qu’une contrefaçon.
Dans la doctrine d’Holloway, trois stades se distinguent bien que liés tout au long de l’exposé.
– D’abord, l’examen du monde qui nous entoure. Un monde où le travail dont l’unique fin est de produire de la valeur, étouffe le travail utile. Et la conclusion qu’il faut en tirer : la promotion du travail émancipé, sous ces multiples formes, nous débarrassera de la domination de l’argent à condition de prendre conscience du danger du rétablissement de l’ordre capitalo-étatique avec un projet de prise du pouvoir. Seul appréciera paisiblement cette analyse celui qui ignore tout de l’anarchisme et s’en remet à un marxisme abstrait, unique lieu de production de l’intelligence radicale.
– Ensuite, la recherche des moyens pour changer ce monde. Holloway développe alors sa théorie des fissures, toutes ces résistances créatives au travail aliéné : de l’acte individuel inconscient d’incivisme à la révolte des indiens du Chiapas, toutes ces initiatives insoumises qui, par les fissures qu’elles créent dans le mur glacé du capitalisme, sapent le moral et l’autorité des dominants, des privilégiés, et contribuent à changer le monde sans prendre le pouvoir.
– Enfin, la quête de nouveaux modes d’organisation. Là, Holloway reste vague mais reconnaît l’urgente nécessité d’une convergence basée sur la confiance et l’efficacité pour mener les luttes qui prépareront la révolution.
On l’a compris, quand on voyage avec John Holloway dans le monde des idées radicales, on ne se sent pas en sécurité, le communisme où il souhaite nous conduire emprunte des routes incertaines.
(… trop long, la suite du texte est à télécharger ci-dessous.)