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Vers un web éphémère



samedi 10 août 2013,


Contribution


Cyber Culture

Le 30 juin 2013, sur Techcrunch, magazine geek US en ligne, Sarah Perez, une blogueuse professionnelle écrivant sur les technologies de pointe, publiait un article intitulé : “la croissance de l’Éphémérique”.

Sarah Perez commence par expliquer que depuis l’avènement du Web 2.0, – en gros le Web que nous connaissons depuis le milieu des années 2 000 -, nous nous perdons en conjecture pour savoir ce que sera le Web 3.0. On a parlé de Web sémantique, rappelle-t-elle, celui où la machine pourrait lire les métadonnées, “ce qui permettra au web et aux services qui en vivent de comprendre les contenus et les liens entre les gens, les lieux et les choses dont les serveurs sont pleins”.

D’autres prétendent que le Web 3.0 sera l’internet des objets, on en a déjà parlé plusieurs fois ici même. D’autres encore prédisent un web tout à fait personnalisé.

Mais conclut-elle, pour le moment, aucune des perspectives ne l’emporte sur les autres.

Donc, que sera l’internet de demain ? Le Web connaîtra-t-il un nouveau tournant ?

“Oui, répond Sarah Perez, et ce tournant a lieu en ce moment. Il est difficile à identifier, ajoute-t-elle, parce qu’il ne naît pas des cendres d’un web largement desséché, comme ce fut le cas du Web 2.0 qui a fleuri sur les ruines du premier web. Le nouveau web grandit au bord du web d’aujourd’hui. Il pourrait un jour prendre le relai, mais ça reste à voir. Et il ne faut pas l’appeler Web 3.0, ce serait trop simpliste. Mais il mérite qu’on identifie son existence.”

Pour l’expliquer, Sarah Perez revient un peu en arrière et rappelle ce qu’est le Web 2.0 : des logiciels légers rendus publics en version bêta, la sagesse des foules et les contributions volontaires des usagers faisant la valeur des services. Facebook et la publicité ciblée. Wikipédia et le temps de bénévoles passé à construire une encyclopédie, la blogosphère, le partage, les commentaires, etc. C’est tout ça le web 2.0.

“Pour ceux qui ont vu émerger le web pendant leur vie, la possibilité de publier et d’être en lien avec un public innombrable et mondial est une merveille. [...] Mais aujourd’hui, poursuit-elle, une nouvelle cohorte d’usagers arrive à maturité. Et eux ne sont pas dans l’émerveillement de la connectivité et de l’ouverture que le web procure. Pour eux, c’est comme si tout cela avait toujours existé. Et, même, parfois, ils s’en indignent”.

“Nous avons posté, écrit Sarah Perez, nous avons liké, nous avons partagé, nous avons hashtagué. Et quand nous sommes arrivés au bout de cette documentation de nous-mêmes, nous sommes passés à nos enfants. En âge de devenir des usagers du web, ces jeunes natifs du numérique que nous avons catalogués sans leur consentement sont en train de se rebeller. Ils rejettent les valeurs de la génération précédente – celles de leurs parents, de ceux qui ont autorité sur eux – et en définissent de nouvelles. Ils ne veulent pas de réseaux sociaux ouverts, ils veulent leur intimité. Ils ne croient pas que tout acte doive être sensé et permanent. Ils imaginent le web comme quelque chose d’effaçable.”

D’où la thèse centrale de Sarah Perez, la naissance d’un Ephémérique, d’un web éphémère.

Elle en donne des exemples : l’incroyable engouement pour Snapchat, un service de messagerie éphémère où les photos et les vidéos qui sont faites sont supprimées après avoir été partagées.

Elle voit un autre signe dans la fragmentation du marché de la messagerie, les gens s’éparpillant dans des dizaines de services semblables les uns aux autres, signe d’une rébellion contre l’idée qu’un seul réseau dominerait tout. Elle cite des applications où les données se partagent en cercles restreints, de manière isolée et privée, à côté du grand web. De la même manière, l’usage qu’ont les jeunes de Twitter, sous pseudonyme et profitant du fait qu’on ne peut accéder à des tweets anciens de plus d’une semaine.

Pour Sarah Perez : “il ne s’agit pas seulement là d’une nouvelle façon de socialiser en ligne, mais une nouvelle manière de penser tout”. Car ce phénomène touche les échanges monétaires avec Bitcoin, la monnaie virtuelle décentralisée, qui n’a pas besoin de banque ou de contrôle gouvernemental. Elle cite par ailleurs toute une série d’applications qui connaissent un succès grandissant en proposant de sécuriser les communications, de crypter les SMS ou d’installer des systèmes de communication internes qui n’archivent pas les messages. Et Sarah Perez de supposer que “dans une ère post-Prism, il y a même une chance que cette tendance vers plus de vie privée s’enracine plus profondément”. Et elle cite ce moteur de recherche anonyme Duck ! DuckGodont la fréquentation a cru de 50 % la semaine qui a suivi les révélations de Prism. Si cette tendance devait devenir autre chose qu’une réaction ponctuelle, ce serait l’ouverture d’un nouveau champ qui pourrait se développer conjointement aux services que nous utilisons déjà et que nous continuerions à utiliser.

“Une nouvelle norme sociale pourrait s’établir”, ajoute-t-elle pour conclure. “Une règle qui voudrait que ceux qui cherchent la lumière soient dénoncés et ostracisés, qui voudrait que nous valorisions les connexions humaines permises par la technologie plus que nos performances dans les réseaux ; qui voudrait que nous nous souciions plus de nos relations, et moins du nombre de “likes” ou des scores de partage de nos contenus.”

Voilà pour ce texte qui a pour mérite de donner une issue un peu plus optimiste à la tournure prise par l’évolution des réseaux (et notamment les phénomènes d’écoute généralisée), mais qui le fait à l’américaine, c’est-à-dire en supposant que c’est le marché – en l’occurrence le désir des usagers pour plus de vie privée, pour une garantie de non-archivage des données – qui l’emportera plus qu’une tentative d’action par la législation.

Reporté par X. de la Porte ; Internet Actu