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Une brève histoire des applaudissements, le Big Data de l’Ancien Monde.



mardi 9 juillet 2013,


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Cyber Culture

Le 15 mars 2013, Megan Garber, journaliste pour "theatlantic.com", publiait un article sur les applaudissements à l’heure des SMS, de Twitter et des likes.


Megan Garber commence par rappeler qu’au 7e siècle, en plein déclin de l’Empire Romain, l’empereur Héraclius avait organisé une rencontre avec un roi barbare, qu’il voulait intimider. L’armée impériale n’ayant plus les moyens d’impressionner personne, Héraclius engagea des hommes pour peupler ses troupes. Mais son but n’était pas militaire, il les engagea pour applaudir. Cette tactique ne sauva pas l’Empire, mais Héraclius écrivait ainsi un postscriptum à la longue relation que l’Empire avait entretenue avec un des modes d’interaction les plus anciens et les plus répandus parmi les hommes : le fait de frapper ses mains l’une contre l’autre. Dans l’Ancien Monde, on applaudissait pour acclamer, mais c’était aussi de la communication. C’était d’une certaine manière, du pouvoir. Une façon pour les fragiles petits hommes de recréer, par le tonnerre de leur main, les grondements et les fracas de la nature.

“Aujourd’hui, poursuit Garber, les applaudissements relèvent à peu près du même usage… [...] On applaudit consciencieusement. On applaudit poliment. On applaudit, dans le meilleur des cas, avec enthousiasme. On applaudit, dans le pire des cas, avec ironie. Pour le dire vite, nous trouvons des manières de nous représenter en tant que foule – par l’intermédiaire de la foule.”

“Mais, poursuit Garber, nous sommes aussi en train de réinventer l’applaudissement dans un monde dont, techniquement, les mains sont absentes. On applaudit les statuts FB des autres. On partage, on linke, on retweete ce que nous trouvons bien pour amplifier son effet. On friende, on follow, on +1, on recommande, on mentionne, car nous savons que l’audience est la forme propre de rétribution de ces contenus. Nous trouvons de nouveaux moyens d’exprimer nos enthousiasmes, de communiquer nos désirs, d’encoder nos émotions pour qu’elles puissent être transmises.”

Megan Garber fait donc dans son papier une histoire de l’applaudissement. Sa thèse est la suivante : “Les applaudissements, à la fois participatifs et observationnels, étaient une forme antique de média de masse, reliant les gens les uns aux autres et à leurs chefs, de manière instantanée, visuelle et, évidemment, audible. C’était une analyse de l’opinion publique, qui révélait les affinités et désirs du peuple connecté. C’était le moi qualifié cédant la place à la foule quantifiée. C’était le Big Data [1] avant la massification des données.”

La suite du papier de The Atlantic est trop longue pour que je puisse la traduire entièrement, mais quelques éléments qui font particulièrement échos à ce que nous pouvons observer aujourd’hui.

D’abord, le fait d’applaudir est très ancien, on en trouve de nombreuses mentions dans la Bible par exemple. C’est, dans la culture occidentale du moins, le théâtre qui l’a formalisé, et ceci, dès l’Antiquité. Mais, dès la Rome antique, c’est aussi un geste politique, utilisé par les chefs pour évaluer leur popularité. “Avant les sondages téléphoniques, avant le vote en temps réel par SMS, avant que le Web ne permette le bouton « achetez » et les cookies, les chefs romains amassaient des données sur le peuple en écoutant les applaudissements”. L’applaudissement est donc, dès cette époque, une “technologie politique” selon Garber et c’est manifeste dans les amphithéâtres, où l’empereur se légitime en se faisant applaudir. “Ces arènes, écrit Garber, sont l’équivalent à Rome de la radio et de la télévision, l’incarnation ancienne des Questions-Réponses sur Twitter, des interviews sur Youtube : elles permettaient au puissant d’interagir avec ses sujets, en masse. Elles offraient l’illusion, et pas la réalité, d’une liberté politique. Et l’applaudissement – médium et message à la fois – est devenu le véhicule de la performance. C’est ainsi que le peuple répondait à ses chefs.”

Les applaudissements se sont aussi sophistiqués, avec les symphonies et l’Opéra notamment, qui exigeaient d’applaudir à certains moments et pas à d’autres.

Mais les applaudissements se sont standardisés et institutionnalisés. Dans les spectacles d’aujourd’hui, note Megan Garber, ils sont devenus une attente plus qu’une récompense.

Néanmoins, note-t-elle, “nous y remettons de la nuance. Nous trouvons de nouveaux moyens de réinventer l’applaudissement, de le faire redevenir ce qu’il était : une forme collective et codée de communication. [...] Nous avons trouvé de nouvelles manières de réinventer l’éloge public. Nous mettons en lien, nous likons, nous partageons. [...]Et nous sommes conscients de nous-mêmes, du Nouveau rôle qu’un nouveau Monde nous donne. Nous sommes à la fois spectateurs et acteurs. Nos applaudissements font partie, dans un sens très réel, du spectacle. Nous sommes tous, à notre manière, une claque. Mais, aujourd’hui, nos applaudissements importent plus, car ils ne sont plus éphémères. Ils sont des performances en soi, les louanges sont enregistrées, les rythmes tracés, les modèles sont analysés et ! exploités. Ils donnent des messages qui sont beaucoup plus profonds que l’applaudissement en lui-même.”

Traduction : Xavier de la Porte


Article original : "A Brief History of Applause, the ’Big Data’ of the Ancient World" - theatlantic.com/ -


[1Big data, littéralement les Grosses données, est une expression anglophone utilisée pour désigner des ensembles de données qui deviennent tellement volumineux qu’ils en deviennent difficiles à travailler avec des outils classiques de gestion de base de données ou de gestion de l’information.