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"Tu seras peut être ouvrier comme ton père mais au moins tu sauras t’exprimer face au patron"



lundi 4 juin 2012,


Contribution


Culture Réflexions

En 2007, sur Poitiers, un collectif lance le projet "100 jours" soit un film documentaire par jour, avant les élections, à la rencontre de personnes, militant(e)s ou non. Le collectif reprend l’idée en 2012, 100 jours avant les élections présidentielles. [1]


Luc Bonet. Militant anarcho-syndicaliste

Je suis fils d’ouvrier et je me rappelle – il se trouvait que ça allait assez bien à l’école – que ma mère me disait : “écoute, toi tu seras peut être ouvrier comme ton père mais au moins tu sauras t’exprimer face au patron”. Donc il y avait cette chose là, c’est-à-dire qu’on puisse au moins s’exprimer.
Et moi, ce que j’ignorais, c’est qu’au delà du fait de s’exprimer qui est de première importance – je le vois comme syndicaliste quand on file un coup de main – ça peut être tout simplement faire une lettre, non pas que les personnes ne sachent pas écrire, ça, ça peut arriver, mais elles ne savent pas écrire à leur patron. Si moi je fais une lettre pour le syndicat, dans la semaine j’aurai la réponse. Donc, savoir s’exprimer c’est la première chose.

Mais quand on en est à ce niveau là, et qu’on en est toujours à ce niveau là, et qu’on voit le pas qu’il faut faire, c’est-à-dire pas seulement s’exprimer mais savoir aussi réfléchir avec les autres, savoir chercher l’information, rentrer dans des processus de décisions, de délibérations, l’école ne t’a rien donné là-dessus. On a l’impression qu’aujourd’hui l’école te formate pour les besoins du marché du travail, point. Or fondamentalement le travail c’est quelque chose qui est une activité complexe.
Mais aujourd’hui pour n’importe quel travailleur, une salariée du nettoyage par exemple, quand ils font du nettoyage à 5h du matin dans une boite, ils ne sont pas simplement une espèce de bras qui tient un aspirateur ou tel autre instrument. Ils savent pourquoi ils sont là. Comment ça se fait. Comment ils se font avoir aussi. Enfin je veux dire, il y a des finalités, il y a un tas de choses qui se mettent en place. Mais dans la société actuelle, ces personnes sont absolument coupées de tout ce qui peut être une décision, à part de savoir, si à ce moment là elles vont utiliser ou pas leur instrument de travail.

Il n’y a pas de société où il n’y ait pas quelque chose de l’ordre de l’action contre. C’est pour ça que je dis qu’il n’y a pas de société à la Big Brother. Je pense que le roman d’Orwell est un magnifique roman, mais on voit bien dans l’histoire que ce type de société, heureusement, ne peut pas rester bien longtemps en place. Il y a toujours eu à améliorer, il y a toujours des formes de contre-actions.

Question : Et donc il y a toujours des gens qui ne réagissent pas mais qui ne sont pas forcément contents non plus ?

Oui, là on tombe sur le problème, comment dire, le problème inverse ; c’est-à-dire que les gens qui ne sont pas contents mais qui n’agissent pas, c’est-à-dire qui ne se mettent pas en situation d’agir, c’est-à-dire, encore une fois, de prendre contact avec d’autres personnes, de réaliser des choses ensemble… ça c’est la graine du fascisme.
Ce sont des gens qui à ce moment-là ne sont pas contents et demandent à ce qu’un pouvoir fort les débarrasse de leur mécontentement ; et donc ils ne prennent absolument pas en charge leurs affaires, et là, ils délèguent du pouvoir. Ils délèguent du pouvoir parce que là ils ont une manière de protestation qui est de l’ordre de la faiblesse totale. C’est l’impuissance qui devient une puissance, parce que là on est, non pas dans l’ordre de la délégation du pouvoir qu’on aurait pas, mais dans l’ordre de la délégation d’un pouvoir qu’on veut fort.

C’est quand les choses vont plutôt bien économiquement qu’il y a les mouvements sociaux les plus intéressants. La plus grande grève générale en France a eu lieu en 68. 68 c’est 2% de chômage, et encore. C’est parce que quand on se sent fort en tant que salarié, on a envie de poser des vrais problèmes qui sont des problèmes qualitatifs : derrière la question de savoir le revenu, c’est de vivre un peu mieux, d’être un peu moins dans la galère.
La période des années 68-70 c’est la période où on pose le problème de l’autogestion, de vivre et travailler au pays, de “je n’en peux plus de travailler 8h sur la chaîne” etc. Enfin bon, donc on pose des problèmes qualitatifs.
Quand tu es dans des périodes de crise comme aujourd’hui ; crise pour nous, par pour les patrons – pour ce qu’on appelle le capital, il va très très bien. Donc, quand on est dans des périodes de crise comme on les vit depuis maintenant plus de 20 ans, hé bien le qualitatif passe à la baisse, on est dans le domaine de la survie. Et l’idée quand même, enfin pour moi l’idée importante, c’est comment on passe justement au qualitatif, c’est-a-dire comment on se pose des questions sur nos vies…

(lire également :La Culture est-elle soluble dans le syndicalisme ?)