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TRENTE ET UNE THESES SUR LA RUSSIE POST-SOVIETIQUE


Carnet de guerre #7


mercredi 22 février 2023,


Jean-Marc Royer


International Réflexions

Nous poursuivons depuis le début de ces « Carnets de guerre », une analyse des faits historiques, économiques, politiques, idéologiques etc. Cela nous semble absolument indispensable avant de s’autoriser un quelconque « point de vue », hormis celui du soutien inconditionnel à la résistance, à l’autonomie et à l’émancipation de toute population, surtout lorsqu’elle est agressée par une puissance armée. C’est dire que nous nous tenons loin de toutes les analyses « géostratégiques » ou « théorico-abstraites » qui enjambent les réalités humaines au profit de discours sur les conflits entre Etats, entre états-majors militaires, entre idéologues de tous les bords, ou qui prennent un appui bien fragile sur les déclarations des uns et des autres [1].

Dans les six Carnets de guerre précédents, nous avions abordé le rôle des occidentaux et de l’Otan depuis 1990, puis celui du capital allemand dans « l’anschluss de la RDA [2] », un évènement au moins autant fondateur du nouvel ordre politico-militaire en Europe que la disparition de l’Urss, en tant qu’il fut le point d’orgue d’une contre-révolution internationale des néolibéraux débutée en 1973.
Nous avions rappelé les engagements russes à respecter les frontières internationalement reconnues, fait un rapide tableau des huit guerres précédemment menées par Poutine et attiré l’attention sur les multiples dangers de « dérapages nucléaires » de la guerre en cours.
Cet opus tente de brosser à grands traits et sous forme de courtes thèses, une histoire de la fédération de Russie entre 1991 et 2002 afin, d’une part, d’esquisser une anthropologie politique des populations qui ont connu un parcours peu commun durant des décennies ; d’autre part d’étudier l’ascension et la construction du nouveau pouvoir. Toutes choses qui pourraient nous permettre de mieux comprendre quelques uns des déterminants politiques majeurs de la situation actuelle, en essayant d’en tirer quelques réflexions, mais sans pour autant oublier que la vie de milliers de civils ukrainiens est détruite jour après jour, nuit après nuit [3].

Prémisses d’une « anthropologie politique en Russie »

1) Le stalinisme avait pour projet affiché la construction de « l’Homme nouveau et du communisme » en URSS. Tous les moyens pour y parvenir furent déclarés légitimes, à partir du moment où ils étaient reconnus comme « efficaces » par le PC [4]. C’est ainsi que les libertés publiques et individuelles furent rangées au rang des accessoires formels et abstraits du capitalisme (qui effectivement les instrumentalise, mais était-ce une raison pour les rejeter ?). Le droit à une vie décente, repoussé à l’avènement du communisme, passait derrière l’industrialisation du pays et la course aux armements [5]. La machine étatique de propagande stalinienne avait même « convaincu » les citoyens qu’ils étaient aux portes du paradis socialiste, ce qu’ils furent bien obligés d’accepter, à moins de prendre plus ou moins rapidement le chemin des différents formes de marginalisation ou de relégation dans lesquelles des millions de personnes ont disparu [6].

2) A la fin des années 1980, la révélation des crimes staliniens fut un évènement d’une dimension et d’une portée socio-historique considérable que l’on peut comparer, pour ses répercutions, à la décapitation d’un monarque de droit divin dans une société pré-industrielle. Mais cela ne fut pas le fruit d’une mobilisation populaire et encore moins celui d’une révolution. L’effet dévastateur sur les consciences n’en fut que plus profond. D’autant que l’ampleur du phénomène ne laissait qu’une seule manière d’en réchapper, faute d’une élaboration socio-historique adéquate : le refoulement. Et pour le consolider, une dénonciation de sa source putative, le bolchévisme, autre nouveauté dans la révision de l’histoire officielle qui ajoutait au trouble de tous les croyants.

3) C’est ainsi que la position idéologique principielle (ou axiomatique) de la Révolution d’Octobre s’est effondrée et avec elle la clé de voûte concrète de la « Vérité Soviétique », autrement dit de toute une vie sociale solidement établie depuis trois générations.

4) Parallèlement, les fondements politiques d’un pouvoir de droit messianique et d’exercice autocratique se sont disloqués, ce que la révocation des institutions de l’URSS, nées de la Révolution d’octobre, est venue approfondir. Autrement dit, Gorbatchev a mis en question le stalinisme alors qu’il était isolé dans un PC encore farouchement attaché au soviétisme comme modèle étatique de sa domination.

5) En plus de cette chute séculaire, soudaine et inattendue, il s’est ensuite produit une dissociation du parti et de l’Etat : il n’y eut plus un secrétaire général à la tête de l’URSS, mais un président élu, nu, dépouillé de tous ses « oripeaux communistes », seul, c’est-à-dire sans politburo et fragile. Gorbatchev en fera les frais – Eltsine aussi, finalement, malgré ses appuis libéraux – ce que Poutine, depuis son poste de commande dans l’administration présidentielle, aura bien compris.

6) Au cours des deux premières années d’existence de la Russie post-soviétique (1992-1993), le parlement à majorité stalinienne s’est systématiquement opposé à la politique de réformes économiques néolibérales menée par Boris Eltsine à coups de décrets. L’emblématique coup de force du président en septembre 1993, puis la dissolution du parlement en octobre, constituent le point de départ d’un nouveau régime consacré par la Constitution adoptée le 12 décembre suivant. La primauté présidentielle fut désormais constitutionnelle ; elle contribuera décisivement à ouvrir la voie à de profonds changements économiques, sociaux et politiques. Après le stalinisme, le soviétisme et le communisme allaient ainsi rejoindre les accessoires d’une histoire tragique et inassumée.

Le néolibéralisme s’installe

7) Les idées de la « contre-révolution néolibérale » [7] diffusent rapidement à Moscou grâce à quelques anciens apparatchiks enrichis ou aux jeunes loups qu’ils patronnent comme Iegor Gaïdar ou Anatoli Tchoubaïs. Tous les occidentaux sans exception ont été surpris par le rapide effondrement du pays des soviets. Nul besoin donc, d’invoquer un « grand ordonnateur étatsunien » de cette chute : c’est de son propre passé et de ses propres turpitudes que surgiront les oligarchies maffieuses, même si, dans un deuxième temps, le capital occidental s’efforcera d’en retirer des bénéfices par le biais de fondations, de la Banque Mondiale, de la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement) et du FMI. Mais ce fut à la marge : sa perception fantasmatique de l’URSS depuis toujours, son absence dans les rouages décisionnels effectifs [8] et l’extension rapide d’un système maffieux issu de la nomenklatura autochtone, l’ont marginalisé.

8) La « thérapie de choc » [9] initiée en 1992 par le gouvernement Eltsine fut un « casse » bien plus important que celui qui fut opéré par le capital allemand, exactement au même moment, et que nous avons nommé « l’anschluss de la RDA ». Plus de 112 000 entreprises d’État ont été privatisées, si bien qu’en 1998 les trois quarts du PIB environ relevaient du secteur privé. Le Russian Privatization Center conduit par Anatoli Tchoubaïs y aura joué un rôle important et similaire à celui de la Treuhand [10]. Mais en Russie la spoliation, la rapine, le vol et les pratiques maffieuses à grande échelle présideront à la naissance et à l’extension d’un phénomène oligarchique qui dictera sa loi au pouvoir qui lui a donné naissance.

9) La manière d’installer cette déstructuration radicale de l’économie et de la société relevait du crédo suivant : agir vite et créer une situation qui rende impossible tout retour au pouvoir du parti communiste ou bien qui l’enchaîne à des obligations intangibles selon des lois et la constitution récemment adoptées dans cette intention [11]. Tout cela fut fait en promettant à la population une élévation du niveau de vie, une plus grande justice sociale, la modernisation du secteur des biens de consommation et un contrôle des salariés sur l’outil de production par la distribution de « coupons de privatisation ». Leur valeur et leurs droits de propriété s’avèreront in fine totalement illusoires pour le quidam. Pour couronner le tout, en 1995, la première génération d’oligarques a notamment bénéficié du système « Prêts contre actions » qui lui a permis de prendre des participations dans les douze plus grandes entreprises d’État, en échange de prêts destinés à renflouer le budget fédéral.

Conséquences sociales et résurgence de l’Etat fort

10) Il s’en est suivi une grande dépression, aussi profonde que celle des Etats-Unis ou de l’Allemagne au début des années 1930. Les services publics se sont désagrégés, l’espérance de vie et la croissance démographique ont vertigineusement chuté. Les inégalités ont explosé : les nouveaux milliardaires faisaient main basse sur tout ce qui pouvait augmenter leur capital et leur fortune personnelle. L’inflation a dépassé les 3700 % en trois ans. Le choc fut immense. La moitié de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 1998 et le niveau des salaires réels en 2001 s’établissait toujours à 50 % de ce qu’il était en 1989  [12]. En conséquence, les mobilisations sociales – on ne pouvait certainement plus parler de société civile en tant que telle à ce moment-là – furent marginales, éclatées et certainement pas à la hauteur de ce qui était en train de se passer.

11) En 1996, Eltsine ne devra de rester au pouvoir qu’aux sept dirigeants de banques que l’on a nommé les « Semibankirchtchina », qui, détenant plus de la moitié de l’économie russe [13], dictaient les plus importantes décisions économiques et politiques du pays. Il s’agissait de Boris Berëzovski, Mikhaïl Khodorkovski, Vladimir Goussinski, Alexandre Smolenski, Vladimir Vinogradov, Mikhail Fridman et Vladimir Potanine. Seuls ces deux derniers, par ailleurs totalement rentrés dans le rang, survivront à l’arrivée de Poutine au Kremlin [14].

12) Face à la terrible régression et aux mécontentements sociaux provoqués par la « thérapie de choc » néolibérale, un pouvoir fort a tenté cahin-caha de se mettre en place, en stigmatisant les « basses classes promptes à la révolte », à contrario des couches moyennes auxquelles on faisait miroiter les avantages du « ruissellement économique » issus du système oligarchique, en récompense de leur patience et de leur fidélité.

13) Les coups d’Etat de 1991 et 1993, la première intervention coloniale en Tchétchénie en 1994, [15]l’instrumentalisation du terrorisme [16] par le FSB à l’automne 1999 afin de déclencher la seconde guerre de Tchétchénie [17], ce furent-là quelques-uns des actes d’une violence inouïe destinés à asseoir le nouveau pouvoir. Ils ont sonné comme un avertissement aux velléités d’opposition qui seront par la suite totalement muselées.

14) L’indifférence remarquable des occidentaux vis-à-vis de la tragédie Tchéchène – un confetti d’Empire sans intérêt vital pour eux et musulman de surcroît – a traduit leur capacité, quoi qu’il en coûte, à poursuivre les affaires avec une dictature féroce et surtout, leur « capacité d’indignation inversement proportionnelle à la puissance de l’agresseur » [18]. C’est cette politique occidentale qui est encore à l’œuvre depuis vingt-trois ans et qui a sa part de responsabilité dans le déclenchement de l’invasion actuelle de l’Ukraine.

15) Dans la perspective de consolider les bases idéologiques du nouveau pouvoir, les convictions de la population russe ont été orientées vers un autre passé, à la fois consolateur, rassurant et substitutif. Ainsi, l’exhibition récurrente de la Grande Russie Tsariste comme une société en marche vers la « modernité occidentale » consistait à proposer au bon peuple le retour à une mythique « identité immémoriale russe ». Mais valoriser la tradition autoritaire et conservatrice de l’époque tsariste ne faisait pas bon ménage avec la propagande et la politique néolibérale du gouvernement Eltsine. D’autant qu’une corruption maffieuse et généralisée empruntait tous les canaux de la modernité pour s’établir au vu et au su de chacun.

L’arrivée du clan Poutine impose un triple mouvement :
destituer les oligarques, fonder un nouveau roman national et régner en maître absolu.

16) Pour surmonter les difficultés idéologiques rencontrées par le pouvoir précédent, Poutine et ses sectateurs comprennent qu’il sera nécessaire d’enjamber le « malheureux xxe siècle » et de restaurer un autre rapport au passé. Ils se lancent alors dans une réinterprétation de l’histoire nationale exaltant la « Grande Rus’ » à travers les siècles [19]. Tous les manuels d’histoire, de l’école à l’Université, seront méticuleusement réécrits dans cette optique.

17) Avant et après la seconde guerre mondiale, les staliniens avaient imposé le rejet d’un Occident entièrement réduit au capitalisme. Après 1991, les nantis de la Russie post-soviétique, notamment les oligarques, avaient établi des liens de toutes sortes avec l’Occident, surtout avec ses paradis immobiliers, bancaires ou fiscaux. Poutine a mis la rupture, puis la guerre avec les occidentaux, au cœur de son régime [20] et sa machine de propagande a imposé à la population une vision de l’Occident comme un ennemi éternel du peuple russe.

18) La revendication d’une « voie particulière » de l’histoire russe à travers les siècles deviendra la forteresse à partir de laquelle sera combattu tout ce qui pourrait rappeler « l’Occident corrompu ». Narodniki, socialistes, bolcheviks, seront classés comme « agents de l’étranger ». Ériger l’ancienne autocratie en gardienne, après Constantinople, des fondements de la « troisième Rome », de la gloire de la Nation et dépositaire des vertus éternelles de la Rus’, c’était amener le peuple à reconnaître qui l’incarne à présent et pourquoi il faut accepter son pouvoir absolu…

19) Mais la glorification de la « Grande Guerre patriotique », c’est la trouvaille qui permît de réinstaller un large consensus mémoriel autour du « sacrifice inégalé du peuple russe » érigé en icône populaire et sacrée, pour toutes les générations. En outre, la nouvelle alliance avec une Orthodoxie aux ordres (le patriarche Cyrille fut un agent du KGB) a permis de consacrer cette vision nationaliste russophile et de la confirmer lors de chaque nouvelle « épreuve » [21]. Par la même occasion la figure tutélaire d’un Staline aseptisé fut remise au goût du jour, les vertus d’un Etat fort et d’un pouvoir autoritaire s’en trouvant ainsi consolidées.

20) Comme au temps du « petit père des peuples », le gouvernement Poutine n’a pas lésiné sur les moyens pour glorifier publiquement son « grand récit national » : une politique architecturale emphatique, de grandes expositions historiques, des parcs d’attractions thématiques, des célébrations fastueuses avec le concours d’une Eglise qui multiplie les lieux de culte dédiés aux « martyrs de la Révolution », etc. Cinéma, télévision, nouveaux médias, réseaux dits sociaux, tout est mis à contribution pour forger le roman national de cette « nouvelle Rus’ attaquée de toutes parts ».

La construction d’un pouvoir autocratique, nationaliste et guerrier
21) En URSS, l’Etat était l’alfa et l’oméga de la vie publique comme privée des citoyens soviétiques. L’Etat possédait tout, l’individu, pas grand-chose, il avait tous les droits, l’individu pas beaucoup. Avec Poutine, on assiste au retour de la prédominance de cette forme étatique très particulière au centre de la vie des Russes. D’autant que les interventions impériales n’ont pas vraiment cessé depuis 1991 [22]

22) Depuis 2012, la télévision russe s’est mise à ressembler de plus en plus à une télévision soviétique new look avec séries, documentaires et films à grand spectacle, Talk-shows quotidiens où dominent les chantres du pouvoir, Vladimir Soloviev et Margarita Simonyan : le mensonge et la haine y sont devenus permanents, notamment contre les « nazis ukrainiens, allemands et leurs alliés occidentaux ». À travers sa main mise sur les médias publics et l’interdiction des autres, le Kremlin a imposé l’idée d’un « peuple russe profond » [23] pour lequel les « libertés occidentales » seraient étrangères et irrecevables.

23) Sur le modèle du récit de la « Grande guerre patriotique » on peut entendre aujourd’hui les termes suivants à propos de la guerre en Ukraine : « la libération des territoires » (comme lors de l’occupation de la Pologne en 1939, suite au Pacte germano-soviétique) ; « le rattachement des territoires » (comme durant l’occupation des Pays baltes par les Soviétiques en 1940) ; « l’opération militaire spéciale » (comme lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie par le Pacte de Varsovie en 1968) [24].

24) Le premier cercle de Poutine et ses idéologues nostalgiques des empires russe ou soviétique, dénoncent les impérialismes occidentaux [25] qui auraient été à l’origine de l’éclatement de l’URSS, ce qui revient à masquer le processus de désagrégation maffieuse de la nomenklatura stalinienne débuté bien avant les années 1990. En réalité, après la défaisance du stalinisme sous Gorbatchev, c’est le bouleversement violent des rapports de propriété initié par la kleptocratie Eltsinienne – sans le pouvoir de laquelle rien n’aurait pu advenir – qui fut l’élément déterminant de la transformation radicale des rapports sociaux en Russie à ce moment-là.

De l’oligarchie matée à la consolidation du « premier cercle » des fidèles

25) Même si elles étaient elles aussi corrompues, les seules institutions russes qui auront traversé les épreuves du temps entre 1987 et 2023, ce sont le FSB et autres « siloviki » [26]. Sous l’autorité incontestée de son chef, le clan présidentiel aura su s’en servir tout au long de son ascension depuis plus de trois décennies. Dans les grandes industries, dans tous les ministères et dans les appareils d’État, ce sont des anciens du FSB ou de Saint Pétersbourg qui sont aux commandes depuis le début des années 2000.

26) L’éradication de toutes les organisations non gouvernementales, la destruction de toute opposition et la main mise de ce clan sur tous les moyens d’information n’ont fait qu’approfondir l’effondrement du socius. Les nombreuses lois liberticides adoptées après le début de la guerre en Ukraine restreindront encore plus le droit d’émettre une opinion et celui de manifester. En conséquence, l’empathie à l’égard des organisations, des associations et des militants qui défendent les libertés ou s’opposent à l’invasion de l’Ukraine, a beaucoup plus de mal à exister que durant la guerre en Afghanistan.

27) En 1990, le prix de la tonne de pétrole en Russie était le même que celui d’un paquet de Marlboro importé. Ceux qui ont pu vendre le pétrole et d’autres matières premières russes à l’étranger ont fait d’énormes profits. Ce fut le point de départ d’un gigantesque trafic maffieux, notamment à Saint Pétersbourg, et les débuts de Poutine comme chef de clan millionnaire. Lorsque le rouble s’est effondré, des opportunités similaires se sont présentées parce que les prix du pétrole, du bois et des minéraux sont restés les mêmes en roubles, tandis que leur valeur en dollars grimpait en flèche.

28) L’oligarchie maffieuse des années Eltsine avait capté l’État à son profit. Poutine va changer les règles du jeu à l’issue d’une fulgurante accession au pouvoir. En effet, de petit lieutenant colonel qu’il était en 1990, il fut coopté dans l’administration présidentielle en 1996 après avoir créé un clan tout puissant à Saint Pétersbourg, puis devint le chef du FSB en juillet 1998, pour être finalement promu premier ministre un an plus tard ; cinq mois après seulement, il se voyait confier le poste de président au moment d’une guerre de revanche provoquée par des attentats attribués au FSB (500 morts en Russie) afin de « sauver l’honneur de l’État russe ». Il retiendra la leçon de la période Eltsine : en 2002 les ex-oligarques ne joueront plus aucun rôle politique. Il instaure alors une reprise en main de toutes les grandes entreprises [27] au profit de son « premier cercle [28] » issu du KGB-FSB, de Saint Pétersbourg et/ ou ayant d’anciens amis totalement fidèles et dévoués.

29) Contrairement aux oligarques Eltsiniens, les grands patrons du « premier cercle », souvent milliardaires, forment une sorte de nomenklatura capitaliste personnellement liée à Poutine car elle lui doit tout. La figure la plus emblématique en est Igor Setchine (né en 1960), patron du troisième groupe de Russie, Rosneft. Cet ancien interprète qui a fait carrière au sein du KGB est un proche de Vladimir Poutine, dont il fut chef de cabinet à la mairie de Saint-Pétersbourg dans les années 1990 avant de le suivre dans l’administration présidentielle à Moscou et d’occuper diverses hautes fonctions auprès de lui, tant au Kremlin qu’au sein du gouvernement, lorsque Poutine était premier ministre. Il n’avait aucune expérience des affaires avant d’être nommé à la tête de Rosneft en 2012 [29].

30) La stratégie globale de contrôle des secteurs clés de l’économie ressort du verrouillage des conseils d’administration. Il s’agit, entre autres, de veiller à ce que la rente énergétique, des matières premières et de l’armement n’échappe pas à l’État et aux membres du « premier cercle » [30] qui occupent par ailleurs les postes clés au sein de l’administration présidentielle, au sein des multiples « structures de force », du parquet général et du gouvernement fédéral.

31) Par sa position au sein des appareils d’État et son contrôle du secteur économique, le « premier cercle » [31] est ainsi en mesure de façonner les rapports de domination selon une « logique de loyauté récompense/opposition-punition » [32]. C’est un corps majoritairement constitué depuis des décennies autour de motivations et de pratiques communes héritées du KGB et qui à prêté un serment de fidélité absolue à son chef. Il dépend tellement de cette allégeance personnelle à Poutine qu’il ne lui survivrait pas et le régime non plus.


Bibliographie

Livres, articles
- Svetlana Alexievitch, La fin de l’Homme rouge, Actes sud, 2013.
- Nicolas Werth, Le Cimetière de l’espérance. Essais sur l’histoire de l’Union soviétique, 1914-1991, L’histoire, 2019.
- Nicolas Werth, Poutine, historien en chef, Gallimard, coll. Tracts, 2002.
- Brigades éditoriales de solidarité, L’Ukraine insurgée, Syllepse, 2022.
- Galia Ackerman, Le Régiment immortel. La guerre sacrée de Poutine, Premier parallèle, 2019.
- Catherine Belton, Les hommes de Poutine : Comment le KGB s’est emparé de la Russie avant de s’attaquer à l’Ouest, Talent éditions, 2022.
- Pascal Orcier, « Guerre en Ukraine : quelques clés sur un conflit en cours », Géoconfluences, 16 mai 2022.
- Facts and details, « Russian privatization and oligarchs », last updated May 2016.
- Jean-Robert Raviot, « Un Regard Sur La Russie, qui sont les oligarques de Poutine ? », 12 mars 2022.
- Jean-Robert Raviot, « Comprendre le nouveau régime russe », Strates, Matériaux pour la recherche en sciences sociales, Open edition journal, décembre 2006.
- Cédric Durand, « Les privatisations en Russie et la naissance d’un capitalisme oligarchique », Recherches Internationales, 2005, 74 (4), p. 33-50.
- Roman Volkov, « Les réseaux politico-économiques dans la Russie de Poutine », in Critique internationale, Presses de Sciences Po, 2017/2, (N° 75), pages 91 à 111
- Vera Ageeva, « Le soutien de la société russe à la guerre en Ukraine : sur les traces de l’homo sovieticus », Sciences-Po, Ceri, avril 2022.
- Maria Ordzhonikidze, « La Russie et l’Occident, une enquête d’opinion », in Géoéconomie 2007/4 (n° 43), pages 83 à 90.
- La Russie de Poutine dans l’Express, articles de Jonathan Littell, Françoise Thom, Tatiana Kastouéva-Jean…
- Warde Ibrahim (2022), « La chasse aux oligarques russes est ouverte », Le Monde diplomatique, septembre 2022, p. 6 et 7.

Films documentaires, émissions de radio,
- Vitaly Mansky, « Poutine, l’Irrésistible ascension », 2019.
- Jean-Michel Carré, « Poutine, le Nouvel Empire », Documentaire de Politique étrangère, France 2, diffusé le 18 mars 2018.
- Madeleine Leroyer, « 1996 : Hold-Up à Moscou », Documentaire de Arte, 2021.
- Marc Weitzmann, « Vers La guerre », émission Signe des temps, France culture, 20 février 2022.

ANNEXES  [33]

Françoise Thom, « Poutine s’oriente vers une guerre totale », le 28 janvier 2023.
« Sous Lénine, la terreur existait déjà. Mais elle est devenue systématique sous Staline, sur fond de système de délation généralisé au sein de la population. Les gens s’en servaient pour se débarrasser d’un voisin, d’un époux, d’une maîtresse… La dégradation morale était déjà effrayante à l’époque soviétique. À partir de Khrouchtchev et surtout de Brejnev s’est ajouté le cynisme. Personne ne croyait plus à rien. Les gens étaient prêts à faire n’importe quoi pour obtenir des biens matériels et s’élever d’une manière ou d’une autre. Poutine a grandi dans cette ambiance. Une ambiance de petits voyous, de brutes. Et il est d’ailleurs entré au KGB pour pouvoir faire des mauvais coups sans se faire sanctionner - le KGB assurant l’impunité pour toutes sortes de trafics ».

Cobelligérance et autres balivernes des occidentaux depuis 23 ans

Jean-Sylvestre Mongrenier, « La Russie et la désignation de l’ennemi en politique internationale », 11 février 2023.
« On sait que le concept de cobelligérance, dont le "parti russe" et les tenants d’une forme de radical-pacifisme se sont emparés, n’a pas grande substance sur le plan juridique. À juste titre, les gouvernements occidentaux rappellent qu’ils ne font que soutenir matériellement un pays membre de l’ONU depuis 1945, dont les frontières sont internationalement reconnues, en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies (sur la légitime défense) ».

Commentaire : Par contre ces mêmes gouvernements sont muets quant à la présence des instructeurs et opérateurs de drones iraniens sur le sol Ukrainien occupé.

Michel Goya, « Pour en finir avec la cobelligérance » Mardi 7 février 2023.
« Une des rares victoires russes de la confrontation avec l’Occident global est d’avoir réussi à introduire le mot "cobelligérant" dans le débat. […] L’Union soviétique attaquant la Pologne deux semaines après l’Allemagne en septembre 1939 en constitue un exemple. […] Emmanuel Macron expliquait dès le 7 mars vouloir "stopper cette guerre sans devenir nous-mêmes des belligérants" tandis que plusieurs personnalités politiques d’opposition estimaient que simplement fournir des armements à l’Ukraine "ferait de nous des cobelligérants" […] Dans les faits, les choses sont pourtant simples. Soutenir un État en guerre sans combattre soi-même n’est pas être en guerre contre l’ennemi de cet État. Quand l’Union soviétique fournit au Nord-Vietnam en guerre contre les États-Unis, le Sud-Vietnam et leurs alliés des centaines de milliers de tonnes d’équipements, […] personne ne songe à la qualifier de cobelligérante ».

« Et puis il y a les fameux troubles russes qu’il faudrait éviter. Comme si on pouvait quelque chose au fait que la Russie soit devenue un pays attendant la mort du roi vieillissant entouré de purs bandits avec leurs armées comme les Zolotov (chef de la Rosgvardiya, garde du corps du maire de Saint-Pétersbourg dans les années 1990, ami de Poutine), comme Prigojine et Kadyrov, comme les services de Siloviki rivaux également armés ou les oligarques mafieux. Dans un an ou dans dix ans, il y aura forcément des troubles en Russie. Ce n’est pas une bonne nouvelle, mais le fait d’aider ou pas l’Ukraine n’y change pas grand-chose ».

Charles Haquet et Cyrille Pluyette, « Derrière la guerre en Ukraine, le naufrage moral de la Russie », le 24 janvier 2023.
« Il s’appelait Sergueï Molodtsov. Mort sur le front ukrainien, ce Russe de 46 ans a été enterré le 5 janvier à Serov, une austère bourgade minière et industrielle perdue sur les contreforts de l’Oural. Il avait rejoint le corps de mercenaires Wagner, alors qu’il purgeait une longue peine de prison pour avoir sauvagement tué sa mère. Dans la Russie de Vladimir Poutine, Sergueï Molodtsov n’est pas un assassin, mais un héros. Parce qu’il a choisi de combattre les "nazis ukrainiens", l’Etat l’a absous de ses crimes - l’administration locale a même évoqué un "honnête homme" doté d’une âme "créative". Et lui a accordé les honneurs militaires ».

Commentaire : La diffusion continue par le groupe Wagner de vidéos d’exécutions extrajudiciaires délibérément brutales normalise un niveau croissant de violence et de sauvagerie au sein de l’espace d’information national russe.

Thorniké Gordadzé, « La guerre, c’est la paix. Faut-il négocier maintenant avec Poutine ? », le 23 janvier 2023.
« L’amertume des Ukrainiens est grande, quand ils se rendent compte que s’ils n’avaient pas renoncé, sous pression occidentale [en 1994], à l’arsenal nucléaire hérité de l’URSS, toutes les menaces russes auraient perdu de leur sens. Il est donc assez paradoxal de demander à celui qui est le plus exposé au risque d’attaque nucléaire de cesser de résister afin d’apaiser les peurs de ceux qui le sont infiniment moins. […] Un constat amer de plus : si les occidentaux avaient donné à l’Ukraine un dixième du matériel militaire qu’ils donnent aujourd’hui et s’ils ne s’étaient pas abrités des années durant derrière le principe de la "non-escalade" […], Vladimir Poutine aurait probablement hésité davantage avant d’envoyer ses troupes à l’assaut du pays ».

Oleksiy Vinogradov, auteur du projet « Donbass. Réalité » à Radio Svoboda en 2018.
« Les chercheurs ont identifié 5 images-clés qui représentent 90 % de toutes les références négatives à l’Ukraine. 1. Le premier récit est celui de l’Ukraine menant une guerre civile : les forces armées ukrainiennes tuent des civils ; l’Ukraine viole les termes du cessez-le-feu ; la Russie ne participe pas au conflit. Un tiers des informations sont consacrées à cela. 2. Une autre image activée est celle de l’Ukraine en tant que pays inachevé. Son pouvoir actuel est illégitime, son économie s’effondre, il est dangereux d’y vivre, surtout à la campagne. 3. Le récit de la russophobie en Ukraine est également activement diffusé. Selon les chercheurs, c’est "la position antirusse des Ukrainiens" qui est présentée aux Russes comme la raison de l’attitude agressive de la Russie face à l’Ukraine. Apparemment, les citoyens russes auraient le droit d’être en colère. 4. L’Ukraine est une marionnette de l’Occident. 5. Les images « positives » sont celles de la Russie qui aide le Donbass à lutter contre les fascistes et les radicaux qui détruisent l’Ukraine. »

Alice Pairo-Vasseur, « La journaliste Marina Ovsiannikova raconte son évasion de Russie » Le Point, 10 février 2023.
« C’était la prison ou la fuite, conclut ainsi Marina Ovsiannikova [qui avait arboré une pancarte contre la guerre à la TV d’État russe ]. La Russie est entre les mains de criminels de guerre mais elle est mon pays. Je ne voulais pas émigrer mais je n’ai pas eu le choix. D’abord installée dans la campagne française et désormais contrainte à changer régulièrement de domicile, la figure de la résistance à la propagande du Kremlin ne s’en cache pas : J’ai peur pour ma vie. Avec ironie, elle glisse même : Mes amis me demandent si je préfère le Novitchok, le polonium ou l’accident de voiture ! Trente-sept journalistes ont été tués depuis la prise de pouvoir de Vladimir Poutine, dix-neuf sont détenus en prison et deux cents médias sont qualifiés d’agents de l’étranger ».

Discours de Lennart Meri, premier président de l’Estonie, prononcé à Hambourg.
« Aujourd’hui encore, un vice-ministre des Affaires étrangères de Moscou, a officiellement déclaré dans sa réponse aux États baltes que, en 1940, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie avaient rejoint l’Union soviétique « volontairement ». Cela revient à dire que des dizaines de milliers d’Estoniens, dont ma famille et moi-même, se sont laissé "volontairement" déporter en Sibérie par les Soviétiques. […] Quiconque souhaite réellement aider la Russie et le peuple russe aujourd’hui doit faire clairement comprendre aux dirigeants russes qu’une nouvelle expansion impérialiste n’a aucune chance. Quiconque ne le fait pas aidera en fait les ennemis de la démocratie en Russie et dans d’autres États post-communistes ». Traditionnel dîner offert par la ville de Hambourg, le 25 février 1994. Trad. Nicolas Tenzer, 11 févier 2023.

Jean-Marc Royer


[1Le show de Macron, de Scholz et de Mario Draghi en déplacement à Kiev le 16 juin 2022, fut une parfaite illustration de la profonde duplicité des dirigeants européens et de ceux-là en tout premier lieu.

[2La spectacularisation de cet évènement à travers ce qui est appelé « la chute du mur de Berlin » est opportunément venue recouvrir la réalité des faits et la profondeur de ses conséquences. Plus généralement, cette « Ostpolik » pourrait également s’appeler : « Quand le capital allemand faisait les yeux doux à Gorby », une dénomination qui garde toute son actualité. Il suffirait d’en changer le patronyme. Cf. le « Carnet de guerre #2 » à ce sujet.

[3À notre avis, toute analyse ou tentative théorique qui « oublierait » le point de vue humain se disqualifierait d’elle-même. C’est pourquoi l’horizon des Carnets de guerre, c’est celui de l’émancipation des peuples et en particulier lorsqu’ils se trouvent sous les bombes de quelque impérialisme que ce soit.

[4D’où l’introduction du Taylorisme dans les usines à la demande de Lénine dès mars 1918. Robert Linhart, Lénine, les paysans, Taylor, Le Seuil, Paris, 2004 (1976). Rappel : citer un livre, un site ou un auteur ne signifie nullement que l’on soit en accord avec la totalité de la pensée qui s’y déploie. Faire la part des choses ou « séparer le bon grain de l’ivraie » comme disait ma grand-mère paysanne, c’est une des tâches de l’élaboration intellectuelle.

[5Vera Ageeva, « Le soutien de la société russe à la guerre en Ukraine : sur les traces de l’homo sovieticus », Sciences-Po, Ceri, avril 2022.

[6Nicolas Werth, Poutine historien en chef, Tracts Gallimard, 2022. Sans parler du fait que toute question morale était bannie au nom de l’objectivité insurpassable du « socialisme scientifique ». Cf. à ce propos « Capital et mode de connaissance scientifique : un imaginaire en partage », Cahier de réclusion #6 ou sa dernière version : « Une civilisation tient aussi par son imaginaire » pour le cercle Grothendieck du 17 mai 2022, Université autogérée de Grenoble.

[7Qui s’est partout installée en Occident depuis 1973. Cf. les « Carnets de guerre » #1 et #2 à ce sujet.

[8Outre l’appareil gouvernemental, il s’agit des postes de PDG, DG, membre de CA, membre de Conseil exécutif et membre du Comité de tutelle dans les grandes banques et les conglomérats.

[9Politique de réforme économique rapide et brutale. Elle consiste souvent en une libération soudaine des prix et des changes, une privatisation rapide des entreprises et services publics, et la libéralisation du commerce extérieur. Wikipédia.

[10Cf. le carnet de guerre #2 intitulé « l’Anschluss de la RDA, première extension de l’Otan en 1990 »

[11Il s’agit de la stratégie dite du cliquet très tôt mise en place au Chili après le coup d’état de 1973 par Pinochet.

[12Cf. Cédric Durand, « Les privatisations en Russie et la naissance d’un capitalisme oligarchique. Recherches Internationales », 2005, p. 33-50.

[13Norilsk Nickel, le principal producteur mondial de Nickel, les entreprises pétrolières Yukos, Sidanko et Lukoil ou encore le combinat métallurgique de Novolipetsk, la compagnie monopolistique de télécommunications Svyazinvest, entre autres entreprises.

[14Il est à signaler que depuis le début de l’année 2022, quatorze responsables économiques de haut niveau « se sont suicidés de mort violente ». « Suicides, chutes, accidents : de nombreux hommes d’affaires russes sont morts dans des circonstances étranges depuis le début de la guerre en Ukraine », France info du 28 décembre 2022.

[15Intervention qui se solde par un échec russe et 100 000 morts. Jean-Christophe Victor, La Tchétchénie, pourquoi ? Arte, 2004. Rahim Kherad, « L’ONU face aux conflits du Timor-Oriental et de la Tchétchénie », in Madjid Benchikh (dir.), Les Organisations Internationales et les conflits armés, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 258. Laure Mandeville, La reconquête russe, Paris, Grasset & Fasquelle, 2008, p.150.

[16Entre le 31 août et le 16 septembre 1999, cinq attentats ont fait des centaines de morts e et furent le prétexte au déclenchement de la 2e guerre de Tchétchénie. Le 25 janvier 2011, Hélène Blanc, chercheuse au CNRS et au Collège de France disait à ce propos sur France Inter : « Je crois qu’il faut se garder d’interpréter rapidement les attentats, par exemple de 1999, qui ont servi d’alibi à déclencher la seconde guerre de Tchétchénie. Eh bien il est aujourd’hui clair, ça ne l’était pas à l’époque bien entendu, mais maintenant nous savons que ces attentats n’étaient pas du tout l’œuvre des Tchétchènes auxquels on les a attribués, mais l’œuvre du FSB. D’ailleurs, il y a eu trois attentats au total dans différentes villes, mais la quatrième ville, Riazan, là le FSB [dont Poutine était le chef dès juillet 1998] a été pris la main dans le sac. Par la suite, on a su que non seulement le modus operandi n’était pas du tout dans l’habitude tchétchène, mais qu’en plus les explosifs n’étaient pas des explosifs tchétchènes mais bien des explosifs russes. Le FSB est capable de beaucoup de choses, y compris contre son peuple. »

[17200 000 morts. Si l’on veut se faire une idée de la barbarie au cœur du pouvoir de Poutine, lire Wikipédia sur la 2e guerre de Tchétchénie. Thérèse Obrecht, Russie, la loi du pouvoir : Enquête sur une parodie démocratique, Paris, Autrement, 2006, p. 77. Tribunal international non gouvernemental pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre en République tchétchène, Documents d’entretien avec les témoins : première session. Moscou, 21-25 février 1996, Moscou, Fondation publique Glasnost,1996, p. 53-54.

[18Isabelle Astigarraga, Tchétchénie : Un peuple sacrifié, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 11.

[19Les idéologues les plus connus sont Alexandr Douguine, Vladislav Sourkov (Cf. « Fuites de Sourkov », 2300 de ces e-mails rendus publics en 2016), Timofeï Sergueïtsev (Cf. Jean-Marc Adolphe « Le Mein Kampf de Poutine. Dénazification de l’Ukraine : l’effrayante tribune de Sergueïtsev », avril 2022). Cf. également à ce sujet Françoise Thom, Les idéologues russes visent à liquider la nation ukrainienne », 6 avril 2022.

[20Les occidentaux font des gorges chaudes de sa déclaration anti-occidentale de février 2007 à Munich. Mais loin de représenter un virage dans son attitude vis-à-vis de l’Occident, cela était contenu dans la mise en œuvre de son programme dès la fin de 1999. Tandis que continue la deuxième guerre de Tchétchénie qui ne prendra fin qu’en 2009, il mène de front une guerre éclair contre la Géorgie en août 2008.

[21En septembre 2022, Cyrille « a exhorté ses fidèles à rejoindre l’armée pour combattre en Ukraine » précisant que si une personne « meurt dans l’accomplissement de ce devoir, alors (...) elle se sera sacrifiée pour les autres. Et donc, nous croyons que ce sacrifice lave tous les péchés qu’une personne a commis ». Wikipédia « Cyrille de Moscou ».

[22Pour contrer les proclamations d’indépendance des pays baltes en 1990, les autorités soviétiques choisissent de « restaurer l’ordre constitutionnel par la force » en janvier 1991 : 21 civils sont été tués et 600 autres blessés, principalement lors de l’assaut de la tour de Vilnius par les Soviétiques. À la suite d’importantes manifestations rassemblant jusqu’à 50 000 personnes dans la capitale lituanienne et dans tout le bloc de l’Est (notamment en Pologne et en Ukraine), les soldats russes se retirent le 25 janvier 1991. Suivront huit guerres ou interventions militaires. Cf. « Notes sur l’invasion de l’Ukraine », carnet de guerre #1.

[23« Le peuple profond est un terme proposé par un haut fonctionnaire russe, Vyatcheslav Surkov dans un article publié en 2019 par la Nezavisimaya Gazeta, où il affirmait qu’en Russie il n’existe pas d’Etat profond (deep state) mais un peuple profond, qui est fidèle à ses dirigeants et qui défend des valeurs conservatrices ». Vera Ageeva, art. déjà cité.

[24Vera Ageeva, art. déjà cité.

[25L’impérialisme US en particulier n’avait ni les moyens ni la possibilité d’orienter la politique du Politburo. Ce qui s’est passé après la désagrégation de l’URSS et le rôle qui fut ensuite celui de l’Otan, c’est tout autre chose, nous en avons déjà étudié certains effets dans le 1er Carnet de guerre intitulé « Notes sur l’invasion de l’Ukraine ».

[26Désignation des « structures de force » telles le FSB, les trois armées (Défense, Intérieur, Rosgvardiya), les services spéciaux…

[27En 2022, on compte environ 50 grands groupes inscrits au registre de l’Agence fédérale pour la gestion de la propriété de l’État dans les secteurs jugés stratégiques : armement, technologies de pointe, transports, énergie nucléaire, gaz et pétrole.

[28Parmi ceux qui exercent une influence importante dans le « premier cercle », il y a Vladimir Potanine, Guennadi Timchenko et Arkadi Rotenberg, amis personnels de Vladimir Poutine, Alicher Ousmanov, Viktor Vekselberg, Vagit Alikperov. Roman Volkov, « Les réseaux politico-économiques dans la Russie de Poutine », in Critique internationale, Presses de Sciences Po, 2017/2, (N° 75), pages 91 à 111.

[29Jean-Robert Raviot, « Qui sont les oligarques de poutine ? », Le Point, 8 mars 2022.

[30« Outre V. Sourkov, tous les membres de l’élément central du réseau politico-administratif sont, par leur mentalité commune de tchékistes, idéologiquement et personnellement liés à Poutine : il s’agit de German Gref, Alexeï Kourdine, Sergeï Narychkine, Sergeï Ivanov, Igor Ivanov, Igor Setchine, Igor Levitine, Viktor Zoubkov, Igor Chuvalov, Sergeï Sobianine et Dmitri Medvedev ». Roman Volkov, ibid.

[31L’emploi de cette expression relève de l’euphémisme journalistique. La vérité, c’est qu’il s’agit d’un clan mafieux, ce qui constitue en tant que tel une clé de compréhension de la situation au Kremlin.

[32Roman Volkov, ibid.

[33Une fois de plus, citer un livre, un article, une interview, un site ou un auteur ne signifie nullement un accord avec l’ensemble de ce qui est dit ou publié. Il est du dommaine du travail intellectuel que de savoir reconnaître ou extraire, ce qui, sur un tas de fumier, ressort du bouton d’une jolie fleur.