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“Si vous ne payez pas, c’est que vous n’êtes pas un consommateur, mais un produit à vendre”



vendredi 2 mars 2012,


Contribution


Réflexions

“Le secret de la valorisation de Facebook”. Un article de l’hebdomadaire américain The Nation, signé par Ari Melber, journaliste et spécialiste des réseaux sociaux,

“Une chose manque dans tous les commentaires au sujet de la valorisation boursière de Facebook”, commence Ari Balmer. “Tout le monde sait à quel point l’entreprise est populaire, avec ses 845 millions d’utilisateurs, et à quel point elle marche bien, avec une valorisation potentielle à 100 milliards de dollars (soit 5 fois celle de Google quand il fut introduit en Bourse en 2004). Mais qu’est-ce qui fait vraiment de Facebook une entreprise aussi rentable ?” demande Ari Melber.
C’est vous, répond-il. Ses utilisateurs. Et plus exactement, ce que vous y mettez.

Dans les faits, à l’époque contemporaine, l’introduction en Bourse de Facebook constituera l’un des plus gros transferts volontaires de propriété d’une masse de gens à une entreprise.

Le mot “volontaire” est, selon Melber, une façon plutôt gentille de voir les choses. Les études montrent que la plupart des utilisateurs de Facebook ne savent pas qu’ils abandonnent tout droit sur leurs photos et leurs informations quand ils acceptent les conditions générales d’utilisation de l’entreprise. Après tout, qui a le temps de lire les 4 000 mots que comptent ces conditions d’usage ?
Mais si vous les lisez, poursuit Melber, vous apprendrez que tout contenu relevant de la propriété intellectuelle de l’utilisateur (comme les photos et les vidéos) est cédé à Facebook “sous une licence mondiale, non exclusive, transférable, sous-licenciable, et gratuite”. Cela signifie que Facebook peut faire ce qu’il veut de ce matériel.

C’est un pouvoir vraiment exorbitant ainsi cédé à un fournisseur de service, ajoute Melber – comme si un service de messagerie revendiquait la propriété intellectuelle de chaque mot qui est échangé dans son système.
Il n’y a, par ailleurs, aucun moyen de récupérer sa propriété intellectuelle dans Facebook. Si des usagers ferment leurs comptes, Facebook conserve la même licence pour tous les contenus qui “ont été partagés avec les autres”. Chaque mot écrit sur Facebook étant partagé, l’entreprise garde donc la propriété de tout ce qui a été mis sur son site.

C’est donc un arrangement à sens unique, qui est d’autant plus remarquable que Facebook a réussi à convaincre toujours plus d’utilisateurs qu’il offre un service “gratuit”. Certes, techniquement, l’entreprise ne fait rien payer à ses usagers. Le micropaiement est réservé aux journaux. Les milliardaires voient plus loin. Facebook trouve ses revenus dans un produit qui a beaucoup plus de valeur : les données personnelles.

Il est difficile de mesurer quelle part de la valeur de Facebook réside dans la récolte des données de ses utilisateurs. Pour être tout à fait juste, aujourd’hui, la plus grosse part de ses revenus provient de la publicité, ce qui est carrément démodé, dit Melber. Certaines de ces publicités sont ciblées individuellement, les autres trouveraient sans doute leur place sur n’importe quel site très fréquenté. Les 15 % restant des revenus de l’entreprise proviennent des jeux, qui n’ont rien à voir avec le vol de vos albums photo.
Mais la vraie valeur de Facebook ne réside pas dans son bilan comptable. Il s’agit d’un pari sur l’avenir. Beaucoup d’analystes boursiers l’ont dit, les revenus de Facebook aujourd’hui, autour de 3 milliards de dollars, ne justifient absolument pas la valorisation de l’entreprise. Le jackpot, en fin de compte, devra venir d’une monétisation plus agressive de l’expérience Facebook.

Alexis Madrigal, qui écrit sur la technologie pour The Atlantic, avance que l’entreprise devra tirer de chacun de ses utilisateurs actifs 4,39 dollars pour justifier une capitalisation boursière de 100 milliards de dollars. Comment ? Madrigal imagine un autre programme pour diriger les utilisateurs dans des publicités pour des produits qu’ils pourraient chercher à se procurer via le site. “Je m’attends à voir la résurrection de quelque chose de l’ordre du malheureux plan Beacon“ (un système publicitaire ciblé lancé par Facebook en 2007 qui utilisait l’activité des utilisateurs sur des site ! es partenaires, et permettait donc un ciblage très précis. Il a été abandonné suite à un mouvement d’usagers, en 2009). Madrigal écrit : “Cette fois, ce sera plus subtile, mais Facebook arrivera à vous montrer des produits que vous et vos amis aimez. Vous partagerez sans friction tous vos goûts avec vos amis – et avec les publicitaires.”

Le partage, reprend Melber, est un de ces mots dont le sens habituel disparaît sur Facebook. Comme “volontaire”. Ou “gratuit”. Ou “ami”. Beacon ne consistait pas à partager tous vos goûts, ce qui implique les notions de choix et de réciprocité. Le programme mesurait les habitudes d’achat des utilisateurs pour leur suggérer des publicités personnalisées, sans aucun avertissement. Le programme a été retiré à la suite d’un backlash, mais le signal était clair. Les utilisateurs de Facebook n’étaient pas des consommateurs à satisfaire : ils étaient des produits à vendre.

Le modèle de l’entreprise – de la dépossession première des biens des utilisateurs jusqu’à la manière dont on peut les exploiter – est la démonstration parfaite d’un vieil adage selon lequel la gratuité en ligne est une illusion. Comme l’exprimait un commentaire anonyme sur un site : “Si vous ne payez pas, c’est que vous n’êtes pas un consommateur, mais un produit à vendre”.

Source : internetactu