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Quand les industriels réinterprètent Carl von Clausewitz



mardi 29 mars 2005,


Fulano


Culture

Drapés dans la défense de la création et de l’intérêt général, les majors du disque et du cinéma s’ingénient à inventer des moyens de dissuader ou de faire payer ce que le progrès technique a rendu quasi gratuit : la recherche, la reproduction et l’échange de fichiers numériques. Par des voies soit juridiques : procès contre les usagers du P2P, soit techniques : cryptage, ou même par des méthodes économiques comme la proposition récente de taxer les flux sortant des ordinateurs individuels.

L’enjeu des batailles "classiques" était la possession de la terre et de ses richesses. Les batailles capitalistiques sont différentes, et si elles font encore des hécatombes sur des "champs de batailles", elles sont "chirurgicales". Elles sont poursuivies "par d’autres moyens".
Bien que les batailles d’aujourd’hui soient "abstraites" et tournent autour de la propriété intellectuelle, des contenus, des standards ou des brevets, elles mettent en pratique les éléments de stratégies rédigées par Carl von Clausewitz (Général prussien -1780-1831-. Ses ouvrages, " De la guerre" et "Théorie de Combat", ont souligné le fait que la guerre est l’instrument et l’expression de la politique. ).

Cette réappropriation des théories de Clausewitz et leurs applications ne sont pas une figure de style. L’économie mondialisée durcit son discours. En France, le MEDEF " est disposé à tout faire pour gagner le combat de la croissance” alors que les " rescapés de la guerre économique" tentent de "résister".
Éditées par "Economica" les théories clausewitzienne de la tactique sont étudiées dans les grandes écoles de commerce...

Pour Clausewitz, le combat ne relève jamais du pur calcul car le sentiment de haine s’enflamme au plus tard pendant le combat. Il ne peut pas être uniquement l’objet d’un calcul mathématique car les forces morales sont difficilement quantifiables.
Il s’agit d’exploiter au mieux ces forces morales dans la conduite de la guerre car elles décident en dernière instance de la victoire.
"La décomposition du combat en combats individuels" illustre les limites d’une conception purement mécanique du combat. Il démontre l’impossibilité de diriger les grandes unités par simple commandement ou selon un plan rigide et l’imprévisibilité d’un combat tient aussi bien à l’imperfection humaine qu’aux facteurs matériels - l’irrégularité du terrain. Plus le combat dure et plus le hasard et des incidents inconnus se produisent.

Pirater le P2P !

"Chaque combat global est constitué d’un grand nombre de combats singuliers dont l’unité la plus petite est le dernier membre qui agit de façon autonome " Carl Von Clausewitz

Pour lutter contre le piratage, l’association française RetSpan a eu l’idée d’utiliser les mêmes armes que les pirates, c’est-à-dire les réseaux d’échange de ’peer-to-peer’ (Kazaa, eMule...). Le principe de ce projet baptisé peerFactor est de rémunérer des internautes pour diffuser de faux fichiers au sein de ces réseaux. L’utilisation des "fakes" n’est pas nouvelle. Les maisons de disque tentent depuis quelques années de parasiter le P2P avec cette méthode. Mais sans beaucoup de succès.

En rémunérant des internautes, Retspan pense avoir un pouvoir de nuisance beaucoup plus puissant grâce au nombre de sources très important. Une fois téléchargés par l’utilisateur leurré, ces faux fichiers (films, musique ou programmes) renvoient vers un site Internet où il sera possible d’acheter "en toute légalité" le produit.
À chaque fois qu’un internaute sera redirigé vers ce site ou chaque fois qu’il achètera légalement le produit, le membre de PeerFactor à l’origine de cette action sera rétribué, explique le site de l’association. La fameuse commission est de 5 centimes d’euro par redirection. Le principe a évidemment scandalisé les nombreux utilisateurs de P2P et les internautes qui ne sont pas tous des pirates assoiffés de contenus gratuits.
Mais selon RetSpan, l’initiative n’aurait pas d’autre but que de protéger les artistes et de proposer une nouvelle alternative à la lutte contre le piratage. Mais l’opération surfe surtout sur l’appât du gain et risque de liguer des internautes les uns contre les autres. Selon RetSpan, plus de 400 personnes se sont déjà inscrites depuis le début du mois.

Marketer les produits téléchargés.

"Chaque combat est une expression de l’intimité. C’est instinct qui se manifeste pendant le déroulement des combats" Carl Von Clausewitz

C’est un usage méconnu du "peer to peer". Depuis plus de deux ans, les maisons de disques états-uniennes étudient discrètement le comportement des utilisateurs de "peer to peer" pour mieux marketer leurs produits. "Les majors ne peuvent pas le reconnaître publiquement, mais elles savent que Napster est l’outil le plus formidable qu’elles aient jamais eu à leur disposition pour étudier le marché”, nous confiait début 2001 Eric Garland, PDG de la start-up californienne BigChampagne et pionnier dans l’étude des réseaux pirates.

À l’époque, il bataillait ferme pour convaincre les maisons de disques. Aujourd’hui, assure-t-il, la plupart d’entre elles font partie de ses clients, même s’il refuse de dévoiler leurs noms. Comme les disques sont en général disponibles sur KaZaA avant leur sortie dans les bacs, les majors peuvent ainsi connaître à l’avance les futurs leaders du Top 50 , déterminer les titres les plus populaires d’un album afin de choisir les "singles" à envoyer aux radios. Les majors peuvent également scanner la collection musicale des amateurs de "peer to peer" pour déterminer, par exemple, quels sont les artistes préférés des fans d’Eminem ou de Johnny Hallyday, et leur proposer des offres personnalisées.

Mieux encore, ces données sont à la fois ultra précises et disponibles en temps réel, alors que les statistiques des ventes de disques sont hebdomadaires et limitées aux 100 à 200 meilleures ventes. “Les études de BigChampagne nous ont donné une vision des goûts de nos clients à laquelle nous n’avions jamais eu accès auparavant”, confiait l’an dernier à Music Week (http://www.musicweek.com) Rob Gordon, vice-président en charge du marketing de Capitol Records, dans un élan de franchise très rare dans le milieu.

Bref, au moment même où elles intentent des procès en piraterie au "peer to peer", les majors savent aussi les exploiter selon leurs intérêts. Elles persistent pourtant à diaboliser ces réseaux et leurs utilisateurs, comme pour mieux masquer leur part de responsabilité. En effet, le piratage résulte aussi du refus constant des maisons de disques et des studios d’Hollywood de mettre leur catalogue en vente sur le Net dans des conditions acceptables de commodité et de prix.

Or, le temps presse, préviennent tous les experts. Car si 30 à 60 % des utilisateurs de "peer to peer" seraient actuellement prêts à payer pour télécharger, selon les différentes estimations, cette proportion risque de chuter très vite. “Plus le temps passe, plus l’habitude de ne pas payer s’enracine, et plus il sera difficile de réparer les dégâts”, prévient Mark Mulligan. Or, malgré le récent succès du service iTunes d’Apple (http://www.apple.com/itunes ; 5 millions de chansons à 99 cents vendues en deux mois), les majors ne semblent toujours pas prêtes à offrir aux utilisateurs de PC un service similaire, à la fois simple, riche et convivial.

Fulano De Tal