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Les rhinolophes, la batwoman et son parti


Les élevages industriels : des réacteurs infectieux


mercredi 26 janvier 2022,


Jean-Marc Royer


Réflexions

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

François Rabelais, Pantagruel, 1532.

Introduction

C’est à la fin de l’année 2002 que le SARS-CoV s’était déclaré à Foshan (près de Canton) et à Hong-Kong. Le virus avait touché huit mille personnes réparties dans 29 pays avec une mortalité de 10 %. Comme les chercheurs ne peuvent se satisfaire d’une corrélation statistique ou évènementielle – ce type de corrélation ne pouvant se substituer à une causalité réfutable – il fallut donc attendre longtemps avant que s’établisse un consensus sur l’origine de ce coronavirus, son parcours et sa transmission vers les Humains [1]. Le virus princeps fut finalement découvert chez des chauves-souris insectivores, les rhinolophes, dans les grottes du Yunnan, au sud de la Chine, c’est-à-dire à 1 200 km du lieu où la maladie explosa. La civette palmiste masquée, un animal sauvage vendu sur les marchés et consommé, fut également reconnue comme étant « l’hôte intermédiaire » entre les deux espèces.
Il ne serait donc pas sérieux de faire croire que quelques semaines ou même quelques mois après son apparition, l’origine du présent SARS-CoV-2 est établie de manière certaine. Laissons cela aux manipulations algorithmiques de Facebook dont son ex-ingénieure et lanceuse d’alerte, Frances Haugen [2], a récemment précisé qu’il s’agissait là d’une entreprise délibérée d’hystérisation des foules à des fins commerciales.
Il subsiste donc plusieurs hypothèses à ce sujet, essentiellement : la fuite d’un laboratoire et une zoonose. Mais dans les deux cas il est admis que le virus original provient d’une ou plusieurs espèces de chauve-souris qui se trouvent dans le nord de la péninsule indochinoise ou en Chine du sud. Récemment, des chercheurs de l’institut Pasteur travaillant sur place [3] en ont identifié le plus proche parent à ce jour. Il serait issu d’une recombinaison virale et présente une identité génétique de 96,85% avec le SARS-CoV-2, c’est-à-dire une similarité plus élevée que celle du virus nommé RATG13 que Shi Zhengli, la chasseuse de chauve-souris (Batwoman) s’enorgueillissait d’avoir rapporté dans son labo, à Wuhan.
Dans ces conditions, il a donc paru urgent… de se plonger dans l’histoire longue afin de prendre un peu de distance avec tout le fracas réseauté.

La première pandémie de l’ère industrielle et du chemin de fer ?

Elle fut appelée « grippe russe, grippe de Saint-Pétersbourg [4], grippe asiatique ou influenza » et ravagea le monde entre la fin 1889 et le début de 1895. Au total, on estime que cette pandémie aurait provoqué au moins un million de morts à travers le monde (ce qui représenterait aujourd’hui 5 millions de décès).
La première flambée importante a eu lieu dans la ville de Saint-Pétersbourg au milieu du mois de novembre 1889. À partir de cette date, la maladie va déferler sur le monde à un rythme extrêmement rapide : en un mois et demi, elle a envahi l’Europe occidentale et pendant la troisième semaine de janvier 1890 elle va provoquer 1 200 décès à New-York, avant d’envahir les États-Unis. L’Australie et la Nouvelle-Zélande vont également être touchées fin janvier et cinq vagues épidémiques vont être observées pendant plus de 4 années : au printemps 1891, de novembre 1891 à juin 1892, dans l’hiver 1893 - 1894 et au début de 1895. D’autres vagues épidémiques circuleront dans de nombreuses régions du monde jusqu’à la fin du siècle.
En Europe, la dissémination de l’affection suit rigoureusement le trajet des 200 000 km de voies de chemin de fer qui ont été récemment développées et elle avance à la vitesse des trains : il fallait alors deux jours pour se rendre de Saint-Petersbourg à Paris. Il en résulte une épidémie quasi uniquement urbaine, les capitales étant les premières touchées dans chaque pays, rapidement suivies par les grandes villes de province. Les campagnes restent globalement indemnes et des populations isolées échappent à la contagion [5].
En France, la pandémie est d’abord observée chez les personnels des Grands Magasins du Louvre, à Paris, avec 670 des 3 900 employés touchés dans la seule semaine du 26 novembre 1889. Dans la capitale, l’infection progresse rapidement et, début décembre, un tiers des lits hospitaliers sont occupés. Noël 1889 est marqué par la saturation des hôpitaux et l’érection en urgence de baraquements dans leurs cours et dans celles des casernes où les malades sont placés alors qu’il fait - 8°degrés à l’extérieur. Le pic de cas survient autour du 28 décembre avec 180 000 personnes simultanément touchées à Paris (il y avait à ce moment-là 2,5 millions d’habitants). Face aux quatre à cinq cent décès quotidiens, les personnels des pompes funèbres sont débordés et demandent la simplification des rites funéraires religieux pour tenir le rythme. La quasi-totalité des médecins hospitaliers parisiens sont infectés. Les écoles, collèges, lycées et universités sont fermés. Le Danemark et le Royaume-Uni sont particulièrement affectés par les deuxième et troisième vagues, plus létales que la première.

Une pandémie documentée et médiatisée de manière inédite

Suite aux découvertes de Louis Pasteur et Robert Koch, cette pandémie fut la première à faire l’objet d’études par des moyens de laboratoire, à être suivie en temps réel et fut richement documentée à l’aide de questionnaires et de rapports. La synthèse du savoir de l’époque qui servira de référence, se trouve dans les mémoires d’un médecin allemand, Otto Michael Ludwig Leichtenstern et de son confrère anglais, Henry Franklin Parsons, du département médical de la ville de Londres. Ainsi, les épidémiologistes employés par le Local Government Board (LGB) ont cartographié la propagation de la maladie afin de tenter de répondre aux questions clés sur son étiologie, son mode de transmission et son interaction avec les affections respiratoires. Leurs investigations ont démontré qu’elle était intensément contagieuse et que les deuxième et troisième vagues étaient les plus dangereuses, quelle que soit la saison. Selon H. F. Parsons [6], « Alors que le démarrage de la première vague de six semaines a été soudain, avec des pics de mortalité dès la troisième semaine, la mortalité a ensuite rapidement diminué. Au contraire, le démarrage de la deuxième vague, en mai et juin 1891, a été plus progressif, s’étalant sur une durée de 8 semaines à Londres, mais cette vague s’avéra finalement plus létale », tandis que la troisième vague à l’hiver de 1892 s’avérait à nouveau presque aussi meurtrière.

« Trois explications étaient formulées autrefois pour rendre compte des pestes : l’une par les savants, l’autre par la foule anonyme, la troisième […] par l’Eglise. La première attribuait l’épidémie à une corruption de l’air […]. La seconde était une accusation : des semeurs de contagion répandaient volontairement la maladie ; il fallait les rechercher et les punir. La troisième assurait que Dieu, irrité par les péchés d’une population tout entière avait décidé de se venger [7]. »

En cette fin de siècle, une des nouveautés de l’ère industrielle fut l’explosion du nombre de quotidiens et de leurs lecteurs. Cette pandémie devint aussi la première à faire les « Une » des journaux qui décrivent en détail ses conséquences : les hôpitaux surpeuplés, le manque de médecins et les pertes économiques. Ce relais médiatique puissant influence fortement l’image de la maladie dans la société civile de tous les pays touchés. On assiste alors à une dramatisation, à des tentatives d’épidémiologie sauvage (« les personnes les plus éduquées sont davantage touchées »), ou à des accusations contre la technologie de l’époque (« si les villes sont les plus touchées, c’est à cause de l’éclairage électrique, absent de nos campagnes, d’ailleurs les employés des compagnies d’électricité sont davantage atteints ») [8], etc. Sont alors promus des remèdes-miracles comme l’huile de ricin, le brandy, les huîtres, la quinine, ce qui occasionne quelques catastrophes familiales avec des décès à la clef en 1891.

La pandémie de 1889-1895 fut-elle une Covid du XIXe siècle ?

Récemment, des chercheurs ont émis l’hypothèse que l’un des quatre coronavirus humains bénins aujourd’hui responsable de rhumes, HCoV OC43 (OC43), pourrait être à l’origine de cette pandémie et provenir d’un coronavirus transmis par les bovins. Ils s’appuient à la fois sur des éléments phylogénétiques, épidémiologiques et cliniques [9].
En 2005 et 2006, une équipe belge a séquencé pour la première fois l’intégralité du génome d’OC43 et l’a comparé à un autre betacoronavirus, [10] le BCoV porté par les veaux dont on suspectait la proximité phylogénétique avec l’OC43. Par une technique d’horloge moléculaire appliquée aux deux coronavirus, ils ont calculé la date approximative de la séparation entre les deux virus qui se situerait autour de 1890 et avancent qu’OC43 serait issu du BCoV (et non l’inverse) car le premier présente des délétions importantes par rapport au second. Ils précisaient « Il s’agit de la première paire zoonotique de coronavirus animal-humain qui peut être analysée afin de mieux comprendre les processus d’adaptation d’un coronavirus non humain à un hôte humain, ce qui est important pour comprendre les événements de transmission inter-espèces qui ont conduit à l’origine de l’épidémie de SARS-CoV [11] [en 2002-2003] »
En août 2020, une équipe danoise sous la direction de Lone Simonsen et Anders Gorm Pedersen a rapporté des résultats similaires à ceux de l’équipe belge, datant également l’apparition d’OC43 à partir du BCoV vers 1890. La force de leur étude réside dans le fait qu’ils disposaient de différentes versions du génome d’OC43, collectées depuis 15 ans, et donc d’une estimation fiable du taux d’évolution naturel de ce coronavirus [12].
Il existe également des éléments épidémiologiques qui suggèrent un passage d’OC43 des bovins vers l’homme à l’époque de cette pandémie. Ainsi, entre 1870 et 1890, le cheptel bovin mondial fut décimé par une panzootie de péripneumonie contagieuse probablement en lien avec l’expansion soudaine, dans la seconde moitié du xixe siècle, du commerce de bovins sur pied, rendu possible grâce aux chemins de fer. Des centaines de milliers de bovins sont alors abattus à travers le monde pour contrôler la maladie. Certains épizoologistes estiment qu’il est probable que les personnels en charge de cet abattage sanitaire massif aient été régulièrement exposés aux virus respiratoires des bovins abattus, dont le BCoV. Et en effet, la transmission du BCoV aux humains (et en particulier aux enfants) a été plusieurs fois observée [13].
Les caractéristiques cliniques de la pandémie de 1889, telles qu’elles nous sont parvenues, suggèrent également une origine coronavirale, compatible avec ce que l’on sait de la pathogénie d’OC43. En particulier, les symptômes neurologiques, qui ont si fortement marqués les praticiens de l’époque, évoquent les capacités neuro-invasives pour lesquelles OC43 est connu (comme l’est le 229E, un autre coronavirus du rhume) [14].

Un siècle s’est écoulé depuis ladite grippe espagnole, et pourtant…

Lorsque l’on s’intéresse un peu à ladite grippe espagnole qui a sévi entre 1918 et 1919, les seules conclusions que l’on peut en lire sont celles-ci : i) le virus se serait assagi de lui-même, ii) il a tué le maximum de personnes avant qu’il ne trouve sur sa route une immunité de groupe suffisante, iii) cette pandémie s’est peut-être arrêtée compte-tenu des deux précédents facteurs. Il n’empêche, elle a tout de même fait entre 20 et 100 millions de morts suivant les estimations : souvenons-nous qu’à l’époque, il n’y avait ni vaccins [15], ni antibiotiques, ni oxygène, ni réanimation et qu’il a fallu attendre 1933 pour que soit isolé le virus de cette grippe.
Mais ce que l’on oublie en général de dire, c’est qu’à cette époque l’aviation commerciale n’existait pas, le tourisme de masse n’était pas si répandu et, s’il fallait entre deux et cinq jours pour parcourir un continent en train, six jours à trois semaines étaient nécessaires pour effectuer des traversées transcontinentales. C’est dire que les malades à bord pouvaient être isolés et qu’en tous cas des quarantaines étaient alors plus faciles à mettre en œuvre. Même si les connaissances et les moyens médicaux se sont développés (avec tous les avatars issus de la rationalité capitaliste que l’on connait), le tourisme de masse, la vitesse et le volume des échanges, l’invraisemblable connectivité que la division internationale du travail exige ont fondamentalement changé la donne par rapport à 1918. Autrement dit la « libre circulation » des biens et des salariés, chère au capital, s’avère être une des composantes majeures du problème. Ainsi l’hypothèse selon laquelle l’aéroport de Roissy fut le hub principal d’importation du virus en France, ne peut être écartée [16].
Mais dans le contexte actuel, prôner une « immunité de troupeau », comme les gouvernements néolibéraux de Grande-Bretagne et de Suède [17] l’ont fait au début de la pandémie avec le succès que l’on pu constater depuis, a les relents nauséabonds d’un eugénisme dont on sait les ravages que cela a pu entraîner dans les années 30 et 40 en Allemagne. En outre, quels groupes sociaux, une fois de plus, s’en sortiraient le mieux, ici et ailleurs sur la planète ?

Conclusions très provisoires

Albert Einstein à qui Hermann Broch avait adressé un exemplaire de La mort de Virgile, exprima dans une lettre de remerciement la fascination qu’exerçait sur lui cette œuvre, en même temps que sa résistance acharnée à ce qu’elle exprime : « Ce livre me montre clairement ce que j’ai fui en me vendant corps et âme à la science : j’ai fui le JE et le NOUS pour le IL du il y a ». [18]

Nonobstant la critique interne que nous développons depuis dix ans concernant « le mode de connaissance scientifique moderne » [19], il est étonnant de constater que ceux et celles qui lui ont voué leurs études et leurs vies restent aussi muets dans la situation présente, à quelques exceptions près. Certes, en adressant deux lettres ouvertes à l’OMS le 6 juillet 2020 et le 4 mars 2021 des chercheurs ont bien réagi, mais ce fut en ordre dispersé et sans suite. Nous le savons, les pressions sont fortes, ne datent pas d’hier et s’exercent jusque dans le choix des sujets de recherche : la forme néolibérale du capital règne aussi dans tous les labos, quoiqu’on en pense. C’est pourquoi un « groupe d’études », même provisoire, serait le bienvenu pour élaborer un éclairage critique indépendant des gouvernements et des gafam [20]. Il pourrait par exemple prendre la forme de la célèbre association de mathématiciens « Nicolas Bourbaki » – dont on a su par la suite qu’Alexandre Grothendieck en faisait partie – et se doter (ou non) de porte-paroles internationalement reconnus.
Reste qu’une réflexion politique et même une critique théorique radicale sont d’autant plus nécessaires que les effondrements politiques, anthropologiques et sociaux en cours vont s’étendre et s’approfondir, entraînant avec eux des conséquences dont la tiers-mondisation actuelle des Etats-unis (pour ne citer qu’un exemple de pays capitaliste occidental) n’est qu’un pâle signe avant-coureur. Par ailleurs, croire que cette pandémie restera un phénomène unique et sans lendemains, c’est faire montre d’une mémoire un peu courte et d’un regard pour le moins étroit. Même si nous y avions jusqu’ici partiellement échappé en Europe, il y eût, dans les trois dernière décennies : l’ESB, la Dengue, le Nipah, le SARS-CoV, le Chikungunya, le H1-N1, le Mers-Cov, Ebola, le H5N1. Les épizooties, les épidémies et les zoonoses vont se multipliant et nombreux sont ceux qui s’accordaient à dire, depuis trente ans déjà, que cela irait s’accélérant [21].
Concernant l’origine possible du Sars-CoV-2, nous n’avons pas envisagé les hypothèses qui ont trait aux laboratoires de Wuhan, faute de sources accessibles, suffisantes et crédibles. Et disons-le, ce n’est pas le rapport de l’OMS qui aura fait avancer les choses dans ce domaine. En effet, l’organisation a accepté, entre autres choses [22] et après des mois de négociations, que toutes les analyses soient réalisées sur place, que le rapport final soit validé par le PCC et que la commission de l’OMS, arrivée en Chine le 14 janvier 2021, en reparte le 10 février, quarantaine de quinze jours comprise. Durant un séjour beaucoup plus efficacement encadré que ce que l’URSS était naguère capable de mettre en place, les experts passeront en tout et pour tout, trois heures à l’institut de virologie de Wuhan, où ils ont rencontré Mme Shi Zhengli, une de ses responsables. Mais ils n’ont pas eu accès à la base de données de près de 22 000 séquences de virus mise hors ligne par ses équipes chinoises le 12 septembre 2019, soit trois mois avant le début officiel de l’épidémie, sous prétexte qu’elles avaient subi de nombreuses tentatives de piratages [23]
Répétons-le, il n’y a, jusqu’à ce début de l’année 2022, aucun consensus de type scientifique sur l’origine de la pandémie. Les deux « chapitres » qui suivent visent donc à attirer l’attention sur une seule hypothèse, celle de la zoonose issue des « élevages » industriels de visons qui, comme toutes les zoonoses actuelles, se combine de fait avec la transformation industrielle et marchande du vivant, l’avancée de la déforestation pour nourrir ces usines à viande [24], celles de l’urbanisation, de la mondialisation des échanges et de tous leurs effets écologiques et climatiques dévastateurs. Dans les années et les décennies à venir, nous aurons à faire face de manière récurrente à d’autres zoonoses, c’est aussi ce qui nous a motivé à ne pas négliger cette hypothèse en ce qui concerne l’origine du SARS-CoV-2, quelle qu’en soit la probabilité.
Mais disons-le, pour le PCC, reconnaître une pandémie issue des « élevages » industriels de visons (si c’est effectivement le cas) serait très coûteux socialement (par le nombre d’emplois mis en cause dans le secteur, à savoir quatorze millions environ), financièrement (des milliards de dollars) et politiquement (nous pensons « au laisser faire – laisser aller » dans les domaines réglementaires, sanitaires, vétérinaires [25] de plusieurs ministères et de nombreux échelons de l’appareil du Parti-Etat) ce qui « tomberait mal » étant donné les difficultés économiques et financières que la Chine connaît depuis quelques temps.

L’hypothèse des « élevages » industriels comme réacteurs infectieux

Quelques réflexions et questions rémanentes
Prélude concernant la méthode. Lors de l’étude historique du « projet Manhattan » il nous était venu à l’idée d’étudier les archives états-uniennes en ligne concernant la première explosion atomique au plutonium, celles du 16 juillet 1945 dans le désert du Nouveau Mexique, étant donné que nous avions rencontré un négationnisme étatique très organisé sur celles d’Hiroshima et Nagasak [26].
À la fin de l’année 2020, pour tenter de contourner ce même type de difficulté, nous avons alors eu l’idée d’étudier de très près ce qui s’est passé en Hollande et au Danemark dans leurs « élevages » industriels de visons et nous avions pu constater la rapidité fulgurante de propagation du virus du SARS-CoV-2 dans ces pays : alors qu’une seule « ferme » contaminée était détectée au Danemark en mai 2020, plus de 230 d’entre elles furent atteintes en septembre de la même année, c’est-à-dire en cinq mois, sans que des explications définitives aient été trouvées jusqu’à ce jour pour expliquer la vitesse de cette transmission. Précisons que les fermes doivent être réglementairement distantes de plus de 8 km entre-elles dans ce pays (ce qui n’est pas le cas en Chine). De plus, le virus avait acquis de dangereuses mutations en se retransmettant aux personnels de ces « élevages » industriels, ce qui avait provoqué l’abattage de plus de 15 millions de visons (une horreur sur laquelle il y aurait beaucoup à dire), le Danemark étant un « producteur » d’une taille comparable à celle la Chine.
Plus de 90 % des animaux avaient été infectés au Danemark, dont 47% se sont avérés asymptomatiques, mais ils ont un taux de mortalité très faible. Le stress, les blessures, l’entassement, la proximité génétique, le passage constant entre les cages de fluides et d’aliments impliquent une circulation virale explosive. Le taux de contamination des travailleurs du vison atteint 68 %. […] Le 4 décembre 2020, le Statens Serum Institute estimait que 2.700 personnes avaient été contaminées par un variant provenant des élevages de vison, [mais dans le reste de l’Europe], seulement neuf pays sur quinze ont testé les travailleurs des fermes à visons ; or, c’est la première région productrice de fourrure au monde, avec plus de trente millions de peaux collectées chaque année […] à l’ère des pandémies, l’existence d’élevages où des millions d’animaux au système respiratoire voisin du nôtre s’entassent dans des conditions sanitaires épouvantables est une bombe à désamorcer d’urgence [27].

Aucun document n’étant disponible concernant les « élevages » industriels de visons en Chine, nous avons finalement fait un appel en janvier 2021, à la suite duquel l’ONG australienne ActAsia, s’occupant plus particulièrement du bien être animal, nous faisait parvenir un rapport précis d’une cinquantaine de pages [28] qu’elle avait publié en 2019. Or, qu’apprenait-on dans ce document ? Essentiellement que des milliers de « fermes » existaient en Chine, que leur densité au km2 dans la province du Shandong y était deux fois plus importante qu’au Danemark ; qu’elles étaient ouvertes à tous les vents (c’est-à-dire aussi aux chauves-souris, aux oiseaux et autres petits animaux), dans des conditions de salubrité hors d’un contrôle vétérinaire digne de ce nom, d’autant que la diversité de leurs tailles – de plusieurs dizaines de milliers d’animaux à quelques unités chez le petit paysan – ne favorise en rien un contrôle sanitaire qui n’est par ailleurs que très peu encadré.

L’Etat-parti-patron maître des horloges…
Concernant la période d’éclosion plausible de l’épidémie en Chine, une étude menée sur image satellitaire par l’Université de Harvard [29] a montré une augmentation significative du trafic hospitalier dans la région de Wuhan depuis septembre 2019, et parallèlement, une forte progression des requêtes liées aux symptômes du COVID-19 dans les moteurs de recherche chinois. D’autre part, entre le 18 et le 27 octobre 2019, les stades de 60 000 spectateurs étaient pleins lors des jeux olympiques militaires de Wuhan, une ville de 11 millions d’habitants. Au retour chez eux, les athlètes de nombreux pays, furent malades [30]. Mais partout l’armée en restera à sa grande tradition de mutisme… Par ailleurs, les reportages vidéo réalisés sur place, à Wuhan, par des lanceurs d’alerte [31] qui furent finalement tous arrêtés en février 2020, témoignaient d’une affection sévère qui remplissait déjà les taxis menant aux cinq hôpitaux de la ville dès le mois de décembre 2019. Enfin, des analyses rétrospectives de prélèvements sanguins en Hôpital, aussi bien en Alsace qu’en région parisienne, ont attesté de la présence du virus dès novembre 2019 en France (Cf. le site de l’Inserm) et même dès septembre en Italie [32]. Disons le clairement : fin janvier 2020, Wuhan fut un cluster d’une telle taille et d’une telle gravité qu’il n’était plus possible de le dissimuler. Ceci dit, il serait intéressant de relater en détail comment, au jour le jour, les bureaucraties centrales et locales du PCC ont œuvré pour en retarder la connaissance, puis en minimiser la gravité. Toutes les infox qui ont suivi et qui tendaient à accréditer son marché – humide ou pas – comme l’épicentre unique de cette pandémie, visaient à dissimuler son étendue territoriale et ses origines, qu’elles quelles soient. Or, s’il y a un large consensus pour dire que la phylogénie du variant Omicron démontre qu’il a circulé dix-sept mois avant d’être détecté en Afrique du sud, rien ne peut empêcher d’émettre l’hypothèse que le « virus princeps » circulait déjà, à bas bruit ou pas, depuis des mois en Chine ou ailleurs et par exemple en Europe, avant décembre 2019.
En effet, dans cette véritable industrie des mustélidés, la plupart des pays occidentaux échangent des moyens, des méthodes, des animaux et des « hommes d’entreprises » avec la Chine [33]. Il a été justement remarqué que certains foyers d’épidémie en Europe, notamment en Italie et en Espagne, se trouvaient à proximité immédiate d’immenses « élevages » industriels. Ainsi, en Lombardie, précisément dans le triangle Lodi-Bergame-Cremone où la maladie débuta, se trouvaient les quatre « fermes » de Capralba, Offanengo, Dovera, Capergnanica qui enfermaient environ 40 000 visons et dont les propriétaires n’acceptèrent de les tester qu’en août 2020… En Aragon, à La Puebla de Valverde qui se trouve à 18km de la ville de Teruel où les premiers cas du pays furent signalés, se situe le plus important stalag de visons d’Europe occidentale avec 100 000 visons encagés [34]. Le Danemark pour sa part, a été un des partenaires les plus importants de la Chine dans l’industrie du vison, notamment dans l’échange de mâles reproducteurs, au moins depuis 2003 ; alors qu’il a un bien meilleur suivi vétérinaire et sanitaire, le pays a connu en 2020 cette foudroyante propagation du SARS-CoV-2 évoquée plus haut.
Comment se fait-il qu’en Chine nous n’ayons aucune trace du début de la moindre épidémie de ce type dans les dernières années, alors que les « élevages » industriels y pullulent par milliers et peut-être même par dizaines de milliers, sans aucuns contrôles et sur tout le territoire ? Sans parler du fait que les échanges d’animaux avec de nombreux pays occidentaux ont été si intenses que les douanes chinoises ont dû adopter des process spécifiques pour ces passages d’animaux vivants (voir ci-dessous). Reste un mystère pour l’heure non élucidé :

En 2017 comme en 2018, le Shandong a produit 15 millions de peaux de visons. Fin 2019, la province n’en a récolté que 6,5 millions. Quasiment neuf millions de visons volatilisés d’une année sur l’autre. Une baisse de 55 %, propre à cette seule province, qui semble ne pouvoir s’expliquer que par un fléau brutal ou une catastrophe. D’autant que les productions de peaux de renards (5,7 millions) et de chiens viverrins (3 millions) issues du même territoire sont, elles, restées parfaitement stables [35].

La fourrure et les « élevages » industriels de visons en chine

 [36]

Jusqu’au milieu du xxe siècle, les animaux étaient piégés, élevés et abattus pour leur fourrure dans la région du nord-est de la Chine, où existaient des usines de transformation associées. Au cours des dernières décennies, la Chine est passée d’un pays dont la population produisait et portait traditionnellement de la fourrure à petite échelle dans les régions froides de l’extrême nord-est, à un pays qui a poussé sa production de fourrure à un niveau industriel inédit.
À partir de 1956, l’élevage des animaux à fourrure en Chine a été développé. L’État a d’abord organisé l’importation de renards et de visons reproducteurs, principalement depuis là Russie. Puis dans les années 70 et 80, des animaux ont été importés des pays nordiques et d’Amérique du Nord pour améliorer le cheptel.

Au cours des années 1980 et 1990, l’industrie chinoise de la fourrure a vraiment commencé à prospérer avec l’ouverture commerciale du pays et l’afflux des investissements étrangers.
Ainsi, cette industrie s’est largement développée avec une main-d’œuvre croissante. En 2017, la Chine constituait 56% du marché mondial de vêtements de fourrure en valeur. Outre l’élevage industriel, il faut signaler deux autres « sources d’approvisionnement » en fourrures : le piégeage sauvage et le vol d’animaux de compagnie ou de chats et de chiens errants.

Géographie de l’élevage et de la transformation des fourrures en Chine
L’élevage d’animaux à fourrure en Chine est concentré principalement dans la province du Shandong, suivie de très loin par les provinces du Liaoning et du Heilongjiang, puis du Hebei, mais il existe beaucoup de fermes isolées dans d’autres provinces de Chine. Il reste donc difficile de déterminer la quantité réelle de fermes à fourrure en Chine malgré de nombreux reportages : les rapports de l’industrie et de la recherche universitaire ont tendance à mesurer le nombre de fermes à fourrure à partir d’une certaine taille seulement. L’industrie affirme que 12% des exploitations sont de grande taille (ces fermes concentrent plus de 10 000 animaux), 32% de taille moyenne (10 000 à 1000 animaux) et 46% de petite taille (moins de 1000 animaux).
Pour tenter d’empêcher la propagation des maladies zoonotiques, cette « industrie » s’oriente désormais vers de plus grandes exploitations ou des « grappes de fermes » qui sont soutenues par les marchés de transformation et de gros en raison des marges bénéficiaires élevées dans ce secteur. Mais dans la province du Zhejiang, le nombre de petites exploitations familiales a en fait augmenté avec l’expansion de l’industrie de la fourrure.

Les élevages industriels de visons
Historiquement, les visons ont été élevés pour leur fourrure plus que toute autre espèce. Dans les années 1950, cet élevage industriel a commencé dans le district de Wendeng – province du Shandong – et avec le soutien du gouvernement local, des entreprises coopératives ont vu le jour à proximité, notamment en ce qui concerne la production d’aliments pour animaux, la transformation des peaux et la vente en gros de fourrures. Ensuite, dans la même province, Zhucheng est devenue l’une des plus grandes villes d’élevage de visons de Chine depuis qu’elle a commencé à importer du vison noir de Russie dans les années 1970. On prétend que sa seule production représente plus de 25% de la production de tout le pays, tandis qu’environ 70% des visons sont élevés dans la province du Shandong. En 2015, il y aurait eu 8 600 éleveurs localement établis dans la région.
Selon l’association de l’industrie du cuir de Chine (CLIA), 60 millions de peaux de vison auraient été « produites » en 2014, contre 13 millions de peaux de renard et 14 millions de peaux de chien viverrin. À cette date, le marché mondial des peaux de vison – estimé à 40 milliards de dollars – a atteint un point de saturation. Si l’appétit du marché chinois pour la fourrure semblait insatiable, il n’a pu absorber immédiatement ses propres 60 millions de visons abattus cette année-là : les magasins ont commencé à faire des stocks, les peaux de vison ont rempli les entrepôts frigorifiques et les prix ont chuté. En fait, il semble que les éleveurs, les transformateurs, les propriétaires d’usines, les grossistes et les détaillants étaient tous impatients de faire de bonnes affaires dans un marché qui avait quadruplé en moins de cinq ans. Les autres raisons de cette surproduction pourraient provenir d’une répression de la corruption dans « la chaîne de production de valeur », tandis qu’une crise financière sévissait en Russie dont 65% des produits de fourrure importés provenaient de Chine.
Ainsi, la production chinoise de peaux de vison est passée de 60 millions en 2014 à 21 millions en 2018. [Une question demeure : cette chute était-elle uniquement due à une « crise de surproduction ?]

L’importation de mâles reproducteurs vivants
Depuis les années 2000, de plus en plus d’élevages chinois importent à titre privé des visons et des renards mâles vivants pour la reproduction. Le Danemark est la principale source d’importation de visons mâles en Chine grâce à la collaboration avec Kopenhagen Fur. Les reproducteurs sont importés parce que les techniques d’élevage en Chine sont moins avancées et que la qualité de la fourrure a tendance à décliner après quelques générations de reproduction endogamique.
De grands centres d’élevage servent de plaques tournantes pour les mâles importés en Chine, qui sont ensuite distribués aux petites fermes. Cette importation de reproducteurs est si importante que des bureaux de douane de « passage vert » ont été créés à Dalian (Heilongjiang) et Jilin en 2014, pour faciliter le processus. Ce « passage vert » simplifie les procédures d’inspection, ce qui aide également les vendeurs à contourner les réglementations sanitaires existantes.

Étude de cas : une ferme modèle du nord de la Chine
En 2003, une nouvelle installation d’élevage industriel de visons a été fondée à Dalian, sur 100 000 mètres carrés, en collaboration avec la société danoise membre de l’association coopérative DPF / DPA. Son site Web indique qu’il est prévu de vendre chaque année 20 000 visons pour la reproduction. Dans le cadre de ces activités, il y a une usine de dépouillement de vison, une usine de vêtements de fourrure et une usine de transformation d’aliments pour visons [une « intégration verticale » de type fordiste]. Extraits du site Web de promotion en 2019 :
« Nous voulons créer des produits de fourrure parfaits avec du vison de haute qualité, un mode d’alimentation mécanisé de pointe, l’équipement d’élevage et de traitement des produits le plus avancé au monde, ainsi que la formule alimentaire la plus raisonnable, importée de l’étranger…
En 2003, nous avons créé la première coentreprise sino-étrangère d’élevage de visons avec les danois… Il y a maintenant un total de 52 000 visons reproducteurs dans 15 variétés. Nous embauchons régulièrement des experts étrangers pour améliorer l’alimentation des visons et la formulation d’aliments. Notre société est la plus grande base d’exportation de la Chine… C’est également l’une des dix principales bases de reproduction reconnues par le Comité d’élevage de la Wild Life Conservation Association of China…
Nous avons de grands objectifs de développement : créer une institution de commerce des fourrures en Chine, améliorer le développement de l’élevage de visons, renforcer la compétitivité internationale de l’industrie des vêtements de fourrure et promouvoir le développement sain de la logistique et du commerce des fourrures et des cuirs ». [Une parfaite déclinaison de la novlangue capitaliste occidentale…]

Législation relative à la production de fourrure en Chine
La Fédération internationale de la fourrure (IFF) se définit comme suit : elle « représente 56 associations dans plus de 40 pays à travers le monde. Ses membres représentent tous les secteurs du commerce de la fourrure, y compris les éleveurs, les trappeurs, les habilleurs, les fabricants, les courtiers, les maisons de vente aux enchères, les détaillants et les stylistes. Chacun de ses membres a signé un code de conduite strict les engageant à respecter les lois du secteur auxquelles ils sont soumis dans leur pays d’origine. »
En novembre 2011, les spécifications de gestion du marché du cuir et de la fourrure (SB / T 10584-2011) établies par le ministère du Commerce en Chine sont officiellement entrées en vigueur. Elles recommandent aux éleveurs d’animaux à fourrure de repenser et de modifier leurs méthodes. En théorie, leur contrôle relève de l’Administration d’Etat des forêts et devait être promu en 2017 dans les cinq principales provinces d’élevage d’animaux à fourrure : Shandong, Heilongjiang, Liaoning, Hebei et Jilin. Cependant, ce ne sont que des recommandations, non obligatoires, identifiées par la lettre « T » dans le titre 45. D’ailleurs, aucune sanction n’est prévue pour en assurer l’application.
En fait, la règlementation chinoise concernant les « élevages » et industries dérivées de visons, de renards et de chiens viverrins est peu ou pas appliquée à ce jour. En outre, les entreprises d’élevage domestique, ressortissent de domaines juridiques spécifiques, avec leurs propres normes.

Rentabilité immédiate contre normes sanitaires et environnementales
Concernant l’élevage industriel et l’abattage des animaux à fourrure, il existe peu de contraintes légales ou réglementaires de ce type qui soit exécutoires en Chine. De plus, elles sont guère prises en compte, d’autant qu’il n’y a aucune pénalité pour les entreprises qui ne les respectent pas ; les méthodes les moins chères sont prioritairement utilisées. Les déchets toxiques sont généralement rejetés dans les rivières ou les lacs et les travailleurs de la fourrure ne bénéficient d’aucune protection contre les produits chimiques potentiellement cancérigènes et par ailleurs toxiques avec lesquels ils entrent en contact quotidiennement.
Des normes de protection de l’environnement sont en place en Chine depuis les années 2000, et, bien qu’elles soient classées comme obligatoires, ce n’est que récemment que des plaintes pour pollution issue des fermes à fourrure ont été prises en compte. Des enquêtes sur les mauvaises pratiques dans les élevages industriels des provinces du Hebei, du Zhejiang, du Henan et du Guangdong ont été ouvertes en 2017.
En théorie, des fermes pourraient être fermées pour ne pas avoir respecté ces normes. Mais dans la pratique, les appliquer strictement causerait des dommages considérables et indésirables à l’industrie de la fourrure, car peu de fermes ou d’usines de transformation sont disposées à investir les fonds importants nécessaires pour appliquer ces normes.

Une rentabilisation croissante, de l’élevage à l’abattage
Les périodes de maturation des animaux d’élevage sont raccourcies avec l’utilisation de drogues, de sorte que la production et les bénéfices augmentent rapidement. Prenant le vison comme exemple, les médias rapportent que traditionnellement, le vison né en avril était écorché en novembre ou en décembre. Actuellement, il peut être écorché dès le mois d’août, avec une vie de quatre mois. Pour les fermes à fourrure, il s’agit d’une réduction importante des coûts de main-d’œuvre et de nourriture. La mélatonine est utilisée pour raccourcir le temps de maturité des visons, mais les os poussent trop rapidement, la densité osseuse, la reproduction saisonnière et les habitudes de sommeil en sont affectés.

Une main-d’œuvre mobile et considérable…
Près de sept millions de personnes travaillent dans l’industrie chinoise de la fourrure, dont 50% environ dans celle du vison. Sur la base d’une moyenne de ménage de trois personnes, l’industrie affecte directement la vie de près de 20 millions de personnes - sans compter les détaillants de mode ou les créateurs. Par exemple dans le comté de Suning ou dans la ville de Leting (province du Hebei), environ un tiers de la population travaille dans l’industrie des animaux à fourrure.
Pendant la saison de dépouillement, les « écorcheurs mobiles » se déplacent de ferme en ferme, abattant et dépouillant les animaux aussi vite que possible, ce qui conduit à un dépouillement à vif et à un essaimage des épidémies…
Dans le passé, la chair de vison laissée après le dépouillement était consommée par les éleveurs eux-mêmes, ou vendue collectivement à des marchands de viande, entrant ainsi dans les marchés alimentaires. Mais en raison des quantités beaucoup plus importantes d’animaux écorchés et de l’utilisation de médicaments pour les développer, la plupart des fermes à fourrure préfèrent donner les animaux écorchés à la prochaine génération d’animaux d’élevage dans leur usine à cages. [Une pratique qui n’est pas sans rappeler un des facteurs d’apparition de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) de 1986 au Royaume Uni.]

Jean-Marc Royer, le 26 janvier 2022


Post-scriptum pour éviter d’en rester à une critique abstraite du capital : dire que celui-ci exploite tout ce qui peut l’être et même conduit une guerre généralisée au vivant ne suffit pas ; il faut examiner la manière concrète dont cela se traduit et les conséquences qui en découlent. Ainsi, transformer le plus rapidement possible des masses d’animaux en produits industriels de plus en plus rentables, cela suppose toute une économie mortifère avant, pendant et après cette « production », avec d’énormes conséquences en cascades : de la déforestation de l’Amazonie pour y produire du soja destiné au bétail, jusqu’à l’empoisonnement de ceux qui consomme cette production, en passant par celui des sols et des nappes phréatiques, sans oublier les émissions de méthane comme GES le plus important à court terme, (cf. le GIEC), etc… De manière inévitable, « le mal être animal » – encore considéré de haut par les thuriféraires de l’abstraction marxologique – est non seulement un des symptômes du capital, mais il est intrinsèquement lié à son procès et à son essence mortifère. C’est pourquoi il est devenu interdit de le montrer. En ce sens, L214 fait un salutaire travail de dévoilement, quelle que soit les anathèmes du type « c’est une vison tronquée du capitalisme… » qui peuvent lui être adressées. Sans oublier que ces « élevages » industriels ont été, sont et seront la principale source des zoonoses à venir. Pour rappel, les premières sont apparues lorsque certains groupes de Sapiens ont commencé à se sédentariser, puis à domestiquer les animaux présents dans leurs environnements respectifs. Ces divers processus de domestication, parfois très éloignés dans l’espace et le temps, ont concerné des espèces endémiques très différentes. Les immunités acquises ont donc été spécifiques selon les régions ; c’est d’ailleurs l’un des éléments d’explication du choc bactériologique dévastateur subi par les populations américaines après l’arrivée de Christophe Colomb en 1492.





[1En juillet 2019, la phylogénie (la généalogie du virus) était encore en discussion. Article collectif, « Molecular epidemiology, evolution and phylogeny of SARS coronavirus, Infection », in Genetics and Evolution », Volume 71, July 2019, Pages 21-30. Merci aux amis médecin et biologiste pour leur relecture attentive d’un texte qui n’engage que son auteur. Lire Meriadeg Le Gouil, « Relations écologiques virus/chiroptères. Coronavirus, CoV-SRAS et autres virus de la chirofaune de Thaïlande », 12 décembre 2008, Pasteur, IDR, MNHM, une thèse passionnante.

[2Ecouter ses auditions devant le Sénat des Etats-unis le 5 octobre et devant l’Assemblée Française le 10 novembre 2021.

[3Cf. l’article de Temmam S. et al., Research Square, Institut Pasteur, 17 Sep, 2021 et l’article de Marc Gozlan, « Des coronavirus de chauves-souris très proches du SARS-CoV-2 identifiés au Laos », Le Monde, 20 sept. 2021.

[4Passage inspiré par l’article de Stéphane Korsia-Meffre publié par le Vidal le 26 novembre 2020, mais résumé, remanié et revu à la lumière des sources citées en notes par son auteur.

[5Valleron, Cori, Valtat et Meurisse, « Transmissibility and geographic spread of the 1889 influenza pandemic », PNAS, vol. 107, no 19,‎ 11 mai 2010.

[6M. Honigsbaum, Honigsbaum, « The ‘Russian’ influenza in the UK : lessons learned, opportunities missed », Université de Zurich 2011.

[7Jean Delumeau, « La Peur en Occident. xive - xviiie siècle », Paris, Hachette 1999, (Fayard 1978), cité par Rémi Noyon dans l’article « Pour comprendre la psychologie d’une population travaillée par une épidémie... », L’Obs, 27 mars 2020.

[8Bogumiła Kempińska-Mirosławska, Agnieszka Woźniak-Kosek, « The influenza epidemic of 1889–90 in selected European cities – a picture based on the reports of two Poznań daily newspapers from the second half of the nineteenth century”, Medical science Monitor, 2013.12.10.

[9David M Patrick MD et al. « Une flambée de coronavirus OC43 humain et une réactivité sérologique croisée avec le coronavirus du SRAS », Canadian Journal of Infectious Diseases and Medical Microbiology, Nov-Dec 2006, v.17(6).

[10Leen Vijgen et al., « Complete Genomic Sequence of Human Coronavirus OC43 : Molecular Clock Analysis Suggests a Relatively Recent Zoonotic Coronavirus Transmission Event », Journal of Virology, Vol. 79 et 80, 2005 et 2006.

[11M. Honigsbaum, art. cité, traduction de l’auteur.

[12Stéphane Korsia-Meffre, art. cité.

[13Cette hypothèse rappelle fortement l’épidémie de SRAS en 2002-2003, en lien avec l’abattage de civettes pour la consommation, voire celle de l’infection par le VIH/sida dans les années 1950 à partir de la consommation de chimpanzés sauvages.

[14Nathalie Arbour et al., « Neuroinvasion by Human Respiratory Coronaviruses », Journal of Virology, Oct. 2000, p. 8913-8921.

[15Au xxe siècle, la variole a fait entre 300 et 500 millions de morts avant d’être éradiquée en 1980 grâce à une vaccination obligatoire et systématique. Signalons au passage que depuis 2018, onze vaccins sont obligatoires pour les enfants, à savoir : la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, l’haemophilius influenzae B, la coqueluche, l’hépatite B, la rougeole, les oreillons, la rubéole, le méningocoque C, le pneumocoque.

[16Nous y reviendrons dans une analyse précisément chiffrée des importants trafics aériens entre la Chine et Paris.

[17La Suède est un des derniers pays à avoir aboli ses lois eugénistes, en 1976.

[18Cité par Banesh Hoffmann, in Albert Einstein, créateur et rebelle. Paris, Seuil, 1975, p. 272.

[19La science, creuset de l’inhumanité, L’Harmattan, 2012 ou Carnets de réclusion #6, paru dans lundimatin#277, le 1er mars 2021.

[20Nicolas Gutierrez, in Sciences et Avenir, 16 sept. 2021. Marc Gozlan, « La piste d’un vaccin universel anti-coronavirus », in Le Monde, 14 mai 2021, Yves Sciama, « La stratégie zéro Covid bousculée par les variants du virus », in Reporterre, 11 décembre 2021 et Samuel Alizon, « Deux variants peuvent se retrouver dans une même cellule… avec quels risques ? », The Conversation, 14 janvier 2022.

[21Sans parler des épizooties qui donnent lieu à d’énormes abattages : en Europe, deux cent mille bovins à la fin des années 1980, plus de vingt millions de visons en 2020, six cent mille canards au début 2021 en France. Le 16 décembre, un foyer de type H5N1 a été confirmé dans un élevage de canards du Gers et le 21 janvier 2022, 400 foyers d’Influenza aviaire hautement pathogène ont été détectés dans les élevages de 29 pays européens…

[22Elle a aussi accepté que 17 membres sur 27 soient Chinois et que Peter Daszak soit le seul Etats-unien du groupe alors qu’il a quelques conflits d’intérêts avec l’institut de virologie de Wuhan (WIV) : l’ONG EcoHealth Alliance qu’il préside, a financé le WIV à hauteur de 600 000 dollars dans les années précédentes et il a publié une vingtaine d’études avec les chercheurs du WIV au cours des quinze dernières années…

[23Yohan Blavignat, « Origines du Covid-19 : Peter Daszak, le "chasseur de virus" qui en savait trop », L’Express, 14 février 2021 et Binh An Vu Van « La difficile recherche de l’origine du virus, Radio Canada, le 16 octobre 2021.

[24Dans son livre intitulé, « L’homme et la nature. Une histoire mouvementée », paru en 2013, Valérie Chansigaud, fait remarquer que ces élevages industriels constituent aujourd’hui 90% de la biomasse animale sur Terre (insectes et vers de terre non compris, p. 222).

[25Pour se faire une idée des conditions sanitaires des élevages industriels en Chine, lire Jean Baptiste Percheron, Jan Peter van Ferneij, « La propagation du virus est hors de contrôle. L’épizootie de la fièvre porcine africaine décime le cheptel chinois », 20 mai 2019.

[26Certaines archives avaient « malencontreusement brûlé dans un incendie aux origines inconnues » et d’autres avaient été scrupuleusement caviardées. Il n’y a aucun doute que concernant les débuts de cette pandémie en Chine, aucune archive ne sera consultable, si elles existent encore.

[27Yves Sciama et Yann Faure, « Les élevages de visons sont-ils la source de la Covid en Europe ? », Reporterre, 21 décembre 2020, Yann Faure, « Malgré les risques de Covid, les États rechignent à arrêter l’élevage de visons », Reporterre, 22 décembre 2020 et « Selon l’OMS, les élevages de visons en Europe représentent un « risque élevé » de propagation du Covid-19 », Reporterre, 18 février 2021.

[28Yann Faure, a eu la même idée que nous. Il faut dire qu’il avait déjà évoqué la piste des visons dans un article précédent.

[29Okanyene E, Rader B, Barnoon YL, et al. Analysis of hospital traffic and search engine data in Wuhan China indicates early disease activity in the fall of 2019.

[30Témoignage d’Elodie Clouvel, « Des cas de Covid-19 dès les Jeux mondiaux militaires d’octobre 2019 ? », France 24, 6 mai 2020.

[31Il s’agit de Fang Bin, de Zhong Zhan née le 2 septembre 1983 à Xianyang, de Chen Qiushi né le19 septembre 1985 et de Li Zehua né en 1995.

[32Giovanni Apolone et al., Unexpected detection of SARS-CoV-2 antibodies in the prepandemic period in Italy,Tumori Journal, 11 novembre 2020.

[33Le 23 mars 2019, le gouvernement Italien signait 29 contrats ou protocoles d’accords avec la Chine, faisant du pays le premier débouché européen d’une des « routes de la soie ». Pour l’occasion, Xi Jinping avait fait le déplacement.

[34Sur Maps, Coordonnées de Capralba : 45.427525, 9.65468 et de Valverde : 40.2377, -0.94669. Signalons que le gouvernement Italien avait signé le 23 mars 2019 pas moins de 23 contrats ou protocoles d’accords qui plaçait le pays en tête de pont européen des routes de la soie.

[35Yann Faure, enseignant en sociologie de la santé à l’École centrale de Lyon, « Origine du Sars-Cov2 : Vers une enquête à « rebrousse-poil » de l’OMS en Chine ? », les-crises, 7 janvier 2021. « Transmission of SARS-CoV-2 on mink farms between humans and mink and back to humans ». Revue Science, 10 Nov 2020, Vol 371, Issue 6525 p. 172-177 et « COVID-19 et animaux », Plateforme Epidémiologie de Santé Animale, 05/01/2021, PDF.

[36Traduction résumée d’un rapport de 50 pages d’ACTAsia, une ONG est enregistrée au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Australie, aux États-Unis… Merci à Bernard G. et Gary Libot pour leur aide à la traduction. ACTAsia, « China’s fur trade and its position in the global fur industry », July 2019, PDF.