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Le justificatif de Gustave Courbet sur "Le Déboulonnage de la colonne Vendôme"



lundi 17 septembre 2018,


Fulano


Culture

Partisan de La Commune de Paris, Gustave Courbet est arrêté après la Semaine Sanglante. Parmi les chefs d’accusation retenus contre lui, figure son implication dans la destruction de la colonne Vendôme, le 16 mai 1871. Condamné à en payer la reconstruction en 1873, il mourra en 1877, avant le premier paiement …

En 1892, "La Chronique des arts et de la curiosité" [1], publiait un "mémoire justificatif inédit de Gustave Courbet" [2] sur cet épisode.


« C’est influencé par le vœu populaire qui attribuait à ce monument commémoratif de nos succès guerriers cette seconde invasion et tous les désastres de la France, et c’est après en avoir référé aux artistes dans une assemblée générale, où il fut décidé que ce temps et la morale actuelle répudiaient les guerres ; et, d’autre part, que ce monument était sans valeur d’art, que j’adressai au gouvernement du 4 Septembre, dit de la Défense Nationale, la pétition par laquelle j’émettais la vœu que cette colonne fût déboulonnée et transportée aux Invalides, disposés en Musée.

« La Chambre ne donna pas cours à cette pétition ; alors il n’en fut plus reparlé ; je n’y tenais pas davantage. Plus tard, M. J. Simon (ministre de l’Instruction) proposa de descendre le Napoléon qui est au-dessus de cette colonne pour fondre en bronze la statue de la ville de Strasbourg.

« Comme président des artistes, je fis remarquer à M. J. Simon, par la voie des journaux, que je ne demanderais pas mieux qu’on descendit la statue de Napoléon de cette colonne, mais que la statue de la ville de Strasbourg n’avait pas, comme elle existe aujourd’hui, une qualité artistique suffisante pour mériter le bronze et que, comme toutes les villes de France allaient faire leur devoir, nous trouverions à la fin de la guerre la place de la Concorde transformée en un magasin de Barbedienne [3]. M.J. Simon, il faut le croire, se rendit à cette idée, car on n’en reparla plus ; à partir de là, il ne fut plus question de la colonne.

« Le gouvernement du 18 mars, la Commune de Paris, reprit à nouveau (mais sans ma participation) cette idée pour son compte, afin d’exprimer par cet acte l’idée antibelligérante qu’elle professait. Ce décret parut douze jours avant ma nomination à la Commune.

« Lorsque, plus tard, on se décida à mettre ce décret à exécution, le marché avait été passé en dehors de moi par le Comité exécutif. Mais lorsque je sus qu’on la faisait tomber d’un bloc, je m’y opposai, sans obtenir de résultat, tenant toujours à mon idée de la faire transporter aux Invalides, sans rien briser, pour qu’on pût, s’il était loisible à la population, la relever au milieu de l’Esplanade des Invalides, qui est sa vraie place, ou dans les parages consacrés dans Paris aux Arts et aux monuments de ce genre, tels que Champ-de-Mars, Invalides, École militaire, État-major, arsenaux, Ministère de la guerre, etc., etc. ; que, du reste, cette colonne, placée là, avait une reculée en proportion de sa hauteur pour pouvoir être embrassée par l’œil et remplirait par le fait cet espace immense et vide.

« Considérant, d’autre part, qu’elle était une antithèse malheureuse à la place qu’elle occupe actuellement, jurant avec les mœurs et les habitudes d’un monde élégant tout à fait en dehors de ces idées-là ; disproportionnée par sa grandeur, qui est plus du double des maisons, et invisible par le peu d’espace qui l’entourait, et comme effet moral produisant la vue d’un ruisseau de sang dans un jardin d’agrément. Ma proposition n’eut pas plus de succès qu’à la Chambre du 4 Septembre. Je proposai aussi de conserver le soubassement et le tronçon ou d’y mettre une figure avec un bonnet phrygien, sans succès. Plus tard, le Comité de Salut public me demanda les moulages de cette colonne, qui étaient, prétendait-il, dans les caves du Louvre. Je ne donnai pas cours à cette demande ; je ne sais pas s’ils existent réellement ; mais je ne m’en occupai pas. Je suis, par ma nature, entièrement opposé à la destruction, rien ne me gêne ; ma liberté d’esprit domine toute chose ; je voudrais que la terre fût si encombrée d’objets qu’on ne puisse pas y passer ; moi-même, je suis encombré d’objets insignifiants et je n’ose rien brûler.

« Non, je ne mérite ni tant d’honneur ni tant d’indignité. Je remercie beaucoup mes admirateurs et mes détracteurs pour les vers et les lettres qui m’ont été adressés à cette occasion ; je n’ai nul besoin de cette célébrité et je décline ma compétence dans la chute de cette colonne, car je ne tiens qu’à l’honneur et à la célébrité que peut me rapporter mon art. Comme on sait que je professe beaucoup d’indépendance, les journaux ont l’habitude de me faire penser beaucoup plus que je ne pense moi-même. Je les remercie beaucoup de leurs bonnes intentions ; cependant je désirerais qu’ils placent moins de fables sur mon compte et qu’ils en prennent plus souvent eux-mêmes la responsabilité.

« En proposant cette idée, ce n’était pas pour l’abolir ; c’était, au contraire, pour lui en opposer une qui n’aurait pas eu de sens sans elle : je proposai de la remplacer par le dernier canon acculé sur un piédestal, sur trois boulets, gueule en l’air, surmonté d’un bonnet phrygien, signe de l’alliance des peuples, et la déesse de la Liberté entourant ce canon de guirlandes de fleurs.

« Laissons ces emblèmes ; je préférerais encore que cette rue se nomme rue de la Paix dans toute sa longueur, et qu’au milieu de la place de la Paix se trouve une corbeille de fleurs avec de l’eau, puis une grue énorme, dormant sur une patte ; ça.représenterait la placidité de la nature.

« Chaque citoyen peut avoir son idée sur les fondamentaux, à la naissance de la voûte. Les pieds-droits de ces arcs correspondent à des colonnes dont on a dit qu’elles étaient une fâcheuse décoration parasite. De plus, dans ces arcs qui sont l’œuvre vive, se retrouvent des briques avec marques inscrites qui sont de l’époque d’Adrien. Cette question se pose, à savoir si la voûte n’a pas été tout entière reconstruite par cet empereur. M. Villari, ministre de l’instruction publique, a mis libéralement à la disposition de M. Chedanne les plus puissants moyens de recherche. Un échafaudage permet déjà le travail à la naissance de la voûte, à une hauteur de vingt-deux mètres. Un autre s’élèvera bientôt jusqu’à l’œil de la coupole, qui sera étudiée extérieurement aussi, de même que les murs et le sous-sol du monument. Plusieurs problèmes archéologiques pourront être éclaircis par ces recherches.

Source : La Chronique des arts et de la curiosité. 3 décembre 1892


Nota : Ce mémoire reprend des éléments de contenus, adressés dans une lettre du 21 juin 1871 à Monsieur le ministre J. Simon, ministre de l’Instruction [4]



[1Supplément a la Gazette Des Beaux-Arts, revue française de critique et d’histoire de l’art, fondée en 1859 et disparue en 2002

[2Adressé par l’artiste à son avocat, maître Charles Lachaud

[3Ferdinand Barbedienne, 1810- 1892, Industriel français, connu pour sa fonderie de bronze d’art.

[4"Mes intentions à propos de la colonne Vendôme"

À Monsieur le ministre J. Simon