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Hitler fut-il une "marionnette du grand capital" ?



samedi 4 décembre 2021,


Jean-Marc Royer


International Réflexions Social

À cette époque, la mort fut le maître-mot de l’Allemagne, comme aurait dit Lacan, à la suite du poète Paul Celan.

Nous ne croyons pas à la renaissance stricto sensu d’une forme classique d’un des fascismes de l’entre-deux guerres. Par contre, de nouvelles formes de « totalitarismes démocratiques » [1] sont apparues depuis deux ou trois décennies, qui utilisent à présent les réseaux sociaux pour élargir leur base sociale. Mais depuis quelques mois nous sommes également en train d’assister ici même à une recomposition profonde – de la base au sommet, de manière unitaire, des royalistes aux néo-fascistes – de toutes les forces d’extrême droite qui sont en train de s’organiser en divers réseaux « sur le terrain » ; c’est une situation nouvelle dans ce pays depuis soixante ans. En outre, cela concerne de plus en plus de gens en armes, jusqu’aux chasseurs que la « Garde Nationale » peut légalement enrôler. Et pour couronner le tout, de nombreuses publications et médias font maintenant régner une pensée d’extrême droite jusque dans l’écologie [2], appliquant ainsi la doctrine gramscienne d’accession au pouvoir à travers la lutte des idées.

Afin de décrypter ces montées au pouvoir aux Etats-unis, au Brésil ou ailleurs, un des points décisifs du débat consisterait, nous dit-on, à scruter les forces du capital qui sont derrière les candidats autocrates. Outre que cette approche est largement insuffisante, elle se réclame, à tort, de l’exemple nazi. C’est ce que nous souhaitons montrer à travers le travail de recherche suivant qui débouchera sur l’analyse d’un parallèle historique, celui qui est fait entre les années 1930 et les nôtres. Nous laisserons aux lecteurs le soin de penser en quoi le débat autour de ces questions pourrait avoir une certaine actualité en France [3]

L’ascension au pouvoir d’Hitler se situe entre la mi-1920 et le 30 janvier 1933 très précisément [4]. Certains ressassent à l’envi depuis des décennies que « le rôle du grand capital » fut décisif à ce moment-là. Cette increvable doxa vient masquer la responsabilité du Komintern dans la montée du nazisme, [5] fait oublier le pacte germano-soviétique de 1939 et pérennise une détermination univoque que professaient les marxologues ou les marxiens ésotériques d’antan. Ce qui est en jeu n’est pas simplement historique ou théorique, mais bien politique, ne leur en déplaise. Autrement dit, il s’agit d’ouvrir les yeux sur la réalité, qu’elle soit passée ou présente, au lieu de la recouvrir d’une abstraction commode.
En l’occurrence, et pour ne prendre qu’un seul autre aspect de cette histoire, il ne s’agirait de toutes manières pas que du capital allemand dans cette ascension. Le rôle de Wall-Street et plus largement celui des Etats-unis ne peuvent plus être ignorés : les écrits antisémites de Ford furent largement diffusés outre-Rhin dès 1920, les plans Dawes puis Young (1924 et 1929) ainsi que des transferts de technologies stratégiques ont permis la reconstitution rapide de la puissance militaire allemande puis nazie, tandis que les « élaborations juridiques du racisme » aux États-unis étant bien plus « avancées » qu’au sein du NSDAP, elles ont servi de modèle aux lois de Nuremberg en 1935 [6]. Tout cela est d’ailleurs une histoire qui reste encore largement à élaborer [7].
Cependant, ce qui nous intéresse à présent, c’est d’examiner en détail les liens du capital allemand avec Hitler et le NSDAP de 1920 au 30 janvier 1933 afin d’en tirer, si possible, des enseignements théoriques et politiques pour aujourd’hui.

Les premiers pas du parti nazi

Entre 1918 et 1920, Dietrich Eckart [8] fut le responsable du périodique antisémite Auf gut Deutsch, qu’il publiait en collaboration avec Alfred Rosenberg. Eckart rencontre Adolf Hitler à l’occasion d’un discours tenu devant les membres du parti DAP (Deutsch ArbeiterPartei) le 14 août 1919. C’est lui qui présenta Alfred Rosenberg à Hitler alors qu’il était le responsable du Münchener Beobachter (l’Observateur Munichois), première version du Völkischer Beobachter qui deviendra le quotidien du NSDAP et dans les pages duquel sera publié le Protocole des Sages de Sion. Peu d’autres personnes ont eu autant d’influence sur Hitler : le second tome de Mein Kampf s’achève d’ailleurs par une vibrante dédicace à Eckart. Au nombre de ces convertis de la première heure, on trouve les éditeurs en vue Julius Lehmann et Hugo Bruckmann ou Helen la belle-fille du célèbre fabricant de pianos Bechstein. Avec Elsa Bruckmann et Winifred Wagner, [9] elle contribuera à réformer son image publique de petit peintre autrichien en l’acculturant aux bonnes manières aristocratiques : ce fut une clé d’entrée indispensable dans les cercles très fermés des dirigeants de cette époque, ce qui doit nous renvoyer à l’étude des relations très particulières de la noblesse avec le capital allemand tel qu’il s’accumule durant tout le xixe siècle [10].
Le NSDAP, né le 8 août 1920, est héritier du DAP, lui-même fondé en janvier 1919 et qui est l’un des nombreux mouvements Völkisch à la fois nationalistes, antisémites, anticommunistes et anti-systèmes [11] qui émergent en Allemagne après la défaite militaire du pays et cherchent à se rallier la classe ouvrière. Entre le mois de janvier et la fin de l’année 1920, le nombre d’adhésions au nouveau parti ainsi constitué à l’été passe de 200 à plus de 2 000.
« Le programme nazi en 25 points de 1920 demandait "la suppression des revenus obtenus sans travail et sans peine [la finance assimilée aux juifs] et l’affranchissement de la servitude capitaliste", (point 11) ; la confiscation des bénéfices de guerre (pt 12) ; la nationalisation des Konzerns [12] (pt 13), la "participation" sans autre précision aux bénéfices des grandes entreprises (pt 14) ; la remise des grands magasins à l’administration communale et leur location à bas prix aux petits commerçants (pt 16) ; une réforme agraire qui envisageait des expropriations à grande échelle (pt 17). Le dernier point ébauchait un corporatisme sommaire en prévoyant la création de "chambres professionnelles", courroies de transmission d’un "fort pouvoir central". Ni étatisation de l’économie, ni même programme cohérent, ces intentions ne visaient que des cibles traditionnelles dans le contexte de la crise du début des années 1920 : les monopoles, les capitaux spéculatifs et "apatrides", les grands propriétaires agrariens [13]. »
Suite à la défaite militaire et aux crises révolutionnaires, économiques et sociales, « Hitler fut le premier à établir dans Mein Kampf un lien entre la prétendue nécessaire "élimination des juifs", une vieille rengaine, et la lutte contre le bolchevisme, maître mot de la droite depuis la révolution d’Octobre. Il parachèvera cette doctrine dans le tome ii de Mein Kampf, en y intégrant une idée en vogue chez les pangermanistes depuis la fin du xixe siècle : le Lebensraum, cet "espace vital" qui manquerait aux Allemands et qu’il faudrait aller conquérir à l’est. [14] » En somme, si nous souhaitions faire un raccourci enjambant les époques et les décennies, nous pourrions dire que Hitler a su synthétiser les idéologies en vogue sous la bannière d’un « Make Germany Great Again ».
De 1921 à 1923, Hitler renforce le NSDAP, notamment avec l’arrivée de Julius Streicher, chef d’une importante organisation nationaliste en Franconie, d’Hermann Göring qui prend en 1922 la direction des SA, un an après leur création, de Max Erwin von Scheubner-Richter, diplomate qui dispose d’un vaste cercle de relations, et d’Ernst Hanfstaengl, diplômé de Harvard, fils d’une grande famille de marchand de tableaux. Ce dernier, issu de la haute bourgeoisie munichoise, concourt à y introduire Hitler et permet ainsi la récolte de fonds pour financer le parti à laquelle il contribuera personnellement pour l’achat de deux presses rotatives. C’est grâce à cette contribution que le journal hebdomadaire du parti, le Völkischer Beobachter, parvient à devenir un quotidien en août 1923. Par l’entremise de Rudolf Hess, Hitler sera reçu par le général en chef Erich Ludendorff en 1921.
À partir du milieu de l’année 1921 l’inflation était devenue réellement exponentielle en Allemagne. Le 22 octobre 1922, Hitler écrivit un mémorandum adressé aux industriels dont voici un extrait : « La bolchevisation de l’Allemagne signifie l’anéantissement de toute la culture chrétienne-occidentale en général. Face à la réalisation prévisible de cette catastrophe et à l’insuffisance des moyens pour s’en défendre, le Parti national-socialiste des travailleurs allemands a été fondé il y a trois ans, le 5 janvier 1919 [15]. En un mot, son objectif est de détruire et d’éradiquer la vision du monde marxiste. Les moyens devraient être : 1. Une organisation de propagande et d’éducation incomparable, ingénieusement développée, couvrant toutes les manières d’influencer les êtres humains ; 2. Une organisation d’une force impitoyable et d’une détermination sans faille, prête à opposer à toute terreur marxiste une terreur dix fois plus grande. »
Le NSDAP croît rapidement et compte plus de 55 000 adhérents tandis que les effectifs de la SA sont de 30 000 membres en 1923. En novembre de cette année-là, à la suite de l’occupation de la Ruhr par les troupes franco-belges et de l’effondrement du mark, Adolf Hitler tente de renverser le gouvernement de Bavière. Après ce putsch raté, il est condamné à cinq ans de prison et interdit de parole en public jusqu’en 1927, mais il est libéré par anticipation le 20 décembre 1924. À Landsberg, il disposait d’une cellule spacieuse et confortablement meublée dans laquelle il reçut plus de cinq cents visiteurs pendant ses neuf mois de détention. À la suggestion de Max Amann, il y dicte, à Emil Maurice et Rudolf Hess, un compendium de sa vie et de ses opinions ; le premier volume paraitra en 1925 sous le nom de Mein Kampf dont il se vendra 1,5 million d’exemplaires entre 1930 et 1935. Le 27 janvier 1925, Hitler refonde le NSDAP qui s’était divisé durant sa captivité, mais il doit lutter contre l’aile « anti-système » des frères Strasser dont Otto, qui s’est efforcé de noyauter les SA dirigés par Ernst Röhm [16].

Les soutiens capitalistes de la première heure au parti nazi

Emil Kirdorf, Fritz Thyssen, Wilhelm Keppler, August Rosterg, Friedrich Flick et quelques années plus tard, Hjalmar Schacht – un personnage important – seront ses premiers soutiens capitalistes.
Emil Kirdorf, important industriel des mines de charbon de la Ruhr était présent le 27 avril 1927 à Essen lorsqu’Hitler donna une conférence intitulée « Führer und Masse » devant des chefs d’entreprises. Il rencontre Hitler le 4 juillet suivant. Peu de temps après, il fut admis au NSDAP sous le numéro de membre 71 032. À son instigation, Hitler écrivit une brochure destinée aux industriels et intitulée « La Voie du redressement ». C’est ainsi que le 26 octobre 1927, quatorze chefs d’entreprises ont participé à une conférence d’Hitler dans la maison des Kirdorf. Goebbels note dans son journal à la date du 15 novembre 1936 que Kirdorf a remonté le moral du Führer en donnant ce jour là 100 000 marks. Mais les nationaux-socialistes « anti-systèmes » autour des SA d’Otto Strasser lui déplaisant fortement, Kirdorf démissionna du parti en 1928 et revint au DNVP (parti national du peuple allemand). Cependant, il maintint le contact avec Hitler, de sorte qu’il fut l’invité d’honneur du rassemblement du parti nazi à Nuremberg du 1er au 4 août 1929 [17].
Fritz Thyssen, magnat du trust de l’acier, fut convaincu par Hitler dès 1923. Il prétendra avoir donné 100 000 marks à Hitler lors du putsch munichois en novembre 1923 et la même somme en 1931. En réalité, il a financé tous les partis politiques sans distinction. En 1932, sur les millions qu’il verse aux différents partis, le NSDAP n’en reçoit que 3 % contre 8 % aux partis de droite, 6 % à ceux de gauche et 83 % aux partis du centre [18].
Wilhelm Keppler, dirigeant d’une petite entreprise chimique badoise, devint membre du NSDAP en février 1927 (62 424) puis membre de la SS en août 1932 (50 816). Ensuite, il siègera au directoire de plusieurs firmes allemandes dont deux filiales d’IG Farben, Braunkohle-Benzin AG et Kontinental Oil AG, au sein desquelles il occupera le fauteuil de Président du conseil d’administration. En décembre 1931, Hitler le charge de mettre sur pied une commission économique qui sera connue sous le nom de Cercle Keppler après sa fondation. Il devint le conseiller économique d’Hitler en 1935.La Braunkohle-Benzin AG étant l’exploitant allemand de la Standard Oil of New Jersey Technology pour la transformation du charbon en essence synthétique, Keppler se retrouve donc au CA d’une firme utilisant un transfert de technologie états-unienne qui permettra d’avitailler les véhicules de la Wehrmacht.
August Rosterg a fondé, avec la Dresdner Bank, la Kali-Industrie AG à Kassel. Avec Günther Quandt, ils détenaient la majorité les parts de la société rebaptisée Wintershall AG, laquelle avait une position dominante dans l’industrie de la potasse. En 1931, Rosterg élargit le groupe pour y inclure la production de pétrole et de gaz naturel. En trois décennies, il a constitué un groupe à structure verticale intégrée allant de la matière première brute au produit final dans les secteurs de la potasse et du pétrole. Rosterg a écrit des articles pour le Völkischer Beobachter et fut membre du cercle Keppler à sa création.
Hjalmar Schacht président de la Deutsche Reichsbank de 1923 à 1930, auparavant membre du conseil d’administration de la Dresdner Bank et de la Darmstädter und Nationalbank, fut nommé commissaire aux devises du Reich fin 1923. Il a rencontré Hitler pour la première fois le 5 janvier 1931, dans l’appartement d’Hermann Göring, Badenschen Strasse 7 à Berlin-Schöneberg, où l’on venait « dîner à l’improviste » avec Fritz Thyssen, Joseph Goebbels et leurs épouses. Dans une lettre confidentielle à Hitler datée du 12 avril 1932, il propose de « travailler à une correspondance complète entre les vues fondamentales du national-socialisme et celles de l’entreprise privée ». Le ralliement, en 1930, d’Hjalmar Schacht, qui avait jugulé l’hyperinflation en 1924, est certainement le plus prestigieux à cette date [19].

Les cercles aristocratiques du capital foncier, industriel et agraire

À cette époque, il y avait des lieux de rencontre importants, qu’il fallait connaître, comme le Berliner NationalKlub, fondé le 2 octobre 1919. C’était un club politique de l’aristocratie industrielle et un centre de la droite nationale. Sous la direction d’Alfred Hugenberg [20], se réunissaient des représentants du monde politique, de la noblesse, de l’armée et de l’économie qui s’efforçaient de promouvoir « l’idée nationale » sur une base anticommuniste. Le club était proche du DNVP.
Au cours des années 1920, des « clubs nationaux » ont émergé à Mayence, Magdebourg, Leipzig et Dresde, entre autres villes. C’étaient des organisations indépendantes, mais en pratique elles étaient liées grâce aux relations personnelles de leurs membres. Le Berliner NationalKlub était le plus important, avec 1 800 membres en 1925. Les frais d’inscription y étaient de 500 marks et les cotisations annuelles de 200 marks. Le club se considérait comme un « point de ralliement intellectuel pour les combattants contre le système de Weimar ». Un dépliant promotionnel du club indiquait à propos de ses objectifs de base :
« [Le club ...] devrait être un club vraiment allemand en termes de composition et de direction ; être un point de rencontre pour tous les cercles dans lesquels l’idée nationale vit ; qui sont convaincus qu’une résurgence du peuple allemand n’est possible que sur la base de l’idée nationale et sont donc déterminés à contrecarrer les forces dominantes, perturbatrices et tournées vers l’international. »
Les 8 décembre 1921, le 29 mai 1922 et en juin 1922, Adolf Hitler a pris la parole devant le club de Berlin. On sait peu de choses sur le contenu et le déroulement de ces conférences. Wilhelm Weicher a écrit à propos de l’apparition du 29 mai 1922 que « les salles du club avaient été remplies d’un nombre inhabituellement élevé de visiteurs ». En 1932, le club s’est rallié au « Front de Harzbourg » (lire plus loin) et s’est largement rapproché du NSDAP. Quatre cinquième des présidents et deux cinquième des membres de conseils d’administration étaient des nobles. L’historien Werner Jochmann juge que les ressources financières du NSDAP ne provenaient probablement pas des clubs en tant que tels, mais de ses membres pris individuellement [21].
Hitler s’est également produit le 28 février 1926 au « Hamburger NationalKlub ». Il y fut accueilli par Vorwerk de la manière suivante :
« Les mots d’introduction sont inutiles pour l’invité que nous sommes honorés de voir avec nous ce soir... Le viril plaidoyer de ses convictions lui a valu respect et admiration dans les cercles les plus larges. Nous sommes très heureux qu’il soit venu nous voir, et les membres du club lui ont également exprimé ce bonheur en venant si nombreux ce soir... L’événement d’aujourd’hui est plus populaire peut-être qu’aucun autre événement passé du club. »
Un enregistrement du discours d’Hitler a été conservé. Dans ce discours, il s’est recommandé à la bourgeoisie de Hambourg comme sauveur contre le marxisme. Il a déclaré : « Nous avons quinze millions d’individus qui sont consciemment et délibérément antinationaux, et tant que ces quinze millions qui représentent les forces vives de la nation ne reviendront pas aux sentiments patriotiques qui nous sont communs, les discours de reconstruction et de renouveau de l’Allemagne resteront des ragots sans importance. [...] C’est à partir de cette constatation que s’est jadis fondé le mouvement que j’essaie de faire grandir. Notre tâche est très étroitement définie : c’est la destruction, la destruction de la vision du monde marxiste. Je dois souligner une chose : la destruction et l’anéantissement, c’est quelque chose de fondamentalement différent de ce que visent les partis bourgeois. Car le but des partis bourgeois n’est pas l’anéantissement, mais seulement une victoire électorale. [...]
Soit le marxisme nous extermine, soit nous l’exterminons jusqu’à la dernière trace. Bien sûr, cette formule, comme la vision du monde qui règne en Italie en ce moment, porte en soi un pouvoir fort, un pouvoir qui écrasera et brisera impitoyablement la nuque de ses ennemis, un pouvoir qui proclame que le combat ne se terminera qu’au moment où l’ennemi sera complètement vaincu [...]
Quand on aura compris que notre destin c’est de briser le marxisme, alors tous les moyens qui peuvent conduire à ce succès seront regardés comme légitimes. Un parti qui veut accomplir ce destin doit s’adresser aux masses, aux masses que le marxisme a lui-même utilisé. [...] Ce mouvement... doit se servir de la foule... La seule arme qui puisse briser le marxisme, c’est une large masse déterminée et tenace. Sans elle, nous ne serons pas capables de maîtriser le fléau mondial du marxisme… (Applaudissements, bravos !). [22] »
Hitler s’est de nouveau exprimé au club national de Hambourg le 1er décembre 1930. En 1931, Joseph Goebbels y fut aussi invité à prendre la parole.

La Ruhrlade, cabinet secret de l’industrie lourde

Les grandes entreprises de la Ruhr étaient représentées par un ou deux membres dans ce cercle très fermé qui a été fondé en janvier 1928 par Paul Hermann Reusch [23]. L’existence de la Ruhrlade fut tenue secrète. Ses membres se réunissaient une fois par mois pour échanger leurs points de vue économiques et politiques. Les dons, jusqu’à 1,5 million de Reichsmarks par an, allaient aux partis bourgeois (le DDP, le parti du centre DVP et le DNVP). Martin Blank qui servît d’intermédiaire avec les partis politiques, a tenté à plusieurs reprises d’unir ces partis dans un mouvement de rassemblement bourgeois mais il a échoué. La Ruhrlade fournira des moyens financiers pour la publication de journaux dont le célèbre « Deutsche Allgemeine Zeitung » et le « Berliner Herrenklub [24] ».
Apparemment, toutes les « procédures de résolution des conflits salariaux » dans l’industrie rhénane-westphalienne sont passées par la Ruhrlade. Comme l’écrit Reinhard Neebe, il s’agissait du « cabinet secret » de l’industrie lourde. Mais outre Thyssen et Krupp, Paul Reusch, Albert Vögler, Fritz Springorum et Paul Silverberg, il n’y avait peu d’autres personnalités qui pouvaient se vanter d’appartenir à cette organisation [25].
À partir de 1931, des dons de la Ruhrlade ont été versés à certains nationaux-socialistes réputés « plus raisonnables et plus modérés » : il fallait se rassurer contre la persistance des courants anti-systèmes et antisémites radicaux dans le parti, tels ceux de la SA et du NSBO (Organisation des cellules d’entreprises national-socialistes). D’ailleurs, jusqu’en janvier 1933, on espérait que von Papen parviendrait à « apprivoiser » les nationaux-socialistes en formant une coalition sous sa direction. Cependant, la Ruhrlade n’a pas pu exercer une grande influence dans les mois décisifs avant la passation de pouvoir aux nazis, car elle ne s’était pas réunie depuis l’été 1932 en raison des conflits internes provoqués par l’affaire de Gelsenkirchen [26] qui divisa ses membres.

Étant un représentant typique, à plusieurs titres, de l’aristocratie aux commandes de l’Allemagne en ce temps-là, il vaut la peine de dire un mot de Franz Joseph Hermann Michael Maria von Papen (1879-1969), né dans une famille d’aristocrates catholiques héritière des droits d’extraction du sel de Werl depuis 1298. La femme de von Papen étant la fille d’un riche industriel sarrois, sa dot fît de lui un homme très riche. Ce noble, prussien et officier d’état-major, fut attaché d’ambassade et membre de services spéciaux en Amérique du nord puis au Moyen-Orient ; il s’y est montré habile à défendre les intérêts de son pays en guerre à travers différents coups de mains et « coups tordus » dont il s’est toujours tiré grâce à son immunité diplomatique. Pendant son temps à Constantinople, von Papen s’est lié d’amitié avec Joachim von Ribbentrop ; d’autre part, il était au courant du génocide arménien, ce qui ne semble pas l’avoir moralement troublé, ni à l’époque, ni plus tard dans sa vie. De retour en Allemagne, il a pris en avril 1920, le commandement d’une unité de Freikorps pour lutter contre les « rouges » et a débuté sa carrière politique à la fin de cette année-là [27].

Les rapports entre NSDAP et capital en temps de crise (du 24 octobre 1929 au 29 janvier 1933)

Le Krach boursier de Wall-Street se produit le jeudi 24 octobre 1929. Le mémorandum programmatique publié par la RDI (Reichsverband der German Industry, l’équivalent du medef) en décembre 1929 sous le titre théâtral « Gloire ou déclin ? » était d’une importance exceptionnelle. Il disait :
« Les mesures d’austérité drastiques, accompagnées d’une forte réduction des impôts et taxes touchant les entreprises (notamment la taxe professionnelle, qui doit être totalement supprimée), ainsi que les mesures de démantèlement des services publics grâce à la "simplification administrative", ne peuvent finalement être atteintes qu’avec l’aide d’un régime autoritaire et après l’élimination politique des syndicats et des partis des travailleurs [28]. »
Au printemps 1930, le NSDAP compte 200 000 membres (soit cent fois plus qu’en 1920 et quatre fois plus qu’en 1923). Le 4 Juillet 1930, Otto Strasser responsable des SA et de son aile « anti-système », est poussé à quitter le NSDAP et fonde le « Front Noir ». L’élimination des dissidences et des concurrences par Hitler sera achevée quatre ans plus tard, lors de la nuit des « longs couteaux ».
Aux élections du 14 septembre 1930, le NSDAP fait une percée avec 18,2% des suffrages exprimés (6,4 millions de voix, grâce à une poussée dans le monde paysan), tandis que le DNVP chute de 7 %. Après ces élections, la Reichsbank perd en quelques jours plusieurs centaines de millions de Reichsmarks en devises et en or. De nombreuses obligations d’entreprises, de banques et de sociétés publiques allemandes chutent à Wall Street : un gouvernement du Reich avec la participation du NSDAP semblait être un grand risque pour le remboursement des importantes dettes allemandes privées et publiques, mais surtout un danger pour les investissements massifs des Etats-unis outre-Rhin. Mais dans le pays, face à l’aggravation de la crise économique et sociale et depuis que le NSDAP jusque-là insignifiant a conquit le rang de deuxième parti après le SPD, une question est devenue d’une actualité brûlante pour les responsables des grandes entreprises : « Comment se positionner par rapport au NSDAP » ? Lorsqu’à la fin de 1930 les répercussions de la crise économique touchèrent un milieu très conservateur – chefs d’entreprises moyennes dans la transformation des métaux en Saxe, propriétaires fonciers ou chambres de commerce et d’industrie par exemple – le soutien aux nazis s’affirma.
Mais le retrait des capitaux états-uniens d’Allemagne, alors qu’ils participaient au soutien d’une économie fragile, a approfondi la crise économique : à l’été 1931, la production industrielle allemande baisse de 40 %. En décembre, il y a six millions de personnes au chômage total et 8 millions de chômeurs partiels, soit 22% de l’ensemble de la population (30% au début de 1932).
Avec Kurt Schmitt, August Diehn et Günther Quandt, August Rosterg appartenait à un groupe d’industriels qui, lors d’une rencontre avec Adolf Hitler à l’hôtel Kaiserhof en 1931, ont fourni au NSDAP 25 millions de Reichsmarks « en cas de coup d’État de gauche » [29]. Sous réserve d’inventaire, il s’agirait de la première subvention d’importance.
Le 17 juillet 1931, Rüdiger Graf von der Goltz [30] remet la requête de l’Association d’économie politique de Francfort – un manifeste cosigné par une dizaine de directeurs de PME – à Paul von Hindenburg, requête l’invitant à confier le pouvoir au NSDAP. En août 1931, Kirdorf a organisé un échange de vues apparemment sans suites, entre Hitler et trente à quarante représentants de l’industrie du charbon et de l’acier. Il a lui-même soutenu financièrement Hitler, mais modestement.
Albert Vögler, qui participa en 1918 à la fondation du parti populaire Allemand (DVP) a rencontré Adolf Hitler le 11 septembre 1931. Il fut directeur de la société minière Deutsch-Luxemburgische Bergwerks- und Hütten-AG. Entre 1925 et 1927, il fut membre de la chambre de commerce de Dortmund et président du syndicat du charbon Rheinisch Westfäli. En 1926, Vögler a fondé la Vereinigte Stahlwerke AG et en fut le président jusqu’en 1935. À partir de 1932, il a ouvertement financé le parti nazi. Il fut membre de la Freundeskreis, cercle des amis de l’économie ou Cercle Keppler.
Le 11 octobre 1931, une partie du patronat constitue avec le NSDAP une plate-forme – le Front de Harzbourg – qui réclame un gouvernement dirigé par un « homme fort »… Mais mis à part Fritz Thyssen et Ernst Brandi, la plupart des chefs de file de l’industrie et des grandes entreprises qui avaient été invités étaient absents [31]. Cette brève alliance politique de droite qui tente d’unifier l’opposition au Chancelier Heinrich Brüning (droite classique) [32] comprenait notamment :
- le Parti national du peuple allemand (DNVP) de l’homme d’affaires millionnaire Alfred Hugenberg, chef d’un conglomérat d’entreprises d’édition, de cinéma, de presse et de publicité qui exerce une grande influence sur la presse allemande d’extrême-droite par le biais de sa maison d’édition Scherl Verlag et de la direction du Berlin NationalKlub,
- le NSDAP,
- le Stahlhelm ou Bund der Frontsoldaten, (les casques d’acier ou ligue des soldats du front) organisation paramilitaire issue des corps francs et comptant un demi-million de membres en 1930,
- la Ligue agricole (Landbund) ainsi que
- la ligue pangermaniste (Alldeutscher Verband).
Toutes ces organisations seront dissoutes en 1933.
On constate donc qu’en octobre 1931, si certains grands patrons se révèlent parfois généreux avec le NSDAP depuis plusieurs années et plus encore depuis sa percée électorale du 4 septembre 1930, nous sommes encore loin d’un appui financier ou politique déterminant et publiquement affirmé du grand capital allemand, encore prudent ou divisé sur ce point.
En décembre 1931, suite à la dénonciation d’un ancien national-socialiste, Wilhelm Groener, ministre de l’Intérieur et ministre de la Défense dans le cabinet Brüning, prend connaissance d’un abondant matériel qui prouve que le NSDAP prépare un coup de force avec une liste de personnalités à assassiner. Les enquêtes et perquisitions ne laissent aucun doute quant à la responsabilité d’Hitler et de son entourage, mais le Chancelier Brüning, qui a bien informé la cour de Leipzig, se contente d’un faux-semblant de répression, alors que les SA, les SS et toutes les formations nationales-socialistes auraient dû être dissoutes [33].
Au cours de l’année 1932, Hitler acquiert une certaine respectabilité auprès des grands patrons qu’il a rencontrés à Düsseldorf le 27 janvier, grâce à Schröder.
Otto Wolff était un des plus gros industriels dans le secteur de la sidérurgie. Le montant de ses dons au parti nazi s’élèveraient à 200 000 Reichsmarks entre 1931 et la fin de 1932. Parallèlement, le 10 octobre 1932, il aurait transféré 50 000 marks au Chancelier alors en fonction, Franz von Papen. Wolff est un excellent exemple des grands entrepreneurs qui ont évité les déclarations publiques en faveur du NSDAP avant le 30 janvier 1933 et qui ne faisaient ni partie du cercle Keppler ni des signataires de la « pétition des industriels » qui sera soumise à Paul von Hindenburg en novembre 1932.
Lors d’une des conversations entre Georg Keppler et Hitler en 1931, celui-ci fait savoir qu’il est à la recherche d’hommes d’affaires Allemands prêts à tenir le rôle de conseillers économiques lorsque le NSDAP aura pris le pouvoir. Keppler se met immédiatement au travail. Avec l’aide de Fritz Kranefuss, il réunit un groupe d’industriels en un « Cercle des amis de l’économie » dont les membres rencontrent Hitler en mai 1932. Celui-ci leur expose alors les buts du National-socialisme de façon circonstanciée. Suite à une série de réunions – auxquelles assistent Heinrich Himmler, plusieurs officiers SS et des banquiers – un pacte est scellé : le cercle Keppler créé un mois après, soutiendra non seulement Hitler au cours de sa campagne électorale, mais également pendant la première année du régime. Après des entretiens préliminaires, ce cercle formalise son existence le 20 juin 1932 à l’hôtel « Kaiserhof » lors d’une rencontre avec Adolf Hitler.
Par ailleurs, Walther Funk a dirigé la Commission de politique économique du NSDAP et s’est formé « au sein du NSDAP en tant que contrepoids idéologique et personnel de plus en plus fort à la domination programmatique et organisationnelle des « anti-systèmes », notamment dans les SA. Par son influence sur Hitler, il a contribué à un changement de cap en direction d’une ligne plus favorable aux entrepreneurs [34]. »
Le 20 juillet 1932, von Papen a lancé le coup d’État (Preußenschlag) contre le gouvernement social-démocrate de l’État libre de Prusse. Cet évènement est considéré comme une étape majeure dans la chute de la république de Weimar en ce qu’il a modifié le rapport des forces politiques en présence, facilitant ainsi la nazification de l’Allemagne après l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler.
En deux ans, et après une campagne électorale extrêmement efficace, le NSDAP devient le premier parti du Parlement lors des élections du 31 juillet 1932. Le 11 août, jour férié qui commémorait l’adoption de la Constitution de Weimar de 1919, von Papen et son ministre de l’Intérieur, le baron Wilhelm von Gayl, ont convoqué une conférence de presse pour présenter les plans d’une nouvelle constitution qui transformerait de fait l’Allemagne en un état plus qu’autoritaire. Deux jours plus tard, von Schleicher et von Papen offraient à Hitler le poste de vice-chancelier, ce qu’il a rejeté [35].
À l’automne 1932, avant les nouvelles élections législatives cruciales de novembre, les nazis menèrent une violente campagne « anti-système », populiste et pro-agrarienne qui incita nombre de grands industriels dont Krupp, Albert Vögler, le directeur des Aciéries réunies Siemens pourtant membre du cercle Keppler etc. à intervenir directement contre eux. Ils proposèrent ainsi, lors d’une réunion à Berlin, le 19 octobre 1932, l’unité de toutes les forces nationalistes et conservatrices à l’exclusion du NSDAP, ainsi que le soutien au Chancelier von Papen.

Le 6 novembre 1932, lors de nouvelles élections, le parti nazi ne recueille plus que 33% des voix. En quelques mois, il a perdu 2 millions de suffrages, surtout parmi les classes moyennes, qui commencent à le déserter. Pourtant, un groupe composé d’hommes politiques, de militaires et de propriétaires fonciers décide de faire alliance avec lui [36].

Le 19 novembre 1932, une vingtaine de personnalités (des industriels, des banquiers...) – dont la moitié de nobles, huit membres du cercle Keppler, trois du Deutscher Herrenklub et deux des « casques d’acier » – demandent au président de nommer Hitler au poste de Chancelier. Paul von Hindenburg s’exécutera deux mois plus tard, le 30 janvier 1933. L’idée de cette pétition (Industrielleneingabe) a émergé à la fin octobre 1932 au sein du Cercle Keppler. L’élaboration du texte fut facilitée en particulier par Hjalmar Schacht, seul adhérent du Cercle ayant une certaine expérience politique. Voici la liste des pétitionnaires dont onze membres sur seize appartenaient à des organisations nazies ou proches des nazis :

Hjalmar Schacht, ancien président de la Reichsbank, membre du cercle Keppler ;
Friedrich Reinhart, porte-parole du conseil d’administration de la Commerzbank, membre de nombreux conseils d’administration dont celui de l’AEG (Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft), président de la Chambre de commerce et d’industrie de Berlin, membre du cercle Keppler ;
August Rosterg, PDG de Wintershall AG, membre du cercle Keppler ;
Kurt Freiherr von Schröder, banquier de Cologne, membre du cercle Keppler et du Deutscher Herrenklub. Des négociations décisives auront eu lieu chez lui, avant la nomination de Hitler au poste de Chancelier ;
Fritz Beindorff, propriétaire de la Pelikan AG, membre du conseil de surveillance de la Deutsche Bank ;
Emil Helfferich, membre du conseil d’administration de la German-American Petroleum Company filiale à 100% de la Standard Oil of New Jersey Company (ESSO), président du conseil de surveillance de HAPAG, membre du cercle Keppler ;
Franz Heinrich Witthoefft, président du conseil d’administration de Commerzbank et de Privat-Bank, président de la chambre de commerce de Hambourg, vice-président de l’Association allemande de l’industrie et du commerce, membre des conseils de surveillance de la Deutsche Werft à Hambourg et de la Standard Electric Lorenz, membre du cercle Keppler ;
Ewald Hecker, président de la chambre de commerce et d’industrie de Hanovre, vice-président du conseil de surveillance de la Commerzbank, membre du cercle Keppler ;
Kurt Woermann, armateur de Hambourg et membre du NSDAP ;
Carl Vincent Krogmann, copropriétaire de la Hamburger Bank, de la société de transport et maison de commerce Wachsmuth et Krogmann, membre du conseil du Hamburger NationalKlub, maire de Hambourg de 1933 à 1945, membre de la chambre de commerce de Hambourg et membre du cercle Keppler ;
Kurt von Eichborn, copropriétaire d’une banque privée à Breslau ;
Eberhard Graf von Kalckreuth, président de la Fédération rurale impériale (Reichs-Landbund), membre du Deutscher Herrenklub ; membre du comité central de la Deutsche Reichsbank et président du conseil de surveillance de la Deutsche Landwirtschaftsbank AG. Membre des casques d’acier ou Stahlhelm.
Erich Lübbert, cadre supérieur de Dywidag, président de l’AG für Verkehrswesen, membre du Conseil économique de l’organisation paramilitaire Stahlhelm ;
Erwin Merck, superviseur de HJ Merck & Co., une banque commerciale de Hambourg ;
Joachim von Oppen, président de la chambre d’agriculture de Brandebourg ; membre du conseil de surveillance de Harkortschen Bergwerke und Chemischen Fabriken AG.
Rudolf Ventzki, directeur général de la Maschinenfabrik Esslingen.

Ont été ultérieurement ajoutées les « signatures [37] » des personnalités suivantes :
- Fritz Thyssen, président du conseil de surveillance de Vereinigte Stahlwerke ;
- Robert Graf von Keyserlingk-Cammerau, membre du conseil des associations allemandes d’employeurs agricoles, membre du Deutscher Herrenklub ;
- Kurt Gustav Ernst von Rohr-Manze, propriétaire terrien.
Beaucoup d’auteurs continuent d’écrire que cette adresse fut « signée par les grands noms de l’industrie allemande », dont Krupp, Siemens, Reusch, Bosch, etc. L’erreur provient d’une confusion entre l’adresse elle-même et un brouillon retrouvé dans les papiers de von Schröder et qui prévoyait de contacter une série de noms prestigieux [38].
IG Farben, la plus grande entreprise chimique au monde, charge Heinrich Gattineau (chef du service de relations publiques du groupe) et Heinrich Bütefisch, directeur de la Leuna-Werke, de demander un entretien confidentiel à Hitler en décembre [39] 1932. La direction d’IG Farben voulait s’assurer qu’Hitler, en cas d’arrivée à la chancellerie considérée comme probable, soutiendrait les activités du groupe (qui produira entre autres choses, le Zyklon B et l’essence synthétique).
À partir de décembre 1932, le NSDAP, bien qu’en pleine crise interne et en forte perte de vitesse, reste le premier parti du pays et possède 196 sièges au Reichstag, c’est-à-dire le tiers des sièges du Parlement. Le parti social-démocrate (SPD) en détient 121, le parti communiste (KPD) en pleine progression 100 et les chrétiens démocrate du Zentrum, 70.
Le 4 janvier 1933, Hitler et von Papen se sont rencontrés en secret chez le banquier Kurt von Schröder à Cologne pour élaborer une stratégie afin d’écarter Von Schleicher alors Chancelier, préciser la composition et le programme d’un gouvernement commun. Le 9 janvier 1933, von Papen et Paul von Hindenburg conviennent de former un nouveau gouvernement avec Hitler, mais à quelles conditions et selon quelle répartition des pouvoirs ?
Le soir du 22 janvier lors d’une réunion à la villa de Joachim von Ribbentrop à Berlin, von Papen s’est engagé à soutenir Hitler comme Chancelier dans un projet de « gouvernement de concentration nationale », dans lequel il serait lui-même vice-chancelier et ministre-président de la Prusse. Le 23 janvier, von Papen a présenté à von Hindenburg sa proposition de nommer Hitler comme Chancelier, tout en le surveillant. Le 28 janvier Paul von Hindenburg renvoya von Schleicher qui avait été abandonné par tous ses amis.
Dans la matinée du 29 janvier, von Papen a rencontré Hitler et Hermann Göring dans les appartements de ce dernier, où il a été convenu que von Papen serait vice-chancelier et commissaire pour la Prusse. C’est au cours de cette réunion que von Papen a appris pour la première fois qu’Hitler voulait dissoudre le Reichstag après sa nomination et, qu’une fois remporté la majorité des sièges aux élections législatives, il projetait d’activer une loi d’habilitation afin de pouvoir promulguer ensuite des décrets-lois sans l’aval du Reichstag [40]. Quand les responsables autour de von Papen ont exprimé des inquiétudes quant à l’arrivée au pouvoir d’Hitler, il leur a répondu, « comment voulez-vous faire autrement ? », puis il les rassura : « j’ai la confiance de Paul von Hindenburg et dans deux mois, nous aurons mis Hitler dans un placard [41]. »
Ainsi, jusqu’en janvier 1933, le « grand capital » en tant que classe n’a pas fait grand-chose pour mettre le NSDAP au pouvoir, ni financièrement, ni politiquement et lorsque cela est arrivé, ce fut à contre-cœur et le fruit d’une lourde erreur d’appréciation : ses représentants croyaient pouvoir le contrôler, lui, son parti et ses milices.

Epilogue. Le 30 janvier 1933, plusieurs choses se jouent

Von Papen a réussi à convaincre le vieux maréchal de passer outre ses réticences et de nommer Hitler à la chancellerie en soulignant que les nazis ont un potentiel électoral, un gros appareil militant, deux forces miliciennes et des cadres bien formés. Ainsi seraient-ils à même d’apporter à la droite classique le soutien populaire qui lui manque, ajouta-t-il. Von Papen assura : « il ne faut pas s’inquiéter de la prise du pouvoir par ce petit-bourgeois qui est sous notre coupe ».
Or, « si Paul von Hindenburg avait résisté une fois de plus, il y a fort à parier que le NSDAP aurait continué à perdre de l’influence. Ses caisses étaient vides, il ne faisait plus le plein dans ses meetings et il était de plus en plus miné par des divisions. En outre, l’économie commençait à repartir. Autrement dit, si les élites n’avaient pas fait ce pari insensé en janvier 1933, Hitler et son parti seraient probablement tombés dans les oubliettes de l’histoire » [42].
Malheureusement, le président qui avait juré de ne jamais laisser Hitler devenir Chancelier, le nomme à ce poste à 11h30 le 30 janvier 1933, avec von Papen comme vice-chancelier, flanqué de nazis de la première heure tels Hermann Göring (sans portefeuille) et Wilhelm Frick (à l’intérieur), du chef des monarchistes Alfred Hugenberg à l’économie et, à la défense, du général Werner von Blomberg, homme de confiance de Paul von Hindenburg. Dans le cadre de l’accord qui a permis à Hitler de devenir Chancelier, von Papen s’est vu accorder le droit d’assister à toutes les réunions entre Hitler et von Hindenburg. De plus, les décisions devant être prises à la majorité, von Papen pense que ses amis conservateurs au sein du cabinet et sa proximité avec von Hindenburg lui permettront de garder Hitler sous contrôle. Et il est de fait que « le gouvernement dont le Führer prend la tête ne compte effectivement que trois membres du NSDAP sur onze. Von Papen espère bien pouvoir réduire l’espace politique de l’encombrant Chancelier. Une stratégie qui va vite se révéler vaine [43]. »
Deux jours après sa nomination, le 1er février 1933, Hitler présenta au cabinet un décret-loi, qui, en vertu de l’article 48, [44]] permettrait à la police de mettre des personnes en « garde à vue » sans inculpation. Il fut promulgué par Paul von Hindenburg le 4 février sous le nom de « Décret pour la protection du peuple allemand ».
Le 20 février 1933, dans la résidence officielle du président du Reichstag Hermann Göring, se tient une réunion secrète convoquée par Hjalmar Schacht, dans laquelle Göring demande à vingt-cinq patrons allemands (dont ceux d’Agfa, Allianz, BASF, Bayer, IG Farben, Krupp, Opel, Siemens, Telefunken…) de le soutenir financièrement pour les élections. Il parvint pour la première fois à obtenir des fonds substantiels. Rosterg [45] participa à cette réunion au cours de laquelle les industriels présents signèrent une série de chèques d’un total de 3 millions de Reichsmarks comme « aide de campagne » pour le NSDAP [46]. IG Farben, avec 400 000 Reichsmarks, y apporta la plus grande contribution financière. Au nom des présents, Krupp remercia brièvement et plaidera pour l’instauration d’un État indépendant et politiquement fort. Le ralliement était scellé. C’est là que se situe le second moment décisif, pas avant.
L’histoire s’accéléra : en moins de trois semaines, les « sergents du grand capital » furent obligés de s’incliner devant le NSDAP, ses milices et son chef. Encore ne fut-ce que le début d’une soumission qui allait en faire des marionnettes du nazisme. La guerre mondiale qui allait faire tourner la machine à plein régime n’était pourtant pas encore à « l’ordre du jour » pour le capital.
Le Reichstag est incendié le 27 février, les élections législatives auront lieu le 5 mars : 17 millions de voix et 288 sièges pour les nazis.
Fin mars 1933, Krupp von Bohlen et Carl Friedrich von Siemens, délégués de la RDI étaient en entretien avec Hitler à la Chancellerie du Reich lorsque des membres du NSDAP ont investi le bureau de l’association RDI, en leur absence. L’expert économique du parti hitlérien Otto Wagener y a exigé le licenciement de tous les employés juifs et la démission de Kastl ; derrière cette intimidation, son but était d’aligner la RDI sur la politique économique du Reich telle qu’imaginée par les nazis. À cette occasion, Krupp von Bohlen, le président de la RDI a offert, comme Bähr et Kopper l’écrivent judicieusement, « une image pathétique » : apparemment impressionné, l’industriel, pourtant l’un des hommes les plus riches d’Allemagne et d’Europe, connu pour sa force de caractère et son indépendance d’esprit, n’a même pas essayé de soutenir Kastl et ses employés juifs. La chute débutait.

Quelques réflexions provisoirement conclusives

L’humiliante défaite de 1918, le rejet de la République de Weimar, l’hyper-inflation de 1923 et la crise socio-économique qui aura duré dix ans, les talents d’un orateur possédé par son idéologie, la désintégration des partis, syndicats et organisations ouvrières, les illusions des grands industriels et bien d’autres facteurs ont concouru à l’arrivée d’Hitler à la chancellerie… Parmi ces derniers, certains étaient absolument convaincus de pouvoir manipuler Hitler : ce n’était que la manifestation d’une vision aristocratique, largement décalée vis-à-vis de la réalité, issue d’un entre-soi consanguin dans l’ambiance duquel le capital allemand s’est en partie accumulé à la fin du xixe siècle.
Certes, Hitler commença dès 1926 à courtiser le monde des affaires. Mais celui-ci ne prêta d’abord guère d’attention à l’ancien petit caporal autrichien, roturier sans fortune personnelle. Durant les années vingt, le NSDAP ne fit qu’une seule recrue significative dans la sphère des grands patrons, l’industriel Emil Kirdorf, qui adhéra au parti nazi en 1927, alors qu’il était octogénaire et n’exerçait plus de fonctions opérationnelles. Qui plus est, Kirdorf quitta avec fracas le parti en 1928 et ne le rejoignit qu’en 1934 [47]. Les premiers industriels de renom convertis, Fritz Thyssen et Friedrich Flick, n’avaient pas le pouvoir de faire basculer vers le NSDAP les cercles aristocratiques [48] aux commandes de la grande industrie allemande.
Les dirigeants des grandes industries électriques et chimiques – comme AEG et I.G. Farben moins touchées par la grande crise que l’industrie lourde – adeptes des théories de Keynes, préconisaient une « rationalisation » et une économie plus ou moins orientée par l’État. D’autres industriels comme Otto Wolff et Robert Bosch défendaient des conceptions analogues qu’on rapprocherait aujourd’hui de l’ordolibéralisme. Tous ces milieux soutinrent à fond le gouvernement Brüning de mars 1930 à mai 1932. Les dirigeants économiques et financiers, aspiraient bien sûr à se défaire de la démocratie parlementaire de Weimar qui leur était structurellement défavorable et ne s’était pas montrée capable d’éviter ni et de surmonter les différentes crises de cette décennie (1919-1930). En outre, une bonne partie du patronat, redoutant l’arrivée au pouvoir des sociaux-démocrates et du communisme, pensait que seule la mise en place d’un régime autoritaire pourrait les en prémunir. Encore fallait-il qu’à leurs yeux, l’option soit crédible et à plusieurs titres.
Or, les « 14 thèses sur la révolution allemande » d’Otto Strasser [49] publiées en juillet 1929 firent sensation. La 8e thèse avançait que « le renversement des systèmes économiques individuels du capitalisme serait la condition préalable au succès de la Révolution allemande ». Cela provoqua une profonde méfiance et même un rejet ouvert des nazis parmi les maîtres de l’industrie lourde. Ils craignaient qu’une boîte de Pandore ne s’ouvre car, à leurs yeux, personne ne pouvait se porter garant du fait que ces objectifs bruyamment postulés comme une lutte contre le « capitalisme » en restent à une lutte contre le « capital juif émeutier » ou les « ploutocrates », et ne se tourne finalement contre eux.
Aussi, jusqu’au début de 1931, l’essentiel des sommes versées par les grandes entreprises aux partis politiques alla dans les caisses de l’opposition conservatrice [50]. C’est sans doute pourquoi le 26 janvier 1932 Hitler fit un appel retentissant devant le club des industriels à Düsseldorf. Néanmoins, lors de la campagne présidentielle du 13 mars 1932, à laquelle Hitler pu se porter candidat grâce à une naturalisation opportune, la majeure partie du monde des affaires soutint le président sortant, le maréchal Paul von Hindenburg (53 % des voix, Hitler 36 % et le KPD 10 %).
En fait, les grands dirigeants économiques et financiers ne furent pas majoritairement favorables aux nazis jusqu’en 1933. C’est sans doute une raison qui poussa à la fondation du cercle Keppler ou cercle des amis de l’économie qui fut créé en mai-juin 1932 ; ainsi une institution des liens entre le NSDAP et les responsables économiques fut alors formalisée. Et si le 19 novembre 1932 seize dirigeants de grandes entreprises « signèrent une pétition » par laquelle ils demandaient au maréchal Paul von Hindenburg de nommer Hitler à la chancellerie, gardons-nous d’une appréciation hâtive ; il faut souligner que le comportement des « signataires » n’était pas représentatif de celui de la grande industrie à cette date : la majeure partie des personnalités à qui ce texte fut envoyé refusèrent de le signer. À l’opposé, un document lui aussi daté de novembre 1932 et appelant à voter pour les partis soutenant von Papen [51] recueillit 339 signatures.
Il est vrai que certains, comme Fritz Thyssen, héritier du groupe sidérurgique du même nom, souhaitaient de longue date voir le NSDAP parvenir au pouvoir. Mais d’autres, comme Friedrich Flick, qui avait créé un conglomérat dans le secteur du charbon et de l’acier, concevaient plutôt leur contribution comme une souscription à une sorte de contrat d’assurance. D’autres encore soutenaient financièrement des membres du NSDAP perçus comme raisonnables ou modérés dans l’espoir de renforcer cette tendance. En tous cas, quelles que soient les sommes versées par le patronat allemand, elles ne suffirent pas à sortir le NSDAP des difficultés financières dans lesquelles il se débattit jusqu’à la nomination de Hitler à la chancellerie. Le 6 janvier 1933, Joseph Goebbels évoquait encore dans son journal la mauvaise santé financière de l’organisation.

Politiquement, et « contrairement à ce qui a souvent été affirmé, le grand patronat ne prit aucune part aux intrigues qui conduisirent le 30 janvier 1933 à la nomination d’Hitler à la chancellerie. […] La clé de l’attitude des grands industriels allemands durant les semaines cruciales de janvier 1933 réside dans la défiance que leur inspirait Kurt von Schleicher [52], qui avait succédé à von Papen le 3 décembre 1932. [… Par ailleurs,] si, pour débloquer la situation politique, ceux-ci adhérèrent à la stratégie de Von Papen consistant à porter Hitler à la chancellerie tout en pensant se servir de son parti pour enrayer la menace communiste, c’est parce qu’ils croyaient vraiment en sa capacité à isoler Hitler au sein d’un gouvernement dominé par les conservateurs. L’échec de cette stratégie plaça tout le patronat allemand, désormais privé de ses appuis politiques traditionnels, en situation de fragilité par rapport aux nazis [53]. »
N’oublions pas non plus que du côté programmatique, la majorité du NSDAP prônait une autarcie économique dont les grands industriels allemands ne voulaient pas entendre parler : leurs besoins en matières premières ou leurs exportations n’auraient pu s’en accommoder, du moins pas avant la mise en place d’une économe de guerre.
Reste la question suivante : pourquoi Hitler s’obstina-t-il à se faire nommer Chancelier dans le cadre de la légalité républicaine ?

Démettre Von Schleicher, un coup double

Jusqu’à sa prise du pouvoir, l’Etat-major de l’armée allemande s’oppose à Hitler et défend Weimar. À sa tête, l’homme de l’ombre, éminence grise de Paul von Hindenburg et faiseur de cabinets, le Général Von Schleicher. D’abord Ministre de la Défense dans le gouvernement von Papen, étant maître de l’armée, il était de facto maître des destinées d’un pays dans lequel toutes les institutions chancelaient, autrement dit, dans un pays en proie à de multiples effondrements : « la société n’existait plus beaucoup, il n’y eût plus alors que des individus [54] » qui furent engloutis dans une colossale mise en spectacle des foules défilant en uniformes par les avenues ou dans les stades, à l’éclatante lueur du soleil ou à celle des torches, la nuit venue.
Von Schleicher au pouvoir, non seulement aucun changement de régime ne pouvait advenir, mais comme il s’agissait également de conquérir le pouvoir dans l’armée, il fallait donc se débarrasser de ce général encombrant et si possible de manière définitive. En janvier 1933, Halmaj Schacht, l’ancien gouverneur de la Reichsbank publiquement rallié aux nazis, saura activer le bon piston pour faire bouger Paul von Hindenburg et se débarrasser de von Schleicher : l’ex-chancelier Franz von Papen, spécialiste des « coups tordus » et ami d’Oskar, le fils du Président, sera opportunément mis à contribution pour ce faire. Von Schleicher devra remettre sa démission et le 30 janvier, Adolf Hitler sera appelé à la Chancellerie par Hindenburg. Nous connaissons la suite : la République, les partis, von Papen, Schacht, certains industriels seront balayés plus ou moins rapidement par le monstre qu’ils ont fabriqué, le général Schleicher sera assassiné par le SD lors de la nuit des Longs Couteaux, le 30 juin 1934 et le Maréchal mourra quelques semaines après, laissant place nette au Führer.

1932-2022, une comparaison bancale ?

En règle générale, seul un retour aux faits historiques ou aux débuts des dérives théoriques permet de détricoter les argumentaires sommaires, conciliants, voire intellectuellement confortables ou politiquement douteux. Mais la chose n’est pas si simple, car les faits doivent également être interprétés…
Frédéric Sallée et Johann Chapoutot s’accordent sur un point : la comparaison entre 1933 et 2019 ne serait pas pertinente. « Le contexte, qu’il soit social, économique et politique, est sans commune mesure avec le cadre général des années 1930 », fait valoir le premier. Johann Chapoutot rappelle quant à lui que « dans les années 1930, on avait un rapport totalement différent à la violence [55], à la présence des armes, au fait qu’il [pouvait] y avoir cent morts pendant une campagne électorale. Aujourd’hui, on a changé de monde. On n’est plus dans le sillage immédiat d’un conflit et d’un déchaînement de violence [56]. »
C’est entendu. Mais il subsiste tout d’abord un problème de fond quant à l’interprétation du nazisme et à la période de l’entre-deux guerres. Il est dû au fait qu’il y manque plusieurs dimensions, car devraient y être inclus : une analyse de l’accumulation particulière du capital en Allemagne au moins depuis le Gründerzeit (le temps des fondateurs, 1865-1873) ; un approfondissement de l’hypothèse wébérienne quant aux rôles des cultures protestantes, nordiques, saxonnes dans les modèles de représentations et de relations sociales ; un décryptage du rôle idéologique majeur joué par les eugénismes dès 1868 en Occident ; une reconsidération des effets généralement imputés à la Grande guerre qui les sous-estiment au point de passer à côté de l’essentiel [57] ; une exploration des rapports sociaux déliquescents de cette époque à la lumière de la psychanalyse [58] ; une critique intrinsèque du mode de connaissance scientifique moderne, de ses effets et de sa place à l’époque ; une étude des implications anthropologiques du capitalisme thermo-industriel et de ses technologies ; une intégration de tous les bouleversements (matériels, spirituels, politiques, techniques) propres à nous faire saisir qu’une civilisation a cristallisé au début du xxe siècle et qu’un nouvel imaginaire structure en profondeur les inconscients occidentaux, ce qui devrait déboucher sur l’élaboration de cadres conceptuels qui puissent intégrer toutes ces approches.
Encore que tous ces travaux auraient grandement intérêt à s’appuyer sur une révision radicalement critique du marxisme, de la psychanalyse, des apports de l’école de Francfort, de l’histoire et finalement de l’historiographie du contemporain qui a failli à plusieurs reprises en ce qui concerne des évènements de première grandeur au xxe siècle [59]. Cela permettrait de dépasser les catégories usuelles d’appréciation du nazisme qui opposent :
- « ceux qui voient la période nazie comme le point culminant du Deutschtum (germanisme) et les marxistes [mécanistes] qui voient le nazisme comme un épiphénomène du capitalisme ;
- ceux qui plaident pour un Sonderweg (la voie distincte du développement post-médiéval allemand) et ceux qui le contestent ;
- ceux qui voient le nazisme comme un type de totalitarisme, et ceux qui le voient comme un type de fascisme [60]. »
Alors, nous serions à même de comprendre en quoi les oppositions entre interprétations fonctionnalistes et intentionnalistes par exemple, peuvent être dépassées au profit d’une conception plus précise et plus riche d’enseignements de ce phénomène historique. En outre, il faut bien en faire le constat : depuis trois-quarts de siècle sa compréhension intime en reste inaboutie. Il s’agit donc de saisir ce qui s’oppose à cet examen de manière aussi constante.
Or, ce qui s’y refuse, c’est la mort, et comble d’embarras, il s’agit d’une mort qu’encapsule une « modernité » idolâtre d’elle-même. C’est dire le niveau des difficultés. Mais c’est bien elle, la mort, qui traverse, imprègne et spécifie le phénomène nazi de bout en bout. Depuis Freud au moins, nous savons que cela résiste, qu’elle se dérobe à l’analyse et ne se laisse pas regarder en face, quelque soit les bonnes volontés, le sérieux ou l’opiniâtreté des chercheurs. Car il s’agit d’autre chose que d’une approche uniquement rationnelle…
Intégrer cette dimension dans l’analyse permettrait surtout de comprendre les dimensions universellement tragiques d’Auschwitz et d’Hiroshima ; en quoi nous étions déjà entrés dans l’ère des génocides ; pourquoi nous ne sommes malheureusement pas prêts d’en sortir si nous continuons à pérenniser ces aveuglements et la civilisation qui les soutiennent.
À toutes ces conditions, la comparaison entre les années 1930 et celle que nous vivons serait un peu plus circonstanciée et autrement plus féconde. Mais de fait, l’essentiel échappe. Ainsi, le parallèle entre ces deux époques est tout à fait légitime car, dans l’un et l’autre cas, les sociétés sont non seulement en voie d’effondrement avancé, mais qui plus est, elles ne laissent entrevoir aucun avenir plus serein, au contraire. Certes, les causes ne sont pas identiques et leurs effets non plus, mais reste que le socius est actuellement en voie de destruction profonde et cela ne date pas d’hier.
D’ailleurs, à défaut d’en faire une analyse exhaustive, les symptômes s’imposent d’eux-mêmes d’un bout à l’autre de « l’échelle sociale » : d’un côté l’arrivée inopinée de clowns tristes au pouvoir [61] – de Trump à Bolsonaro – avec leurs cortèges mortuaires en tous genres, de l’autre les délires sectaires dont on apprend de la bouche d’une ancienne salariée de Facebook qu’ils sont sciemment entretenus et même amplifiés dans les réseaux soi-disant sociaux par l’entreprise états-unienne.
Ce qui est essentiel dans cette comparaison, ce n’est pas une pesée terme à terme des évènements et de leurs conséquences, mais c’est de se rendre compte que nous en sommes à un tel point de délitement que tout peut arriver, même le pire, ce qui fut le cas en quatre petites semaines, entre le 4 et le 30 janvier 1933. Dans ce genre de situation fragile et instable, le pire – quoi qu’il ne soit pas certain – peut effectivement advenir, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années. C’est cela qui est nouveau et qui peut éclater à la face de tous.
Et en effet, il se trouve dans ce pays qu’outre une concentration des pouvoirs inédite depuis juillet 1940, outre une destruction des acquis sociaux et des services publics sans précédents depuis cette même date, outre l’exercice d’une violence étatique terrorisante, assassine et mutilante sans comparaison depuis le 17 octobre 1961, outre un remue-ménage factieux dans la police et l’armée inconnu depuis ces mêmes années, outre un projet de « révolution culturelle néolibérale » qui ferait passer l’envie de toute critique et de toute révolte, même dans la jeunesse, outre les projets d’anéantissement des rapports humains autres que marchands, outre les nouveaux modes de prolétarisation universelle des superflus mis en place par Uber et consorts, outre que depuis 2015 nous vivons majoritairement sous état d’urgence ou état d’exception, outre que des évolutions neuro-physiologiques, psychiques et cognitives mises en marche par les gafam [62] sont en passe de donner naissance à des foules de zombies numériques, outre l’exfiltration des classes ouvrières en Orient opérée par la contre-révolution internationale des années 1973 à 1989, outre la dégénérescence des partis, syndicats et mouvements d’opposition, ce qui est en cours, à savoir une multitude d’effondrements, est certes très différent, mais non moins alarmant que ce qui advînt dans les années 1930 en Allemagne.
Car il s’y ajoute de nouveaux défis qui surpassent de loin ceux des deux derniers siècles, au point que l’on pourrait dire que nous serons confrontés à court, moyen ou long terme à un danger multidimensionnel qui est écologique, climatique, pandémique, socio-économique, sécuritaire et guerrier ; oui, guerrier, car les affrontements impérialistes que l’on croyait remisés au musée du xxe siècle refont surface, s’agissant notamment des jeux dangereux qui se déploient et s’intensifient entre la Chine et les Etats-unis dans le Pacifique, et, d’une autre manière en Amérique Latine et en Europe.
A vrai dire, l’étude et l’esquisse du parallèle avec l’Allemagne des années 1930 présente un grand intérêt car elle permet notamment de mettre en lumière un des deux pôles qui manquaient à l’analyse de ce qui s’est passé à cette époque, et même depuis l’École de Francfort [63], à savoir une dimension anthropologique solide dans l’examen du phénomène nazi. En d’autres termes, l’évocation des difficultés sociales, des moyens de coercition de l’État totalitaire, des violences miliciennes, etc. est totalement insuffisante pour expliquer que le nazisme ait duré aussi longtemps (le NSDAP était malheureusement déjà majoritaire chez les étudiants dès 1925). Seules des résonnances puissantes entre un imaginaire structurant la majorité des inconscients et celui des institutions national-socialistes, peuvent rendre compte de la longévité de cet « ordre nouveau ». Cela peut être illustré, de manière négative, et dans un autre cadre spatio-temporel, par la maxime suivante :
« Lorsque l’imaginaire d’une civilisation se défait, alors ses jours sont comptés ».
Ces manques cruciaux dans l’analyse du phénomène nazi nous avaient déjà amené à soutenir que les prémisses d’Auschwitz-Birkenau font partie des « secrets de famille de la civilisation capitaliste ». Les détriments de cette absence d’analyse anthropologique perdurent sous plusieurs formes : par la grâce d’on ne sait quel surplomb politique ou théorique, beaucoup survolent avec condescendance les évolutions actuelles ou ne la voient pas, ce qui les amènent finalement à ressasser des analyses dépassées. En d’autres termes, les dénégations aveuglent toujours leurs auteurs.

Jean-Marc Royer, le 3 décembre 2021.

Bibliographie succincte

- Henry Ashby Turner, German Big Business and the Rise of Hitler, Oxford University Press, 1985.
- Charles Bloch, « Hitler et les capitalistes allemands », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 24e année, n° 1, février 1969, p. 216.
- Martin Broszat, L’État hitlérien. L’origine et l’évolution des structures du Troisième Reich, Paris, Fayard, 1985.
- Philippe Burrin, « Nazisme et grand capital », Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 10, juin 1986, p. 129-130.
- Johann Chapoutot :
- Le National-socialisme et l’Antiquité, Paris, PUF, 2012
- L’Âge des dictatures. Régimes autoritaires et totalitarismes en Europe (1919-1945), Paris, PUF, 2008.
- Fascisme, nazisme et régimes autoritaires en Europe (1918-1945), Paris, PUF, 2013.
- Le Meurtre de Weimar, Paris, PUF, 2010.
- Le Nazisme. Une idéologie en actes, Paris, La Documentation française, 2012.
- Histoire de l’Allemagne (1806 à nos jours), Paris PUF, 2014.
- La Loi du sang. Penser et agir en nazi, Paris, Gallimard, 2014.
- La Révolution culturelle nazie, Paris, Gallimard, 2017.
- Comprendre le nazisme, Paris, Tallandier, 2018.
- Libres d’obéir : le management, du nazisme à aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2020.
- Didier Chauvet, Franz von Papen. Les années au pouvoir 1932-1934 : Chancelier et vice-chancelier d’Hitler. Un portrait politique, Paris, L’Harmattan 2020.
- Frédéric Clavert (thèse), « Hjalmar Schacht, financier et diplomate (1930-1950) », Université Strasbourg III, 2006. https://bit.ly/3BrDZQh
- Frédéric Clavert (mémoire de thèse), « Hjalmar Schacht, financier et diplomate (1930-1950) », Université Strasbourg III, 2006. https://bit.ly/2ZJ8RPz
- Richard J. Evans, Le Troisième Reich, Paris, Flammarion, 2009.
- Jean-Claude Hazera, Comment meurent les démocraties, Paris, Odile Jacob, 2018.
- Hypothèses, « Comment le libéralisme a amené Hitler au pouvoir », 28 avril 2017, openedition, https://monnaieprix.hypotheses.org/125
- Sven Felix Kellerhoff, « Wie die Großindustrie Hitler wirklich unterstützte », (Qui a financé le NSDAP ?), Die Welt, 04/12/2019.
- Ian Kershaw :
- Qu’est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d’interprétation, Paris, Gallimard, 1999.
- Hitler. Essai sur le charisme en politique, Paris, Gallimard, 1995 (1991).
- L’Opinion allemande sous le nazisme - Bavière 1933-1945, CNRS éd., Paris, 2010.
- Choix fatidiques - Dix décisions qui ont changé le monde, 1940-1941, Paris, Seuil, 2009.
- Hitler, 1889-1945, Flammarion, 2008, N. éd. 2020, (2008).
- L’Europe en Enfer 1914-1949, Paris, Seuil, 2016.
- René Lasserre, « Weimar : une expérience de démocratie sociale », in Gilbert Krebs et Gérard Schneilin (dir.), Weimar ou de la démocratie en Allemagne, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 1994, p. 173-181.
- Pierre Milza, Les Fascismes, Paris, Seuil, 1991.
- Hans Mommsen, Le national-socialisme et la société allemande. Dix essais d’histoire sociale et politique, Paris, MSH, 1997.
- Ludwig Carl Moyzisch, L’Affaire Cicéron, Paris, Editions Ditis, 1963 (1950).
- Reinhard Neebe, Großindustrie, Staat Und NSDAP 1930-1933, Vandenhoeck & Ruprecht, 2003.
- Franz Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933-1944, Payot, 1987.
- Jacques R. Pauwels, Big business avec Hitler, Aden, 2013.
- Werner Plumpe, « Les entreprises sous le nazisme : bilan intermédiaire », Histoire, économie & société, 2005/4 (24e année), p. 453 à 472.
- William L. Shirer, Le Troisième Reich, des origines à la chute, Paris, Stock, 1960.
- Jean Solchany, L’Allemagne au xxe siècle, Paris, PUF, 2003.
- Antony Sutton, « Wall Street et la montée en puissance d’Hitler », https://bit.ly/3jUptLh. Texte complet sur le site « Analogie complète » : https://nwocontrepeuple.wordpress.com/2013/08/11/38/
- Enzo Traverso, Le totalitarisme : le xxe siècle en débat, Paris, Seuil, 2001.
- Ullrich Volker, Adolf Hitler, une biographie. Tome 1. L’ascension : 1889-1939, Paris, Gallimard, 2017.
- John Wheeler-Bennett, The Nemesis of Power : German Army in Politics, 1918-1945, New York, Palgrave Macmillan Publishing Company, 2005.
- Glen Yeadon & John Hawkins, The Nazi Hydra in America : Suppressed History of a Century, Progressive Press, 2011.


[1Concept défini in Ecologie & Politique n° 46, Jean-Marc Royer, « Quinze thèses sur le nucléaire », Presses de Sciences-Po, février 2013.

[2René Monzat, « L’extrême droite, ses controverses idéologiques et ses médias », Contretemps des 14 et 21 décembre 2020. > https://bit.ly/3rFCsot

[3Ce qui ne doit pas empêcher d’examiner la restructuration en cours du capital de Bolloré qui, après avoir fondu sur les médias et les éditions de ce pays, est en train de vendre tous ses actifs en Afrique pour se « recentrer » ou reconfigurer son capital.

[4Ce qui s’est passé au-delà du 30 janvier est « une autre histoire » et ne fait pas partie de cette étude.

[5Alors que le NSDAP et les SA étaient en progression, c’est au nom d’une « stratégie classe contre classe » que le KPD se confrontera aux sociaux démocrates et n’hésiterons malheureusement pas à « mener les mêmes grèves que les nazis », notamment à Berlin.

[6James Q. Whitman, Le Modèle américain d’Hitler, préface de Johann Chapoutot, Armand Colin, 2018.

[7Par exemple, en se posant ces questions : Comment, deux décennies seulement après la défaite de 1918, l’Allemagne a-t-elle pu se relancer dans une guerre mondiale ? Cela fut-il regardé comme « un mal pour un bien », afin d’endiguer la révolution russe ? Après guerre en tous cas, notons qu’un raisonnement identique permettra de recycler bon nombre de nazis dans les appareils étatiques ou économiques, aux Etats-unis et ailleurs.

[8Féroce critique de Weimar, il prêtait foi à la Dolchstoßlegende (la légende du coup de poignard dans le dos), selon laquelle les sociaux-démocrates et les juifs étaient rendus responsables de la défaite du Reich en 1918.

[9Adhérente du NSDAP en 1929, dirigeante du festival de Bayreuth jusqu’en 1945 et nazie convaincue jusqu’à sa mort en 1980.

[10Lire à ce propos Thierry Jacob Belin, « Adaptation de la noblesse au capitalisme : l’exemple de la province prussienne de saxe, 1850-1918 », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2006/1 n° 53-1, p. 132 à 155.

[11Au lieu du terme « anticapitaliste » souvent avancé pour caractériser une certaine propagande nazie, notamment par les SA et en particulier sa fraction dirigée par Otto Strasser, nous préférons le terme d’anti-système qui est plus proche de la réalité et moins susceptible de répandre la confusion. Une appréciation que confirme Joachim Fest, in Les Maîtres du IIe Reich, Grasset, 1965, pages 268-269.

[12Le contrôle familial d’une association d’entreprises distinctes qui combine concentration horizontale et concentration verticale. Les Konzerns ont été lancés de manière massive par l’État impérial allemand qui était très protectionniste. C’est en 1904 par exemple qu’est fondé le cartel de la chimie qui regroupait Agfa, Bayer et Basf.

[13Henry Rousso, « Le grand capital a-t-il soutenu Hitler ? », L’Histoire, collections, janvier-mars 2003.

[14Ian Kershaw, « Hitler n’aurait pu prendre le pouvoir sans la complicité d’élites bourgeoises », propos recueillis par Vincent Jaubert, Le nouvelObs, 26 juillet 2013. Parution du premier tome de Mein Kampf le 18 juillet 1925 et du second le 11 décembre 1926.

[15Cela est faux, en réalité, il fait référence à la fondation du DAP. Le NSDAP sera fondé le 8 aout 1920.

[16Ian Kershaw, Hitler : 1889-1936, vol. I : Hubris, Paris, Flammarion, 2001 et Richard J. Evans, Le Troisième Reich : l’avènement, Paris, Flammarion, 2009.

[17Hans Mommsen, Aufstieg und Untergang der Republik von Weimar 1918-1933, Berlin, Ullstein, 1998.

[18Ouvrages de Johann Chapoutot et Ian Kershaw. Martin Broszat, L’État hitlérien : l’origine et l’évolution des structures du IIIe Reich, Paris, Fayard, 1985. Hans Mommsen, Le National-socialisme et la société allemande : Dix essais d’histoire sociale et politique, Paris, MSH, 1997.

[19Henry Rousso, art. cité.

[20Heidrun Holzbach, « Le Système Hugenberg : l’organisation de la politique de collecte bourgeoise avant l’essor du NSDA », études sur l’histoire contemporaine, Volume 18, Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart 1981, p. 138.

[21Werner Jochmann (1921-1994) était un historien allemand et directeur du Centre de recherche pour l’histoire du national-socialisme à Hambourg. Cf. également « Berliner NationalKlub » et « Hamburger NationalKlub » sur le web.

[22Hamburger NationalKlub, de.wikipédia (en allemand)

[23Dirigeant de l’industrie sidérurgique et de nombreuses associations patronales. En 1929, Reusch fut l’une des personnalités du camp patronal qui appela l’Association de l’industrie allemande du Reich à « utiliser tous les moyens pour promouvoir le front défensif contre l’avancée du marxisme et faire pression sur les partis bourgeois afin qu’ils résistent enfin. Élevons-nous contre le socialisme dans tous les domaines de notre politique intérieure ». Depuis 1931, il était membre du Stahlhelm, les casques d’acier.

[24Association exclusivement masculine, aristocratique et ultra réactionnaire fondée en 1924 par deux nobles, comprenant de grands propriétaires terriens, de grands industriels, des banquiers, des hauts fonctionnaires.

[25Reinhard Neebe, Großindustrie, Staat Und NSDAP 1930-1933, Vandenhoeck & Ruprecht, 2003.

[26Reinhard Neebe, Großindustrie, Staat Und NSDAP 1930-1933, Vandenhoeck & Ruprecht, 2003.

[27Lire l’article sérieux et bien documenté suivant : https://stringfixer.com/fr/Franz_von_Papen

[28Reiner Zilkenat, article cité.

[29Chronique de Widdershausen, https://www.widdershausen.de/august-rosterg.html.

[30Général en 14-18, organisateur de corps francs et nazi convaincu de la première heure.

[32Membre influent du Zentrum, Chancelier entre le 30 mars 1930 et le 1er juin 1932.

[34Reiner Zilkenat, article cité.

[35Ian Kershaw, Hitler : 1889–1936 : Hubris, New York, Norton, 1998, p. 372 et Peter Longerich, Hitler : a life, Oxford Press University, 2019, p. 255. L’expression « Nouvel État » utilisée par von Papen désignait ce projet de réforme des institutions très autoritaire.

[36Ian Kershaw, propos recueillis par Vincent Jauvert, interview déjà citée et https://stringfixer.com/fr/Ian_Kershaw

[37En réalité, par sécurité et par précaution politique, aucune signature de ces messieurs n’était apposée à ce genre de document.

[38Utilisé au procès de Nuremberg, cela lui a donné un certain poids.

[39Recension dans les Annales 1969, 24-1, p. 216-217 du livre d’Eberhard Czichon, Wer verhalf Hitler zur Macht ? par Charles Bloch.
https://www.persee.fr/docAsPDF/ahess_0395-2649_1969_num_24_1_422049_t1_0216_0000_2.pdf

[40En somme, Hitler leur annonce qu’il ambitionne de gouverner par ordonnances…

[41Serveur de l’éducation nationale du Bad-Wurtemberg : « Reichskanzler Adolf Hitler mit seinem Kabinett (30. Januar 1933) ». Deutschland Geschichte in Dokumenten und Bildern.

[42Ian Kershaw, propos recueillis par Vincent Jauvert, interview déjà citée.

[43« La rue ou la bourgeoisie : qui a porté Hitler au pouvoir ? », propos de Frédéric Sallée et Johann Chapoutot recueillis par Margaux Baralon, 1er février 2019, Europe 1.

[44Article 48 : […] Le président du Reich peut, lorsque la sûreté et l’ordre public sont gravement troublés ou compromis au sein du Reich, prendre les mesures nécessaires à leur rétablissement ; en cas de besoin, il peut recourir à la force. A cette fin, il peut suspendre totalement ou partiellement l’exercice des droits fondamentaux garantis aux articles 114, 115, 117, 118, 123, 124 et 153. […

[45Chronique de Widdershausen : https://www.widdershausen.de/august-rosterg.html

[46Gilbert Badia, « 1933 Hitler prend le pouvoir », L’Humanité, 12 juin 2004.

[47Les nazis falsifièrent le dossier de Kirdorf afin de faire croire que celui-ci avait été continûment membre du NSDAP à partir de 1927. En réalité, il soutint le Parti populaire national allemand (Deutschnationale Volkspartei, DNVP) de 1929 à 1933 (8)

[48Thierry Jacob Belin, « Adaptation de la noblesse au capitalisme : l’exemple de la province prussienne de saxe, 1850-1918 », 2006, art. déjà cité.

[49Rappel : il quitta le NSDAP pour fonder le « Front noir » en 1930, puis s’exila, tandis que son frère Gregor fut assassiné le 30 juin 1934.

[50Les archives financières du NSDAP ont été détruites durant la seconde guerre mondiale. Celles des entreprises permettent d’avancer que les montants qu’elles ont concédés ne représenteraient qu’une fraction mineure des ressources du NSDAP. Mais les dons individuels des dirigeants échappent à cet examen. Il est cependant vraisemblable que ce parti s’est peu ou prou financé par le biais des cotisations et des entrées aux meetings, surtout à partir du moment où il devint un parti de masse : début 1932, il compte 1,5 million d’adhérents, dont 350 000 SA et SS. Tout cela ne l’a pas empêché de connaître de graves difficultés fin 1932-début 1933.

[51Lire le long et excellent article sur Von Papen ici : https://stringfixer.com/fr/Franz_von_Papen.

[52Par exemple, en abrogeant le décret-loi du 4 septembre 1932 qui autorisait des réductions de salaire, Von Schleicher déclencha la colère des grands patrons.

[53« Aveuglés par la peur du communisme, incapables de convaincre les différentes formations de la droite conservatrice de s’allier, certains de pouvoir manipuler ce "petit caporal" à travers Papen, [les dirigeants des grandes entreprises] s’engagèrent dans un processus sur lequel ils n’eurent rapidement plus de prise, avançant de la sorte vers une catastrophe irrémédiable. » Annick Steta, « Les élites économiques ont-elles porté Hitler au pouvoir ? », Revue Des Deux Mondes, décembre 2019, janvier 2020, p. 61 à 67.

[54On reconnaîtra là une célèbre formule prononcée outre-Manche en octobre 1987…

[55Si ce rapport à la violence est certes différent, il n’empêche que la radicalisation devant les écrans, le terrorisme salafiste, les milices armées aux Etats-unis, les guerres civiles omniprésentes en Afrique, les répressions militarisées des mouvements populaires etc. sont le signe évident des effondrements sociétaux en cours.

[56Propos de 2019 déjà cités de J. Chapoutot. Notons pour débuter que la situation politique, sanitaire etc. a beaucoup évolué en trois ans.

[57Nous pensons à l’usage de la locution « brutalisation des mœurs » chère à George Mosse, largement reprise, et dont nous avons déjà dit en quoi elle était gravement inadaptée.

[58Freud est passé à côté de cette question, mais outre qu’il était déjà très âgé et frappé d’un cancer depuis 1919, notons qu’il est toujours difficile d’analyser les évènements politiques en cours, surtout lorsqu’ils présentent des caractères totalement inédits, nous pensons à la première guerre industrielle, mondiale et totale utilisant des armes de destruction massive.

[59À ce propos, lire ce que dit Shlomo Sand de l’école des Annales dans Crépuscule de l’Histoire, Paris, Flammarion, 2015. Se souvenir de la manière dont l’histoire de la collaboration et celle du 17 octobre 1961 étaient occultées avant Paxton et Einaudi, tandis que la dimension fondamentale de Mai 68 n’est toujours comprise…

[60D. Ian Kershaw, « Snowman », from History Today Volume 51, Issue 7, July 2001 p. 18-20 et https://stringfixer.com/fr/Ian_Kershaw

[61C’est une des caractéristiques des situations politiques incertaines, délicates.

[62Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Alphabet, maison mère de Google, s’est acquis 224 entreprises entre 2002 et 2020.

[63Il serait trop long d’exposer ici en quoi il y aurait fallu une approche critique de la théorie psychanalytique qui fut d’ailleurs mécomprise jusqu’au bout par l’Ecole de Francfort, pourquoi cela aurait permis de conduire la critique Wébérienne à son terme et pourquoi il n’était pas possible à l’époque de se dégager des attraits transgressifs du mode de connaissance scientifique, les trois choses étant liées. Mais, il serait mal venu et anachronique de leur en faire le reproche, d’autant qu’il reste toujours extrêmement difficile de s’extraire des évènements de son époque.