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Goûter la substantifique moelle



samedi 20 février 2016,


Fulano


Culture Humeur

Il n’y a pas que Marx, Debord ou Bauman dans ma vie. Je n’habite pas dans les étagères de ma bibliothèque. Il y a aussi la cuisine pour conjuguer la vie et le plaisir d’être vivant… Et quand les deux se rencontrent, le lien entre rayonnages et fourneaux pousse à apprécier Rabelais et son Gargantua. Rien que le prologue attise la réflexion et les papilles :

Pour que vous, mes bons disciples, et quelques autres fous de passage, lisant les joyeux titres des livres de notre invention Gargantua, Pantagruel […]. Ne jugiez pas trop facilement qu’il n’y sera traité que de moqueries, de paresse, et de joyeuse menterie, vue que l’enseigne extérieure, c’est le titre, sans examen approfondi est compris communément comme farce et dérision. […] Et dans l’hypothèse où à une première lecture vous trouviez le sujet assez joyeux et correspondant bien au nom, il ne faut pas rester sur cet a priori, comme attiré par le chant des sirènes, comme je l’ai dit plus haut, sans interpréter ce que vous avez par aventure compris de gaieté de cœur. Avez-vous trop bu ? charogne ! Reprenez contenance !
Avez-vous vu en revanche quelque chien rencontrant un os à moelle ? C’est comme dit Platon la bête la plus philosophe. Si vous avez pu l’observer, notez avec quelle dévotion il le guette, avec quelle affection il le brise, et avec quelle diligence, il le suce. Qui le conduit à se comporter ainsi ? Quel espoir a son attention ? Que prétend-il acquérir ? Rien qu’un peu de moelle ! Et il est vrai que ce peu est plus délicieux que le beaucoup de tout le reste, car la moelle est l’aliment fait à la perfection par la nature comme le dit Galen. À son exemple, vous devez être sage, pour sentir, appréhender et estimer ces beaux livres au contenu de grande tenue, léger et hardi au premier abord, puis par l’apprentissage curieux et les méditations fréquentes, rompre l’os et sucer la substantifique moelle.


En matière d’éducation, Rabelais s’oppose au Collège de France, fondé par François 1er, dont la devise est : "Docet omnia" (Il enseigne tout). Il en critique le "formatage" imprimé à des étudiants rendus très obéissants, s’intéresse à des choses classées comme hérétiques par la pensée dominante et nous invite à être ce "chien" qui, face à un "os/culture", doit le "rompre et [en goûter] la substantifique moelle"…

Mais point de discours ou de morale, passez plutôt à table :

Recette de l’os à moelle au four

* Entrée ou apéritif pour 4 personnes
* Temps de préparation : 5mn
* Temps de cuisson : 35mn

Ingrédients
- 4 os à moelle [1]
- Sel
- Fleur de sel
- Poivre du moulin
- 4 tartines de pain de campagne grillé à l’instant

Étapes
- Préchauffer votre four à 230°C en chaleur tournante.
- Disposer les os à moelle dans un plat allant au four.
- Saler avec du sel fin de chaque côté les os à moelle et les enfourner pour 35 minutes.
- 3 minutes avant la fin de la cuisson faire griller les tartines de pain de campagne.
- Sortir les os et étaler la moelle sur la tartine de pain bien chaude.
- Assaisonner avec le poivre et la fleur de sel.

Servir chaud et à déguster avec un vin de Bourgueil ou un Chinon.



[1Issu de l’os du jarret, l’os à moelle est un plat d’une grande finesse gastronomique. Réputé pour son goût subtil, ses amateurs en raffolent et à juste titre. Après cuisson on retrouve des arômes de viande grillée et de noisette.