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Gard : Chronique ordinaire de l’exploitation des ouvriers agricoles



lundi 24 juin 2013,


Correspondant


Solidarité

Vendredi 21 juin matin, alors que j’étais à une terrasse de café avec mon fiston derrière la gare de Nîmes, un groupe de quatre latinos me demandent une adresse . En parlant avec eux en espagnol je comprends qu’ils cherchent l’inspection du travail.

Jérémie (SUD éduc 30) et Pierre (Sud Retraité-es 30).

Tiré du bulletin Solidaires 30


Deux d’entre eux m’expliquent leur situation : Juan et Carlos.
La raison de leur quête : ils font partie d’un certain nombre d’ouvriers agricoles qui viennent d’être licenciés sec par l’exploitant.

Ils me montrent leurs contrats de travail et bulletins de salaires. L’exploitant semble en règle de ce côté là. Par contre le motif de rupture de contrat est contesté par les saisonniers.

Les problèmes qui se posent à eux sont les suivants :
- Le patron ne veut pas leur payer leurs arriérés de salaire de ce mois ;
- Ils étaient logés dans des mobile homes sur place et se retrouvent à la rue. Or ils n’ont nulle part où aller vu qu’ils viennent la plupart d’Espagne.

Au niveau de Solidaires 30, nous contactons le secrétaire gardois de la Conf Paysanne (Nicolas Duntze) qui a déjà été confronté à ce type de cas (hélas très courant dans le Gard).

Terra Fecundis ou la World company qui tire les ficelles

D’après Nicolas de la Conf’, la plupart des latinos (Colombiens, Équatoriens, Péruviens et Boliviens avant tout) seraient recrutés par une agence d’intérim espagnole (Terra Fecundis dont le siège social se trouve à Murcia). Il y aurait ainsi de Marseille jusqu’aux Landes plus de 2000 latinos répartis sur différentes exploitations. Ce recrutement via Terra Fecundis rend d’ailleurs toute revendication salariale compliquée. Si les saisonniers entendent faire respecter leurs droits (entre autre le paiement de salaires et notamment leurs heures supplémentaires), ils doivent se tourner vers Terra Fecundis car l’exploitant agricole pour qui ils travaillent s’en lave les mains. Il paye un forfait directement à Terra Fecundis, le reste (salaires, couverture sociale et médicale) ne dépend pas de lui. Pratique.

Terra Fecundis paye en général ses saisonniers à leur retour en Espagne après leur session d’intérim sur une exploitation en France ou ailleurs. Juan, un des latinos, me disait par exemple qu’il avait effectué des piges jusqu’en Pologne. Terra Fecundis affrétait un bus avec 50 saisonniers à son bord direction la campagne de Poznan.

Autre aspect de la réalité Terra Fecundis abordé par Carlos, l’agence d’intérim facilite des prêts immobiliers pour les saisonniers afin qu’ils achètent un appartement ou une maison que ce soit dans leur pays d’accueil en Europe (l’Espagne) ou dans leur pays d’origine. Avec un prêt immobilier consenti, le saisonnier est pieds et poings liés à toutes les missions imposées par Terra Fecundis. Il s’agit d’être, dès lors, aux ordres et bien évidemment ne rien revendiquer.

Guantanamo version campagne gardoise

Lors d’un second rendez vous, lundi 24 juin, Juan et Carlos approfondissent leur description de leurs conditions de de travail, de vie et leurs desirata.
L’exploitation agricole où travaillent les latinos est une grosse exploitation puisqu’elle embauche 200 saisonniers. Juan et Carlos ont été embauchés directement par le patron. Mais ils nous confirment que la plupart des ouvriers agricoles sont bel et bien envoyés par Terra Fecundis.

Sur leur contrat de travail, l’exploitant a beau avoir fait signer aux saisonniers un document où il est stipulé qu’il "héberge à titre gracieux" son salarié, ce dernier lui paiera mensuellement un loyer de 100 euros de main en main. Ce qui multiplié par 200 fait quand même un revenu confortable non déclaré de 20 000 euros par mois pour l’exploitant...

Juan qui a longtemps travaillé dans la zone des serres de la région d’Almeria nous dira : "ici c’est encore pire". Au point que les saisonniers appellent eux mêmes le campement où ils travaillent : Guantanamo. C’est tout dire. La plupart dorment en mobile home, d’autres plus chanceux dans des baraquements en dur, d’autres qui le sont moins à même le sol ou dans leurs voitures. On compte une machine à laver et cuisine pour 20 ouvriers. Il n’y a pas d’eau chaude et pas de chauffage quand l’hiver arrive.

Les conditions de travail sont très dures. Tous les matins à 4h c’est réveil collectif. A 5h départ en camion pour les champs d’abricots, de raisins ou de pêches. Après une heure de transport (non payé bien sûr), de 6h à 19h le travail est intense avec une pause d’une demi heure par jour. Les exploitants (père et fils) veillent au bon déroulement du travail. "Ils crient beaucoup", nous dira Juan. Et si par malheur sur un abricotier un saisonnier oublie de cueillir les fruits sur une branche, il n’est pas rare qu’on lui retire une heure de travail.

Au niveau des salaires ceux ci varient, pouvant aller jusqu’à 1400 euros mensuels. Les heures supplémentaires hélas sont pour la plupart du temps oubliées sur la fiche de salaire.

Juan évoque aussi son cas : il y a trois semaines alors qu’il partait sur un chantier il a eu un accident qui aurait pu lui coûter la vie. Son patron au volant de son fourgon, lui demande de rester à l’arrière où sont entassées des échelles. Dans un virage pris à toute vitesse, les échelles lui tombent dessus. Verdict une semaine d’arrêt maladie. Au cabinet du médecin, l’exploitant a expliqué sa version des faits en français, langue que ne comprend pas Juan. Résultat : Juan attend toujours le paiement de cette semaine de travail non effectué pour convalescence.

Ce qui rend difficile tout travail syndical et plus généralement de résistance coordonnée des saisonniers c’est le va et viens incessant. Toutes les semaines des charrettes de mecs sont virés et aussitôt remplacés.

Et là ce qui est sain c’est que pour une fois des saisonniers n’entendent pas se laisser faire alors que la plupart du temps, têtes basses, ils préfèrent partir même si leur patron leur doit encore de l’argent..