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Chauffeur de car, "pas auxiliaire de police" !



lundi 27 mars 2017,


CNT-Solidarité Ouvrière


Réflexions Social Solidarité

Jean-Antoine, militant du syndicat des Transports de la CNT-Solidarité Ouvrière et DP à CarPostal Riviera a refusé de participer à l’expulsion de migrants suite à la requisition de son bus par la police.
Il a reçu le prix "coup de cœur" de « Libération » qui a diffusé dans son édition du 17 mars, un portrait de notre camarade.

" Il s’appelle Jean-Antoine Carbo,mais tout le monde lui donne du « Tony ».
C’est un chauffeur d’autobus qui a dit non. Le 5 août, cet homme de 49 ans a refusé de conduire des migrants à la frontière italienne. « 200 personnes avaient traversé le matin le poste de douane de Menton, raconte-t-il. Les policiers ont localisé des gens qui déambulaient en ville. A 19 h 40, l’ordre du préfet est arrivé pour reconduire les migrants hors du territoire et les reconduire côté italien. »
A cette heure-là, précisément, Tony s’apprête à réaliser son dernier trajet, entre Menton et Sospel, lorsqu’une voiture de police se place devant son bus et qu’un policier, par la fenêtre, lui annonce que l’autocar est réquisitionné. « Pourquoi ? » demande le chauffeur. « Pour reconduire des migrants », lâche le fonctionnaire.« Cela ne se passe pas comme ça », répond Tony. « Je ne peux pas laisser mes passagers », annonce le chauffeur. Qui répond que sa direction n’est pas prévenue, qu’il va l’appeler… Bref, « j’essayais de retarder », explique-t-il.
Arrive un bus articulé d’une autre compagnie et un des policiers revient, apparemment satisfait, annonçant qu’il a « récupéré un autre véhicule ». Les migrants ont finalement été raccompagnés à la frontière.
Le lendemain, Tony rédige un courrier à la direction de Carpostal Riviera - filiale de Carpostal France, un millier de salariés, spécialisée dans le transport interurbain (1) - en expliquant qu’il n’est pas « un auxiliaire de police ». Peu émue, sa hiérarchie lui répond que c’est la loi et qu’il risque le licenciement. Tony avertit aussitôt la CNT- Solidarité Ouvrière (Confédération nationale des travailleurs, syndicat classé à l’extrême gauche), dont il fait partie, qui rédige un article sur son blog. « L’affaire est montée crescendo »,raconte Tony, qui dit avoir « remué le truc, lors d’une réunion de DP », la direction du personnel.
Sa hiérarchie lui rétorque alors qu’il est « sanctionnable », qu’il ne faudrait pas qu’il « invite les gens à désobéir ». En outre, il est prévenu : il est passible de sanctions disciplinaires. Il reçoit un courrier dans ce sens, lui rappelant qu’un non-respect d’un ordre du préfet lui coûterait six mois de prison avec sursis et plusieurs milliers d’euros d’amende.

Militant de toujours

Pour l’heure, on en est là. Il n’y a pas eu de suite et Tony conduit toujours son bus de Menton à Sospel, le long d’une route étroite et en lacets. « Le plus important pour moi a été de faire le courrier, explique Tony, il n’était pas question de laisser passer ça. » Il précise que certains dans son entreprise lui ont confié « qu’il avait bien fait d’éviter ce truc-là », mais que beaucoup reconnaissaient qu’ils n’auraient pas forcément suivi son exemple « par crainte de représailles » (Tony, en tant que délégué syndical, est, lui, un salarié protégé). Contactés, les responsables de Carpostal Riviera ont expliqué ne pas vouloir « commenter cette affaire qui est celle d’une personne qui a manifesté une position "personnelle" ». « Il n’y a pas eu de sanctions », rappelle la direction, soulignant qu’elle s’est contentée de lui « rappeler les règles légales et ce qu’il pouvait encourir de l’Etat. Il n’a jamais été question de lui faire une retenue sur salaire… »
Tony fait partie de la CNT- Solidarité Ouvrière depuis 2013, époque où il a monté la section syndicale de Menton. Pour lui, l’engagement est une évidence. Le chauffeur a toujours milité. Avant de s’installer dans le Sud, il travaillait à Rouen, où il faisait partie d’une association contre les QHS (« quartiers de haute sécurité » dans les prisons) aux côtés de Roger Knobelspiess, récemment disparu.
Quand il était étudiant, il faisait partie d’un « petit groupe d’extrême gauche » qui organisait des actions contre les gendarmeries dans les années 80… Il a connu alors la prison, dans une cellule individuelle. « Vis-à-vis d’autres délinquants, si tu as embêté les gendarmes et les flics, tu as une certaine aura… » Les parents de Tony étaient espagnols, son père a combattu aux côtés des républicains et a été obligé de fuir en 1939, « avec 450 000 autres personnes ». Son paternel a été interné au camp d’Argelès : « Il voyait mourir les vieux de faim et de froid. »

Groupes Mao

Parcours parallèle pour sa mère, qui elle aussi s’est fait « pincer » en franchissant la frontière, pour se retrouver dans des « taules » en France. A chaque repas familial, Tony n’y coupait pas, son père lui narrait un épisode de sa guerre d’Espagne. Pourtant, ils n’étaient pas d’accord idéologiquement : Tony était plutôt libertaire, son géniteur stalinien. Ses frères, eux, ont figuré dans des groupes Mao. Mais à Tony, cela ne plaisait pas trop, il n’a jamais voulu suivre la ligne d’un parti.
Dans le courrier envoyé à sa compagnie, Tony a évoqué le Vél d’Hiv, et fait aujourd’hui le rapprochement avec ses parents réfugiés d’Espagne, les convois de prisonniers, les camps… « J’ai parlé de ces hommes que je devais raccompagner vers une destination inconnue, dans des camps de transit ou dans le sud de l’Italie, là où la Croix-Rouge est débordée. Moi, je ne savais pas vers où ils partaient. »

(1) Elle-même dépendante de Carpostal Suisse. "


Site de la CNT- Solidarité ouvrière : www.cnt-so.org
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