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Centenaire de la CNT. Cahiers de civilisation espagnole contemporaine



dimanche 4 novembre 2012,


AutreFutur


Autogestion Culture

Les Cahiers de civilisation espagnole contemporaine (de 1808 au temps présent). Histoire politique, économique, sociale et culturelle, se proposent de construire un réseau entre chercheurs de toutes disciplines travaillant sur les sociétés et les cultures de l’Espagne contemporaine. Les Cahiers entendent contribuer à la formulation de problématiques qui puissent mettre en perspective les travaux spécialisés sur les structures, les conjonctures, les mentalités, les représentations, les pratiques sociales et culturelles propres à l’Espagne et aux Espagnols des XIXe et XXe siècles.

Le numéro spécial d’octobre 2012 est consacré au centenaire de la CNT.

À propos du centenaire de la CNT.

Texte de présentation de Gérard Brey,
Professeur émérite, Université de Franche-Comté

Le centenaire de la création de la Confédération Nationale du Travail en 1910 avait incité le collectif de rédaction des Cahiers à consacrer un dossier à l’anarchisme espagnol. Les délais de rédaction, de fabrication et de publication ont fait que ce dossier sorte seulement deux ans après cette éphéméride.

La première constatation qui s’impose est que le courant anarchiste continue de susciter un nombre impressionnant de publications en ce début de xxie siècle. Joël Delhom s’est livré à un recensement portant essentiellement sur les livres, brochures, thèses et mémoires universitaires en castillan, catalan, galicien et français, à l’exclusion des rééditions de livres déjà publiés entre 1970 y 1999, mais en retenant les premières traductions en castillan ou en français et les éditions augmentées ; son travail, qui exclut les articles de revues, fait état de trois cent trois publications en douze années, soit en moyenne environ vingt-cinq par an. Si la période antérieure à 1930 continue d’intéresser (avec environ un dixième des publications, trente-cinq) ce sont bien les années trente qui en ont suscité le plus (près d’un cinquième, cinquante-neuf), mais la lutte antifranquiste et l’exil ou les questions relatives à la culture anarchiste au sens très large en ont suscité presque autant (quarante-neuf et cinquante-trois respectivement), tandis que déclin quasi total du mouvement après 1975 se traduit logiquement par un nombre très faible de publications (six).

Cependant, c’est malgré tout la biographie et l’autobiographie qui l’emportent avec soixante-dix publications. Et c’est précisément aux individus que s’intéressent ici Jacques Maurice et Bernard Sicot dans leurs contributions. Le premier revient sur les personnalités de quelques figures militantes de la province de Cadix qu’il a fréquentées au cours de ses nombreuses recherches sur l’anarchisme de cette région, de l’activiste révolutionnaire Fermín Salvochea aux syndicalistes Vicente Ballester et Sebastián Oliva. Le second tente de reconstituer le profil du militant aragonais d’humble extraction Antonio Atarés, qui, alors qu’il se trouve interné dans les camps du Vernet d’Ariège puis de Djelfa (Algérie), entretient de façon surprenante en 1941 et 1942, une correspondance avec l’agrégée de philosophie Simone Weil. De correspondance il est aussi question dans la contribution où l’auteur de ces lignes évoque les archives (trop mal connues) léguées à sa mort en 1980 à l’Institut Français d’Histoire Sociale (Paris) par Renée Lamberet. Cette historienne militante rêvait d’écrire à la fois une histoire de l’anarchisme espagnol, une histoire des collectivisations et un dictionnaire biographique du mouvement anarchiste, et avait pour cela entrepris de recueillir les souvenirs, sinon les mémoires, de militants exilés après 1939. Ceux du célèbre Pedro Vallina, mais aussi des modestes Ramón Franquet et Manuel Pitarch Llorca dont les lettres révèlent aussi les éléments de leur culture scolaire et militante. On vérifie, à la lecture du texte de R. Franquet sur Salvochea à partir de « cosas oídas y leídas », (IFHS 14AS683, lettre de juillet 1958), comment s’était répandu jusqu’en Catalogne le culte hagiographique envers le « saint laïc » de Cadix.

Le rôle de l’individu dans l’action collective fait l’objet de la contribution dans laquelle Joël Delhom, qui, à la lumières des mémoires inédites d’un militant sanctionné par le mouvement pour son action (Manuel Sirvent Romero), revient sur le rôle des anarchistes dans les conspirations contre la Dictature et la Monarchie dans les années vingt et sur les débats que cette collaboration avec les forces républicaines suscita immédiatement après l’avènement du nouveau régime. J. Delhom y évoque la responsabilité collective et l’ambiguïté de l’attitude de la CNT et de la FAI en raison des tensions internes qui traversaient alors ces deux organisations. Tensions qui aboutirent à la division organisationnelle du mouvement libertaire peu après avril 1931 et à la mainmise de la FAI, ce qui eut pour effet, entre autres, de lancer certains dans de hasardeuses tentatives insurrectionnelles contre le régime républicain, comme celle de janvier 1933, qui a fait l’objet d’un ouvrage collectif dont Josep Fontana nous fait l’honneur de rendre compte ici.

En s’appuyant sur les articles publiés à la veille de la Guerre civile dans deux journaux anarchistes galiciens (Solidaridad et Brazo y Cérebro), Oscar Freán analyse un aspect peu évoqué de l’idéologie libertaire, le discours sur la guerre, dans un contexte de radicalisation de la lutte de classes, d’expansionnisme impérialiste, d’ascension des régimes totalitaires et de réarmement militaire. Josefina Alcolea Escribano, de son côté, rend compte de sa recherche en cours en questionnant le sens des diverses images données du Marocain (on devrait plutôt dire du Rifain) par la revue Fragua Social de Valence pendant la guerre civile.

A partir des toute dernières années du xixe siècle, les anarchistes avaient compris que le contenu, sinon la forme, de la culture ouvrière devait être révolutionnée si l’on voulait préparer les travailleurs à transformer radicalement la société, si bien que leur activité ne se résumait pas à l’organisation de syndicats, de grèves ou de tentatives insurrectionnelles, mais privilégiait tout ce qui relevait de la culture, de la simple instruction élémentaire (écoles rationalistes) jusqu’à l’expression artistique (écrite ou plastique), sans parler des comportements individuels ; aujourd’hui que l’anarcho-syndicalisme n’existe plus qu’à l’état résiduel et que les militants libertaires s’emploient essentiellement à préserver la mémoire et/ou à revendiquer la vérité sur les victimes du franquisme (sans renoncer à la critique du monde actuel), aujourd’hui que « l’indignation » collective, spontanée plus que structurée en mouvement permanent, prend parfois une connotation « libertaire », quelques artistes s’efforcent de perpétuer une forme d’art de rue indépendant et contestataire. Anne Puech entreprend ici de voir quel lien peut exister entre la conception sociale que se faisaient de l’art les anarchistes et celle des artistes de ce street art contemporain en Espagne et quelles sont les similitudes entre la démarche de ces artistes actuels et l’aspiration antérieure à un changement social d’inspiration libertaire.

Complètent ce dossier les comptes rendus de deux ouvrages de synthèse : l’un (du regretté Josep Termes i Ardèvol) va de la naissance à la décadence de l’anarchisme espagnol organisé ; l’autre (collectif) aborde sous des angles divers les « cent ans d’anarchismes espagnols » postérieurs à la création de la CNT. D’autres ouvrages de ce genre auraient mérités d’être recensés ici ; il ne sera pas trop tard d’en parler dans une livraison ultérieure des Cahiers si tel ou telle qui les a lus désire le faire.


Au sommaire du dossier :

Jacques Maurice
. Apóstoles, publicistas, hombres de acción y sindicalistas en la historia del anarquismo español
. Apôtres, publicistes, hommes d’action et syndicalistes dans l’histoire de l’anarchisme espagnol

Bernard Sicot
. L’anarchiste et la philosophe : Antonio Atarés et Simone Weil (1941-1951)
. La filósofa y el anarquista : Simone Weil y Antonio Atarés (1941-1951)

Joël Delhom
. Les anarchistes espagnols dans les conspirations contre la Dictature et la Monarchie (1923-1930) Entre mémoires et histoire
. Los anarquistas españoles en las conspiraciones contra la Dictadura y la Monarquía (1923-1930)

Oscar Freán Hernández
. Imperialismo, fascismo y revolución. El discurso sobre la guerra en la prensa anarquista gallega
. Impérialisme, fascisme et révolution. Le discours sur la guerre dans la presse anarchiste galicienne

Josefa Alcolea Escribano
. ¿Moro invasor o hermano revolucionario ?
Las imágenes de los marroquíes durante la guerra civil en el diario cenetista de Valencia Fragua Social
. Envahisseur maure ou frère révolutionnaire ? L’image des Marocains durant la Guerre civile espagnole dans le quotidien de la CNT de Valence Fragua social

Anne Puech
. L’art public altruiste dans l’Espagne contemporaine
Similitudes avec la fonction de l’art selon les théories anarchistes
. El arte público altruista en la España contemporánea

Joël Delhom
. Una década de publicaciones sobre el anarquismo español : 2000-2011
Inventario ordenado precedido por un breve comentario
. Une décennie de publications sur l’anarchisme espagnol 200-2011

Gérard Brey
. El Fondo Renée Lamberet conservado en el Institut Français d’Histoire Sociale de París
. Le fonds Renée Lamberet conservé à l’ Institut Français d’Histoire Sociale de Paris

José Luis Gutiérrez Molina
. Sobre las visiones centralistas, sea cual sea el centro, del anarquismo
. À propos des visions centralistes, quel que soit le centre, de l’anarchisme

Josep Fontana
. Los sucesos de Casas Viejas en la historia, la literatura y la prensa (1933-2008)

Gérard Brey
. Tierra y Libertad. Cien años de anarquismo en España



À voir en ligne sur : http://ccec.revues.org/3905