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Archanges (12 Histoires de révolutionnaires sans révolutions possibles) Paco Ignacio Taibo II



lundi 3 septembre 2012,


Contribution, Fulano


Culture Réflexions

Ce recueil est celui d’anti-héros ayant combattu pour une idée, une révolution, un changement mais n’ayant pas réussi à se faire entendre. C’est la face cachée du révolutionnaire, ou de la révolutionnaire, qui n’est pas ressorti victorieux ou victorieuse de son combat. Ce sont des histoires racontées avec tendresse et réflexion sur des combats au quotidien pour un autre futur, une vision d’autre chose que la victoire à tout prix ou la prise de pouvoir…

Comme Taibo l’écrit dans sa préface : "Tout est rêve, et presque tout vire au cauchemar". On ne saurait mieux résumer la brève existence de Larissa Reisner. Militante communiste, elle n’a pas hésité à faire le coup de feu en Sibérie contre les armées blanches et la légion tchèque. Séductrice trop encline à confondre ses amours tumultueuses avec son action révolutionnaire, journaliste, écrivain, agent secret du Kremlin en Afghanistan pour lutter contre l’emprise britannique, elle est envoyée en Allemagne où elle ne peut qu’assister au triomphe de la contre révolution militaire du Maréchal von Hindenburg. Malade, découragée, considérée comme inquiétante par les maîtres du Kremlin, elle s’éteint à l’âge de 34 ans, dans un hôpital moscovite, en 1926, à l’aube de la dictature stalinienne. Un an plus tard, à Moscou également, un vieux militant trotskiste, Adolf A. Loffe, se hisse au rang des archanges par un suicide de protestation contre la décision de Staline d’expulser Trotski et ses partisans du comité central du Parti Communiste.

En Autriche, nous trouvons parmi les archanges Friedrich Adler, un social-démocrate passé à l’anarchisme, qui assassine, en 1916, un ministre de l’Empereur François Joseph pour tenter d’inciter l’Autriche à conclure une paix séparée. Le meurtre n’a aucune incidence sur la politique austro-hongroise. Condamné à la prison à vie, libéré à la chute des Habsbourg, il exerce des fonctions dans le parti social-démocrate entre les deux guerres et, après l’annexion de l’Autriche par Hitler, meurt en exil aux Etats-Unis.

En Allemagne, voici Max Holz, un archange un peu inquiétant qui a trouvé sa voie dans les convulsions révolutionnaires allemandes après la défaite de 1918. Autodidacte, doué d’un singulier pouvoir d’entraînement sur les foules, il s’épanouit dans la violence. De 1918 à 1921, sa carrière d’agitateur est marquée par les sabotages, les incendies, les meurtres, les affrontements armés avec la police. Capturé, condamné à une peine d’emprisonnement à vie, il est amnistié en 1927 sous la pression des partis de gauche, mais ceux-ci, qui le considèrent comme un héros embarrassant, l’envoient en URSS où il meurt en 1933 d’un " accident " fort peu accidentel.

L’action de quatre des archanges de Taibo se situe au Mexique dans la période " d’institutionnalisation " du régime issu de la révolution. L’anarchiste basque espagnol Sebastian San Vicente, qui entend poursuivre l’action directe, est, en 1921, refoulé vers l’Espagne où l’on perd sa trace. Mexico vit à l’époque du muralisme. Le Ministre de l’Education, Vasconcelos a donné des murs, des façades à peindre à Diego Rivera, à Siqueiros et à d’autres artistes. Mais ils ne se contentent pas d’affirmer leurs convictions révolutionnaires par le pinceau. Ils entendent passer à l’action politique et fondent, sous le signe du communisme, un syndicat qui s’oppose au pouvoir institué. La chute de Vasconcelos met fin à la grande époque du muralisme. Le syndicat est dissout. La carrière de militant de Diego Rivera est terminée, mais sa carrière de peintre se poursuit, et ses œuvres demeurent sur les façades du Mexique et dans tous les grands musées du monde. A Acapulco, Juan Escudero dresse les dockers du port et les paysans des alentours de la ville contre les gros commerçants qui monopolisent le commerce extérieur et contre les grands propriétaires terriens. Il réussit à se faire élire maire d’Acapulco, mais il est assassiné en 1923 par des militaires et des pistoleros à la solde des gros intérêts. Dans la région de Tampico, le vieil anarchiste Librado Rivera stimule la lutte des travailleurs du pétrole contre les grandes compagnies nord-américaines. Après avoir connu l’exil et la prison aux Etats-Unis, il est revenu au Mexique à l’âge de 59 ans avec une intransigeance intacte. Il condamne la propriété privée et l’Etat. Dans son journal Avante, il appelle à l’insurrection contre le pouvoir établi. Plusieurs fois arrêté puis relâché, il meurt en 1932, victime d’un accident de la circulation qui, par une singulière ironie du sort, semble avoir eu un caractère accidentel. Buenaventura Durruti ne pouvait être absent de la galerie des archanges, Taibo conte un bref épisode de son séjour au Mexique en 1924. En compagnie de quelques anarchistes espagnols, il fonde le groupe des Errants, qui se consacre à redresser les torts des capitalistes et à " exproprier " leurs biens. Après un cambriolage dans une grande entreprise, les Errants remettent le butin à un syndicat mexicain et parviennent à quitter le pays sous une fausse identité.

Un autre épisode se situe en 1937, pendant la guerre d’Espagne, dans le cadre de la bataille de Guadalajara. Pendant douze jours plusieurs corps d’armée républicains affrontent une forte armée franquiste soutenue par quatre divisions italiennes. Un volontaire italien des brigades internationales, un être minuscule, semblable à un gnome, que l’on surnomme Malaboca en raison de son langage ordurier, improvise la guerre des mots à l’appui de la guerre des armes. A l’aide de haut-parleurs et de porte-voix, l’homoncule, doué d’un singulier pouvoir verbal, s’efforce de démoraliser les Italiens du camp franquiste, en faisant alterner les objurgations avec les insultes au son de l’Internationale chantée en italien.

Taibo entraîne ensuite le lecteur en Chine, ou P’eng P’ai, fils d’un grand propriétaire terrien, constitue, sous le signe du communisme, un vaste mouvement de revendications des journaliers agricoles. Nous sommes à l’époque de l’alliance objective des nationalistes progressistes du Kuomintang et des Communistes contre les pouvoirs militaires locaux, les féodalités et les réactionnaires. Mais, après la mort de Sun Yat-sen, les militaires progressistes dirigés par Tchang Kai-Chek se retournent contre les communistes. A ce moment, le récit rejoint Malraux et ce chapitre de la Condition Humaine où l’on voit des dirigeants communistes jetés vivants dans les chaudières brûlantes des locomotives. P’eng P’ai traqué, emprisonné, longuement torturé, est fusillé dans la région de Shanghai en août 1929.

Enfin, nous voici à Cuba en compagnie de Raul Díaz Arguelles. Cubain de naissance, combattant des maquis castristes, colonel dans l’armée cubaine, il est envoyé en Angola en 1975, à la tête d’une petite force bien armée pour soutenir un mouvement révolutionnaire. L’expédition se soldera par un échec, mais Arguelles ne le saura jamais. Son char d’assaut a sauté sur une mine, au cours d’un engagement et il est mort, les jambes sectionnées.
(avec l’Instituto de México)

Extraits

« Comment lutte-t-on contre un ennemi qui surgit parmi ses amis et qui n’a pas de visage ? » (p. 33, Ce que tu racontes, Larissa Reisner, et ce que j’aimerais raconter)

« Max Hölz un communiste révolutionnaire partisan de l’action directe, que les communistes appelaient anarchiste et que les anarchistes censuraient en le taxant de bolchévisme » (p. 14)

« Mais, ah malédiction ! (comme on dirait dans l’un de ces romans de Salgari que San Vicente doit avoir lu en cachette), cette obstination, cette merveilleuse obstination, cette ténacité, cet antidote pour nos soirées de fragilité plantés devant un téléviseur – qui peut-être ne nous trompe plus, mais qui sans aucun doute alimente nos peurs -, cette obstination donc, se construit. Elle ne naît pas, elle devient. » (p. 23, Il n’y a pas de rue Sebastian San Vicente , un récit à la manière de Norman Mailer)

Une histoire à télécharger :

Archanges.
Histoire N°1 : Il n’y a pas de rue Sebastian San Vicente

Paco Ignacio TAIBO II , né en 1949 à Gijón où il dirige le Festival du roman noir ; il vit à Mexico. Il est historien et auteur de romans policiers.
Ses romans sont traduits dans de nombreux pays et sa biographie de Che Guevara fait autorité du nord au sud de l’Amérique latine.