A l’appel du syndicat CGT des Hôtels de prestige et économiques et du syndicat CNT du Nettoyage (qui devait quelques mois plus tard adhérer à la CNT Solidarité Ouvrière), c’est une grève de vingt-huit jours, finalement victorieuse, qui va se dérouler sous l’œil et la caméra de Denis Gheerbrant, célèbre réalisateur de films documentaires.
Le résultat est à la mesure de ce que fut cette grève : un véritable succès.
Car Denis Gheerbrant, qui a suivi le conflit du premier au dernier jour, a réussi le double pari de donner à voir fidèlement le quotidien d’un piquet de grève et de réaliser un très beau film documentaire.
C’est qu’il sait y faire, le bougre ! S’installer au milieu des grévistes, discuter avec elles, avec les syndicalistes de la CGT et de la CNT, écouter, plaisanter, partager le plat de riz à la sauce rouge, puis, de temps à autre, sortir la caméra et capter un moment de joie, de danse, une altercation avec des jaunes ou la tête à claques d’un cadre engoncé dans son costume.
Denis Gheerbrant a tourné tout seul, sans équipe, sans ingénieur du son, ce qui lui a permis de se fondre dans le groupe, d’en capter les énergies, les sourires, les complicités et même, parfois, les inévitables moments de lassitude lorsque la grève s’éternise, que les fonds déjà maigres s’épuisent et que la direction ne veut toujours pas négocier.
Les scènes de vie collective alternent avec des entretiens personnels, toujours réalisés au milieu du groupe, refusant ainsi une séparation artificielle qui aurait autant nui à la cohésion des grévistes qu’à la qualité de la parole. Ces femmes de chambre évoquent leurs enfants (souvent nombreux), le départ du pays (« pour l’aventure »), les difficultés du logement, les salaires de misère, le racisme, la déconsidération au quotidien, sans que jamais la barrière de l’intime ne soit franchie, sans que jamais le spectateur ne se trouve mis en position de voyeur. Bien au contraire, à l’instar du réalisateur lui-même, il est entraîné à partager le quotidien de ce piquet de grève, saisi par la beauté de ces femmes, de leurs visages en gros plan, de leurs gestes, de leurs danses, de leur pudeur aussi.
L’art du cinéaste nous enseigne qu’une lutte peut être victorieuse pour peu qu’elle soit bien préparée, bien organisée, et, plus encore, loin, bien loin de la désespérance individualiste, nous entraîne sur les chemins de la jubilation et de l’espoir collectif.
Il faut aller voir ce film tout de suite, avant que les lois du marché ne le balayent impitoyablement.